on ne s'eft déterminé que fort tard à lui rendre
juftice. Il y a plus d'un fiecle qu'on applaudit à fes
Opéra,
& à peine quarante ans qu'il n'eft plus
regardé comme un médiocre Auteur. Tel eft l'effet
du préjugé : on en croyoit, fur fa parole, un ingé-
nieux, mais trop févere fatyrique; on regardoit
comme des décifions abfolues, quelques hémisti-
ches amenées par la rime, & fouvent par l'humeur.
Boileau, il eft vrai, a défavoué en profe ce qu'il
avoit dit en vers contre Quinault. Mais n'eft - ce
pas auffi en profe, qu'il déclare que Bourfaut eft
de tous les Auteurs qu'il a maltraités, celui qui
a le plus de mérite? Que conclure d'un tel
aveu ? Sinon que Boileau jugeoit mal dans ce mo-
ment, & ne l'ignoroit pas. On ne peut fuppofer
qu'il fe foit mépris jufqu'à ce point. Quant à Qui-
nault peut-être n'étoit-il connu alors, que par fes
Tragédies; &, il faut l'avouer, le Prince de nos
Poëtes lyriques feroit à peine admis au fecond rang
des favoris de Melpomene & de Thalie. Toutes
fes Tragédies, excepté l'Agrippa & l'Aftrate, ont
difparu du Théatre; toutes, fans en excepter au-
cune, font mollement écrites: fes Héros plus
galants que tragiques, dégénerent en héros de Paf-
torale & de Roman. Le genre comique où il
s'exerça moins, eût pu lui être plus avantageux;
on peut en juger par la Mere Coquette, bien fupé-
rieure aux Tragédies d'Aftrate & d'Agrippa. Mais
il n'eût fans doute, jamais égalé Moliere; & il
étoit né pour fervir lui-même de modele dans
un autre genre. On placera toujours fon nom à
côté de celui des génies créateurs qui ont , pour
jamais, illuftré leur fiecle. Car il faut compter pour
peu de chofe les Effais de l'Abbé Perrin. Ce font
de ces productions informes, uniquement propres à
défigner, dans les Arts,
dans les Arts, une des routes qu'il faut
fuivre. Quinault la faifit, la parcourut, la franchit.
Rien ne prouve mieux le mérite de fes ouvrages

QUI

QUI lyriques, que l'infériorité de prefque tous ceux qui ont paru depuis. Dire qu'un Opéra fe fait lire. c'est en faire le plus grand éloge; & il n'eft point de lecture plus agréable que celle des Opéra de Quinault. Obligé de donner beaucoup au Muficien, rarement s'apperçoit on des facrifices qu'il lui fait. Quelle énergie dans les dérails qui en exigent ! Quelle délicateffe dans ceux où regne le fentiment! Quelle foule de traits ingénieux & naturels répandus prefque dans chaque fcene! L'efprit les faifit d'abord, & la mémoire les conferve ailément. Ils font encore les délices des fociétés. Quinault eft de tous nos Poëtes, celui dont les vers font le plus fouvent cités, le plus univerfellement connus. On lui reproche en vain que toutes les idées ne portent que fur un certain nombre d'expreffions à-peu-près toujours les mêmes. Il est démontré que tous les mots de notre Langue ne font pas fufceptibles d'être mis en Chant. Cette réserve eft donc moinc fterilité dans Quinault, qu'une fage économie, un choix heureux. Ce font les entraves de l'Art, auxquelles le vrai génie fe foumet volontiers, mais fans paroître moins libre. Quinault, malgré cette contrainte, femble toujours commander à notre Langue; elle fe plie à tous les tours qu'il veut lui faire prendre; & jamais, chez lui, l'expreffion ne gêne la peníée. On pourroit enfin le comparer à 'Héroïne de fon chef-d'œuvre, qui, avec un petit nombre de paroles, enfantoit des prodiges.

Quinault étoit du caractere le plus aimable; & il peint par-tout fa douceur. Madeftie, fociable, il allioit, avec de rares talents, des qualités plus rares encore. Qu'il fût fils d'un Boulanger, comme le dit Furetiere dans fon Factum contre l'Académie; qu'il eût été Domeftique de Mondory, fameux Comédien, comme Baile dans fon Dictionnaire l'infinue fur une Tradition peu sûre, Quinault, fils de fes Euvres, eft auffi-bien que Rouffeau, un grand-homme,

Selon du Tillet & Broffette, il fut éleve, pour la Poéfié, de Triftan l'Hermite, Auteur de la fameufe Tragédie de Mariamne. Les traits que Boileau a lancés contre Quinault, ont fait plus de tort au Satyrique qu'au Poëte lirique. C'eft ce que dit M. de Voltaire dans fon Epître fur la calomnie.

O dur Boileau, dont la Mufe févere,
Au doux Quinault envia l'art de plaire,
Qu'arrive-t-il, lorsque ses vers charmants
Par Jeliote embellis fur la Scene,
De leur douceur enivrent tous nos fens ?
Chacun maudit ta fatyre inhumaine.
N'entends-tu pas nos applaudiffements
Venger Quinault quatre fois par semaine ?

Au refte, quoique Boileau n'ait pas fait à ce Poëte une réparation proportionnée à la vivacité de fes traits, on peut s'en tenir à ce qu'il dit dans la Préface de fes Euvres. « Je n'ai point prétendu qu'il n'y ait » beaucoup d'efprit dans les ouvrages de M. Quinault. » Dans le temps que j'écrivis contre lui, nous étions » tous les deux fort jeunes; & il n'avoit pas fait » beaucoup alors d'ouvrages qui lui ont, dans la fuite, » acquis une jufte réputation ».

Sur la fin de fa vie, Quinault fe repentit d'avoir fait des Opéra, &, pour expiation, fit un Poëme fur l'extinction de la Religion Réformée dans le Royaume, qui commence ainfi:

Je n'ai que trop chanté les Jeux & les Amours:

Sur un ton plus fublime, il faut me faire entendre.

Je vous dis adieu, Mufe tendre ;

Je vous dis adieu pour toujours.

Quinault avoit fait l'Epitaphe fuivante, pour être placée fur fon tombeau. On ne lui reproche pas d'y avoir mis trop d'efprit.

QUI

QUI

Paffant, arrête ici, pour prier un moment ;

C'est ce que des vivants les morts ont droit d'attendre:
Quand tu feras au monument,

On aura foin de te le rendre.

Quinault a pouffé trop loin dans fes prologues, les louanges qu'il donnoit au Roi. Après la bataille d'Hochftet, un Prince Allemand dit malignement à un prifonnier François : « Monfieur, fait-on main» tenant des Prologues d'Opéra en France ».

Quinault, fe voyant bel-efprit titré, voulut acquérir une Charge qui lui donnât un rang dans le monde. C'eft ce qu'il fit en achetant celle d'Auditeur des Comptes. Lorsqu'il croyoit s'en mettre en poffeffion, on fit quelque difficulté de le recevoir. Meffieurs de la Chambre des Comptes difoient qu'il n'étoit pas de l'honneur d'une Compagnie auffi grave que la leur, d'admettre dans leur corps un homme qui avoit paru pendant plufieurs années fur les Théatres, pour y faire repréfenter fes Tragédies & fes Comédies. Cet incident ridicule donna lieu à ces vers, prefque auffi ridicules, d'un Anonyme.

Quinault le plus grand des Auteurs,

Dans votre Corps, Meffieurs, a deffein de paroître ;
Puifqu'il a fait tant d'Auditeurs,

Pourquoi l'empêchez-vous de l'être?

Un certain nombre de beaux efprits ne pouvant fouffrir le fuccès des Opéra de Quinault, fe mitent en fantaisie de les faire paffer dans le monde pour mauvais ainfi qu'ils les trouvoient. Un jour qu'ils foupoient enfemble, ils s'en vinrent, Defpréaux à leur tête fur la fin du repas, vers Lully qui étoit du fouper, chacun le verre à la main, & lui appuyant le verre fur la gorge, fe mirent à crier « Renonce à Quinault, ou tu es » mort ». Cette plaifanterie ayant beaucoup fait

rire,

rire on vint à parler férieusement; & l'on n'omit rien pour dégoûter Lully de la Poéfie de Quinault.

Perrault étoit prefque le feul qui ofât fe déclarer pour Quinault. On en vouloit à la gloire de fon ami; il prit en main fa défense; & bientôt tous les projets d'une cabale puiffante furent déconcertés. Quelques perfonnes ont prétendu que le chagrin d'avoir échoué dans cette entreprise, détermina Boileau, qui en étoit le chef, à s'élever dans la fuite contre la morale de l'Opéra. Croyons plutôt qu'il n'en a condamné si hautement les maximes, que parce qu'elles font diamétralement oppofées à celles de la Religion. On dira peut-être que des vues fi chrétiennes s'accordent mal avec le deffein qu'il avoit formé de lutter contre Quinault. Je fais (& lui-même nous l'apprend) qu'à la priere de Mesdames de Montefpan & de Thiange, il s'engagea trop aifément à compofer un Opéra je fais de plus que, faute d'avoir le molle atque facetum dont parle Horace, il ne put enfanter qu'une vingtaine de vers à la Perrin. Boileau fentit mieux que perfonne, combien cette efpece d'avorton lyrique étoit peu digne de voir le jour; mais j'imagine qu'en le faifant imprimer, il a voulu faire un acte de juftice, & venger, même aux dépens de fa propre gloire, un homme à jamais unique dans fon art.

QUINAULT, l'ainé, (Jean-Baptifte - Maurice) excellent Comédien pour le comique, & fur-tout pour les rôles de caractere & de pere, fut reçu en 1712 au Théatre François. Il joignoit au talent d'Acteur celui de Muficien; & outre fes Divertissements composés pour différentes Pieces, il fit la Mufique des Amours des Déeffes. Il s'étoit retiré du Théatre; & il y reparut en 1734; mais il l'abandonna bientôt après tout-à-fait, & mourut vers l'an 1744.

Tome III.

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