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tiroient de ne les admirer point trop, et d'aspirer toujours du moins à les égaler. Rien n'arrête tant le progrès des choses, rien ne borne tant les esprits, que l'admiration excessive des anciens. Parce qu'on s'étoit dévoué à l'autorité d'Aristote, et qu'on ne cherchoit la vérité que dans ses écrits énigmatiques, et jamais dans la nature, non-seulement la philosophie n'avançoit en aucune façon, mais elle étoit tombée dans un abîme de galimatias et d'idées inintelligibles, d'où l'on a eu toutes les peines du monde à la retirer. Aristote n'a jamais fait un vrai philosophe, mais il en a beaucoup étouffé qui le fussent devenus, s'il eûr été permis. Et le mal est qu'une fantaisie de cette espèce une fois établie parmi les hommes, en voilà pour long-tems on sera des siècles entiers à en revenir, même après qu'on en aura reconnu le ridicule. Si l'on alloit s'entêter un jour de Descartes, et le mettre à la place d'Aristote, ce seroit à-peu-près le même inconvénient.

sûr

Cependant il faut tout dire, il n'est pas bien que la postérité nous compte pour un mérite les deux ou trois mille ans qu'il y aura un jour entr'elle et nous, comme nous les comptons aujourd'hui aux Grecs et aux Latins. Il y a toutes des apparences du monde que la raison se perfectionnera, et que l'on se désabusera généralement du préjugé grossier de l'antiquité. Peut-être

ne durera-t-il pas encore long-tems; peut-être, à l'heure qu'il est, admirons-nous les anciens en pure perte, et sans devoir jamais être admirés en cette qualité-là. Cela seroit un peu fâcheux.

Si après tout ce que je viens de dire, on ne me pardonne pas d'avoir osé attaquer des anciens dans le discours sur l'églogue, il faut que ce soit un crime qui ne puisse être pardonné. Je n'en dirai donc pas davantage. J'ajouterai seulement que si j'ai choqué les siècles passés par la critique des églogues des anciens, je crains fort de ne plaire guère au siècle présent par les miennes. Outre beaucoup de défauts qu'elles ont, elles représentent toujours un amour tendre, délicat, appliqué, fidèle jusqu'à en être superstitieux; et selon tout ce que j'entends dire, le siècle est bien mal choisi pour y peindre un amour si parfait.

DISCOURS

SUR LA PATIENCE,

qui a remporté le prix d'éloquence par le jugement de l'Académie françoise, en l'année 1689.

QUELQUE

UELQUE peu d'usage que l'homme fasse de ses lumières pour s'étudier soi-même, il découvre les foiblesses et les déréglemens dont il est rempli; aussi-tôt sa raison cherche à y remédier, touchée naturellement

naturellement d'un desir de perfection qui lui reste de l'ancienne grandeur où elle s'est vue élevée. Mais que peut-elle maintenant, incertaine, aveugle, pleine d'erreurs, digne elle-même d'être comptée pour une des misères de l'homme? Elle ne sait que combattre des défauts, par des défauts, ou guérir des passions par des passions ; et les vains remèdes qu'elle fournit sont des maux d'autant plus grands et plus incurables, qu'elle est intéressée à ne les plus reconnoître pour des maux, et qu'elle s'est séduite elle-même en leur faveur.

En vain pendant plusieurs siècles la Grèce, si fertile en esprits subtils, curieux et inquiets, produisit ces sages qui faisoient une profession téméraire d'enseigner à leurs disciples l'art de vivre heureux, et de se rendre plus parfaits; en vain la diversité infinie de leurs sentimens, qui sera à jamais la honte des foibles lumières naturelles, épuisa tout ce que la raison humaine pouvoit pour les hommes: l'effet des plus grands efforts de la philosophie ne fut que de changer les vices que produit la nature corrompue, en de fausses vertus, qui étoient, s'il se peut, des marques encore plus certaines de corruption. Un homme du commun ou ignore, ou reconnoît ses défauts avec assez de simplicité, pour les rendre en quelque sorte excusables; au lieu qu'un philosophe payen, fier d'avoir acquis les siens à force de Tome V V

méditation et d'étude, leur donnoit tous ses ap plaudissemens.

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Ces désordres que la raison humaine causoit dans la Grèce, où elle régnoit avec toute la hauteur dont elle est capable quand elle vient à se méconnoître, les leçons trompeuses qu'elle envoyoit de-là chez tous les peuples du monde, qui ne les recevoient qu'avec trop de docilité ne furent pas sans doute les moindres motifs qui invitèrent la raison éternelle à descendre sur la terre. Si d'un côté chez les Juifs les fameuses semaines de Daniel qui expiroient, et le sceptre de Juda qui avoit passé dans des mains étrangères, pressoient le libérateur si long-temps promis et attendu, il est certain que d'un autre côté les Grecs livrés jusques-là à des erreurs orgueilleuses, et à une ignorance contente d'elle-même, demandoient également le Messie par leurs besoins, quoiqu'ils ne fussent pas en droit de l'attendre. Dieu le devoit aux uns pour dégager sa parole tant de fois donné par la bouche de ses prophêtes; et il le devoit aux autres pour satisfaire à sa bonté, qui ne les pouvoit souffrir plus long-temps dans les égaremens de leur sagesse. Il falloit aux uns un monarque qui s'établît un empire tout divin sur les nations, un grand-prêtre qui leur enseignât les véritables sacrifices; et il falloit aux autres un sage dont ils reçussent des préceptes solides, un

maître qui leur apportât toutes les connoissances après lesquelles ils soupiroient depuis si long

temps.

Il parut donc enfin parmi les hommes, ce Messie si ardemment desiré d'un seul peuple, et si néces→ saire à tous. Alors les idées et du vrai et du bien nous furent révélées sans obscurité et sans nuages; alors disparurent tous ces fantômes de vertus. qu'avoit enfantés l'imagination des philosophes; alors des remèdes tout divins furent appliqués avec efficace à tous les maux qui nous sont naturels.

Arrêtons nos yeux en particulier sur quelqu'un des effets que produisit la nouvelle loi annoncée par Jesus-Christ. L'impatience dans les maux est peut-être un des vices auxquels la nature nous porte, et le plus généralement, et avec le plus de force; et il n'y a point de vertu à laquelle la philosophie ait plus aspiré qu'à la patience, sans doute parce qu'il n'y en a aucune ni plus nécessaire à la malheureuse condition des hommes, ni plus capable d'attirer une distinction glorieuse à ceux qui auroient pu l'acquérir. Cette impatience de la nature, et la fausse patience de la philosophie, nous ser viront d'exemples de l'heureux renouvellement qui se fit alors dans l'univers. Voyons comment la véritable patience, inconnue jusques-là sur la terre, prit la place de l'une et de l'autre. N'ayons point de honte d'envisager de près et d'étudier nos misères;

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