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murailles, les fameuses villes de Nîmes, d'Agde et de Béziers;1 il y fit mettre le feu et les incendia, ravagea les campagnes et les châteaux de ce pays .« Je m'arrête à ce dernier trait qu'aucune histoire de France n'a relevé et dont l'admirable cirque de Nimes atteste la vérité. Sous les arcades de ces immenses corridors, on peut suivre de l'œil, le long des voûtes, les sillons noirs qu'a tracés la flamme en glissant sur les pierres de taille qu'elle n'a pu ni ébranler ni dissoudre.

Le grand précepte qu'il faut donner aux historiens, c'est de distinguer au lieu de confondre; car, à moins d'être varié, l'on n'est point vrai. Malheureusement les esprits médiocres ont le goût de l'uniformité; l'uniformité est si commode! Si elle fausse tout, du moins elle tranche tout, et avec elle aucun chemin n'est rude. De là vient que nos annalistes visent à l'unité historique; il leur en faut une à tout prix; ils s'attachent à un seul nom de peuple; ils le suivent à travers les temps, et voilà pour eux le fil d'Ariane. Francia, ce mot, dans les cartes géographiques de l'Europe, au quatrième siècle, est inscrit au nord des embouchures du Rhin, et l'on s'autorise de cela pour placer en premier lieu tous les Français au-delà du Rhin. Cette France d'outre Rhin se remue, elle avance; on marche avec elle. En 460, elle parvient au bord de la Somme; en 493, elle touche à la Seine; en 507, le chef de cette France germanique pénètre dans la Gaule méridionale jusqu'au pied des Pyrénées, non pour y fixer sa nation, mais pour enlever beaucoup de butin et installer quelques évêques. Après cette expédition, l'on a soin d'appliquer le nom de France à toute l'étendue de la Gaule, et ainsi se trouvent construites d'un seul coup la France actuelle et la monarchie française. Établie sur cette base, notre histoire se continue avec une simplicité parfaite, par un catalogue biographique de rois ingénieusement numérotés, lorsqu'ils portent des noms semblables.

Croiriez-vous qu'une si belle unité n'ait point paru assez complète ? Les Franks étaient un peuple mixte; c'était une confédération d'hommes parlant tous à peu près la même langue, mais ayant des mœurs, des lois, des chefs à part. Nos historiens s'épouvantent à la vue de cette faible variété; ils la nomment barbare et indéchiffrable. Tant qu'elle est devant eux, ils n'osent entrer en matière; ils tournent autour des faits et ne se hasardent à les aborder franchement qu'à l'instant où un seul chef parvient à détruire ou à supplanter les autres. Mais ce n'est pas tout: l'unité d'empire semble encore vague et douteuse; il faut l'unité absolue, la monarchie administrative; et quand on ne la rencontre pas (ce qui est fort commun), on la suppose; car en elle se trouve le dernier degré de la commodité historique. Ainsi, par une fausse assimilation des conquêtes des rois franks au gouvernement des rois de France, dès qu'on rencontre la même limite géographique, on croit voir la même existence nationale et la même forme de régime. Et cependant, entre l'époque de la fameuse cession de la Provence, confirmée par Justinien et celle où les galères de Marseille arborèrent pour la première fois le pavillon

1 Nimes (Nemausus), entre Avignon et Montpellier; Béziers (Biterrae), entre Montpellier et Narbonne; Agde (Agathe) au bord de la mer.

aux trois fleurs de lys et prirent le nom de galères du roi, que de révolutions territoriales entre la Meuse et les deux mers! Combien de fois la conquête n'a-t-elle pas rétrogradé du sud au nord et de l'ouest à l'est! Combien de dominations locales se sont élevées et ont grandi, pour retomber ensuite dans le néant!

Ce serait une grave erreur de croire que tout le secret de ce grand mouvement fût dans les simples variations du système social et de la politique intérieure, et que, pour le bien décrire, il suffit d'avoir des notions justes sur les éléments constitutifs de la société civile et de l'administration des États. Dans la même enceinte territoriale, où une seule société vit aujourd'hui, s'agitaient, durant les siècles du moyen âge, plusieurs sociétés rivales ou ennemies l'une de l'autre. De tout autres lois que celles de nos révolutions modernes ont régi les révolutions qui changèrent l'état de la Gaule, du sixième au quinzième siècle. Durant cette longue période où la division par provinces fut une séparation politique plus ou moins complète, il s'est agi, pour le territoire qu'aujourd'hui nous appelons français, de ce dont il s'agit pour l'Europe entière, d'équilibre et de conquêtes, de guerre et de diplomatie. L'administration intérieure du royaume de France, proprement dit, n'est qu'un coin de ce vaste tableau. II. HISTOIRE DE LA CONQUÊTE DE L'ANGLE

TERRE PAR LES NORMANDS.

COURONNEMENT DE GUILLAUME-LE-CONQUÉRANT, ROI D'ANGLETERRE ET PARTAGE DES TERRES DES SAXONS. (Liv. IV.)

Le jour de la cérémonie fut fixé à la fête de Noël, alors prochaine. L'archevêque de Canterbury, Stigand, qui avait prêté le serment de paix au vainqueur, dans son camp de Berkhamsted,1 fut invité à venir lui imposer les mains et à le couronner, suivant l'ancien usage, dans l'église du monastère de l'Ouest, en anglais West-mynster,1 près de Londres. Stigand refusa d'aller bénir un homme couvert du sang des hommes, et envahisseur des droits d'autrui. Mais Eldred, l'archevêque d'York, plus circonspect et mieux avisé, disent certains vieux historiens, comprenant qu'il fallait s'accommoder au temps et ne point aller contre l'ordre de Dieu, par qui s'élèvent les puissances, consentit à remplir ce ministère. L'église de l'Ouest fut préparée et ornée comme aux anciens jours où, d'après le vote libre des meilleurs hommes de l'Angleterre, le roi de leur choix venait s'y présenter pour recevoir l'investiture du pouvoir qu'ils lui avaient remis. Mais cette élection préalable, sans laquelle le titre de roi ne pouvait être qu'une vaine moquerie et une insulte amère du plus fort, n'eut point lieu pour le duc de Normandie. Il sortit de son camp, et marcha entre deux haies de soldats jusqu'au monastère, où l'attendaient quelques Saxons craintifs ou bien affectant une contenance ferme et un air de liberté, dans leur lâche et servile office. Au loin, toutes les avenues de l'église, les places, les rues du faubourg étaient garnies de cavaliers en armes, qui devaient, selon d'anciens récits, contenir les rebelles, et veiller à la sûreté de ceux que leur ministère appellerait dans l'intérieur du temple. Les comtes, 1 On écrit aujourd'hui Berkhampstead, Westminster.

les barons, et les autres chefs de guerre, au nombre de deux cent soixante, y entrèrent avec leur duc.

Quand s'ouvrit la cérémonie, Geoffroy, évêque de Coutances, demanda en langue française aux Normands, s'ils étaient tous d'avis que leur seigneur prît le titre de roi des Anglais, et, en même temps, l'archevêque d'York demanda aux Anglais, en langue saxonne, s'ils voulaient pour roi le duc de Normandie. Alors il s'éleva dans l'église des acclamations si bruyantes, qu'elles retentirent hors des portes jusqu'à l'oreille des cavaliers qui remplissaient les rues voisines. Ils prirent ce bruit confus pour un cri d'alarme, et, selon leurs ordres secrets, mirent aussitôt le feu aux maisons. Plusieurs s'élancèrent vers l'église, et, à la vue de leurs épées nues et des flammes de l'incendie, tous les assistants se dispersèrent, les Normands aussi bien que les Saxons. Ceux-ci couraient au feu pour l'éteindre, ceux-là pour faire du butin dans le trouble et dans le désordre. La cérémonie fut suspendue par ce tumulte imprévu, et il ne resta pour l'achever en toute hâte que le duc, l'archevêque Eldred, et quelques prêtres des deux nations. Tout tremblants, ils reçurent de celui qu'ils appelaient roi, et qui, selon un ancien récit, tremblait lui-même comme eux, le serment de traiter le peuple anglo-saxon aussi bien que le meilleur des rois que ce peuple avait jadis élus.

Dès le jour même, la ville de Londres eut lieu d'apprendre ce que valait un tel serment dans la bouche d'un étranger vainqueur; on imposa aux citoyens un énorme tribut de guerre, et l'on emprisonna leurs otages. Guillaume lui-même, qui ne pouvait croire au fond que la bénédiction d'Eldred et les acclamations de quelques lâches eussent fait de lui un roi d'Angleterre dans le sens légal de ce mot, embarrassé pour motiver le style de ses manifestes, tantôt se qualifiait faussement de roi par succession héréditaire, et tantôt, avec toute franchise, de roi par le tranchant de l'épée. Mais s'il hésitait dans ses formules, il n'hésitait pas dans ses actes, et se rangeait à sa vraie place par l'attitude d'hostilité et de défiance qu'il gardait vis-à-vis du peuple; il n'osa point encore s'établir dans Londres ni habiter le château crénelé qu'on lui avait construit à la hâte. Il sortit donc, pour attendre dans la campagne voisine que ses ingénieurs eussent donné plus de solidité à ces ouvrages, et jeté les fondements de deux autres forteresses, pour réprimer, dit un auteur normand, l'esprit mobile d'une population trop nombreuse et trop fière.

Durant les jours que le nouveau roi passa à sept milles de Londres, dans un lieu appelé Barking, les deux chefs saxons dont la fatale retraite avait causé la soumission de la grande ville, effrayés de la puissance nouvelle que la possession de Londres et le titre de roi donnaient à l'envahisseur, vinrent du nord lui prêter le serment que les chefs anglais avaient coutume de prêter à leurs anciens rois. Toutefois la soumission d'Edwin et de Morkar n'entraîna point celle des provinces qu'ils avaient gouvernées, et l'armée normande ne se porta point en avant pour aller occuper ces provinces; elle resta concentrée autour de Londres et sur les côtes du sud et de l'est les plus voisines de la Gaule. Le soin de partager les richesses du territoire envahi l'occupait alors presque uniquement. Des commissaires parcouraient toute l'étendue de pays où l'armée avait laissé

des garnisons; ils y faisaient un inventaire exact des propriétés de toute espèce, publiques et particulières; ils les inscrivaient et les enregistraient avec soin et en grand détail; car la nation normande, dans ces temps reculés, se montrait déjà comme on l'a vue depuis, extrêmement prodigue d'écritures, d'actes et de procès-verbaux.

On s'enquérait des noms de tous les Anglais morts en combattant, ou qui avaient survécu à la défaite, ou que des retards involontaires avaient empêchés de se rendre sous les drapeaux. Tous les biens de ces trois classes d'hommes, terres, revenus, meubles, étaient saisis: les enfants des premiers étaient déclarés déshérités à tout jamais; les seconds étaient également dépossédés sans retour; et eux-mêmes, disent les auteurs normands, sentaient bien qu'en leur laissant la vie l'ennemi faisait assez pour eux; enfin, les hommes qui n'avaient point pris les armes furent aussi dépouillés de tout, pour avoir eu l'intention de les prendre: mais, par une grâce spéciale, on leur laissa l'espoir qu'après de longues années d'obéissance et de dévouement à la puissance étrangère, non pas eux, mais leurs fils, pourraient peut-être obtenir des nouveaux maîtres quelque portion de l'héritage paternel. Telle fut la loi de la conquête, selon le témoignage non suspect d'un homme presque contemporain et issu de la race des conquérants.

L'immense produit de cette spoliation universelle fut la solde des aventuriers de tous pays qui s'étaient enrôlés sous la bannière du duc de Normandie. Leur chef, le nouveau roi des Anglais, retint premièrement, pour sa propre part, tous les trésors des anciens rois, l'orfèvrerie des églises et ce qu'on trouva de plus précieux et de plus rare dans les magasins des marchands. Guillaume envoya une portion de ces richesses au pape Alexandre, avec l'étendard de Harold, en échange de la bannière qui avait triomphé à Hastings; et toutes les églises d'outre-mer où l'on avait chanté des psaumes et brûlé des cierges pour le succès de l'invasion, reçurent, en récompense, des croix, des vases et des étoffes d'or. Après la part du roi et du clergé, on fit celle des hommes de guerre, selon leur grade et les conditions de leur engagement. Ceux qui, au camp sur la Dive, avaient fait hommage pour des terres, alors à conquérir, reçurent celles des Anglais dépossédés; les barons et les chevaliers eurent de vastes domaines, des châteaux, des bourgades, des villes entières; les simples vassaux eurent de moindres portions. Quelques-uns prirent leur solde en argent; d'autres avaient stipulé d'avance qu'ils auraient une femme saxonne, et Guillaume, dit la chronique normande, leur fit prendre, par mariage, de nobles dames, héritières de grands biens, dont les maris étaient morts dans la bataille. Un seul, parmi les chevaliers venus à la suite du conquérant, ne réclama ni terres, ni or, ni femme, et ne voulut rien accepter de la dépouille des vaincus. On le nommait Guilbert, fils de Richard; il dit qu'il avait accompagné son seigneur en Angleterre parce que tel était son devoir; mais que le bien volé ne le tentait pas, qu'il retournerait en Normandie pour y jouir de son héritage, héritage modique, mais légitime, et que, content de son propre lot, il n'enlèverait rien à autrui.

BARTHÉLEMY ET MÉRY.

NOTICE BIOGRAPHIQUE ET LITTÉRAIRE.1

AUGUSTE BARTHÉLEMY naquit à Marseille, en 1796. Il avait à peine terminé ses études au collège, qu'il se fit connaître dans le monde littéraire de sa ville natale par quelques essais poétiques, notamment par une satire. Venu à Paris, il y débuta comme journaliste par un article ultra-royaliste, et comme poète par une Ode sur le sacre de Charles X (1825), qui lui valut les bonnes grâces de la cour. S'étant lié avec Méry, il tourna bientôt son talent contre le gouvernement.

JOSEPH MÉRY naquit en 1798, dans une île près de Marseille. Il fit ses études classiques au collège de cette ville. En 1820, il se fit connaître par une satire en vers qui lui valut quinze mois de prison. Il vint se fixer à Paris en 1824, et, l'année suivante, il associa ses haines politiques à celles de Barthélemy.

Dès lors les deux poètes travaillèrent ensemble et, après quelques petites satires, ils publièrent, en 1826, la Villeliade, poème héroïcomique en quatre chants sur le ministère Villèle. Cette satire, qui étincelait d'esprit, eut un immense succès et fut suivie de plusieurs autres aussi favorablement accueillies du public.

Renonçant à la satire sous le ministère libéral de M. de Martignac, ils écrivirent, en 1828, Napoléon en Egypte, poème épique en huit chants, remarquable par la richesse de ses descriptions. Après avoir tenté inutilement à Vienne de remettre un exemplaire de ce poème au duc de Reichstadt, fils de Napoléon Ier, Barthélemy publia le Fils de l'homme ou Souvenir de Vienne, relation poétique de son voyage, laquelle fut poursuivie en justice. Le poète eut l'idée originale de présenter sa défense en vers; elle fut très goûtée de l'auditoire, mais elle n'empêcha pas les juges de le condamner à trois mois de prison et à mille francs d'amende.

Sorti de prison après les journées de Juillet (1830), Barthélemy chanta avec Méry la révolution dans un poème dédié aux Parisiens et intitulé l'Insurrection.

Méry, bientôt déçu dans les espérances qu'il avait fondées sur l'établissement de la dynastie de Juillet, se promit de renoncer à la politique et se retira quelque temps à Marseille. Barthélemy, quoiqu'il eût accepté de Louis-Philippe une petite pension, poursuivit bientôt les ministres de ce monarque des mêmes attaques que les ministres de la dynastie déchue. Il rappela de Marseille son ami Méry, et, le 1er mars 1831, commença à paraître la Némésis, feuille hebdomadaire écrite en vers, dans laquelle éclatèrent 52 satires politiques, les plus véhémentes peut-être qui aient jamais été écrites en français, et qui acquirent bientôt une popularité inexplicable aujourd'hui. Des traits brûlants tombèrent sur tous les hommes du pouvoir, et, vérités ou injures, restèrent longtemps attachés à leurs noms. L'année suivante,

1 D'après Vapereau, Dictionnaire des Contemporains.

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