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Vis done, Horace, vis, guerrier trop magnanime: Ta vertu met ta gloire au-dessus de ton crime; Sa chaleur généreuse a produit ton forfait; D'une cause si belle il faut souffrir l'effet. -Vis pour servir l'État; vis, mais aime Valère : Qu'il ne reste entre vous ni haine ni colère; Et soit qu'il ait suivi l'amour ou le devoir, Sans aucun sentiment résous-toi de le voir. Sabine, écoutez moins la douleur qui vous presse ; Chassez de ce grand cœur ces marques de faiblesse : C'est en séchant vos pleurs que vous vous montrerez La véritable sœur de ceux que vous pleurez.

Mais nous devons aux dieux demain un sacrifice; Et nous aurions le ciel à nos vœux mal propice,

Si nos prêtres, avant que de sacrifier,
Ne trouvaient les moyens de le purifier :
Son père en prendra soin; il lui sera facile
D'apaiser tout d'un temps les mânes de Camille.
Je la plains; et pour rendre à son sort rigoureux
Ce que peut souhaiter son esprit amoureux,
Puisqu'en un même jour l'ardeur d'un même zèle
Achève le destin de son amant et d'elle,

Je veux qu'un même jour, témoin de leurs deux morts,
En un même tombeau voie enfermer leurs corps.

EXAMEN D'HORACE.

C'est une croyance assez générale que cette pièce pourrait passer pour la plus belle des miennes, si les derniers actes répondaient aux premiers. Tous veulent que la mort de Camille en gâte la fin, et j'en demeure d'accord; mais je ne sais si tous en savent la raison. On l'attribue communément à ce qu'on voit cette mort sur la scène; ce qui serait plutôt la faute de l'actrice que la mienne, parce que, quand elle voit son frère mettre l'épée à la main, la frayeur, si naturelle au sexe, lui doit faire prendre la fuite, et recevoir le coup derrière le théâtre, comme je le marque dans cette impression. D'ailleurs, si c'est une règle de ne le point ensanglanter, elle n'est pas du temps d'Aristote, qui nous apprend que pour émouvoir puissamment il faut de grands déplaisirs, des blessures et des morts en spectacle. Horace ne veut pas que nous y hasardions les événements trop dénaturés, comme de Médée qui tue ses enfants; mais je ne vois pas qu'il en fasse une règle générale pour toutes sortes de morts, ni que l'emportement d'un homme passionné pour sa patrie contre une sœur qui la maudit en sa présence avec des imprécations horribles, soit de même nature que la cruauté de cette mère. Sénèque l'expose aux yeux du peuple, en dépit d'Horace; et, chez Sophocle, Ajax ne se cache point au spectateur lorsqu'il se tue. L'adoucissement que j'apporte dans le second de ces discours pour rectifier la mort de Clytemnestre ne peut

U faudrait ressentiment. (P.)

être propre ici à celle de Camille. Quand elle s'enferrerait d'elle-même par désespoir en voyant son frère l'épée à la main, ce frère ne laisserait pas d'être criminel de l'avoir tirée contre elle, puisqu'il n'y a point de troisième personne sur le théâtre à qui il pût adresser le coup qu'elle recevrait, comme peut faire Oreste à Ægisthe. D'ailleurs, l'histoire est trop connue pour retrancher le péril qu'il court d'une mort infâme après l'avoir tuée; et la défense que lui prête son père pour obtenir sa grâce n'aurait plus de lieu, s'il demeurait innocent. Quoi qu'il en soit, voyons si cette action n'a pu causer la chute de ce poëme que par là, et si elle n'a point d'autre irrégularité que de blesser les yeux.

Comme je n'ai point accoutumé de dissimuler mes défauts, j'en trouve ici deux ou trois assez considérables. Le premier est que cette action, qui devient la principale de la pièce, est momentanée, et n'a point cette juste grandeur que lui demande Aristote, et qui consiste en un commen. cement, un milieu, et une fin. Elle surprend tout d'un coup; et toute la préparation que j'y ai donnée par la peinture de la vertu farouche d'Horace, et par la défense qu'il fait à sa sœur de regretter qui que ce soit de lui ou de son amant qui meure au combat, n'est point suffisante pour faire attendre un emportement si extraordinaire, et servir de commencement à cette action.

Le second défaut est que cette mort fait une action dou. ble par le second péril où tombe Horace après être sorti du premier. L'unité de péril d'un héros dans la tragédie fait l'unité d'action; et quand il en est garanti, la pièce est finie, si ce n'est que la sortie même de ce péril l'engage si nécessairement dans un autre, que la liaison et la continuité des deux n'en fasse qu'une action; ce qui n'arrive point ici, où Horace revient triomphant sans aucun besoin de tuer sa sœur, ni même de parler à elle; et l'action serait suffisamment terminée à sa victoire. Cette chute d'un péril en l'autre, sans nécessité, fait ici un effet d'autant plus mauvais, que d'un péril public, où il y va de tout l'État, il tombe en un péril particulier, où il n'y va que de sa vie; et, pour dire encore plus, d'un péril illustre, où il ne peut succomber que glorieusement, en un péril infâme, dont il ne peut sortir sans tache. Ajoutez, pour troisième imperfection, que Camille, qui ne tient que le second rang dans les trois premiers actes, et y laisse le premier à Sabine, prend le premier en ces deux derniers, où cette Sabine n'est plus considérable; et qu'ainsi s'il y a égalité dans les mœurs, il n'y en a point dans la dignité des personnages, où se doit étendre ce précepte d'Horace :

Servetur ad imum

Qualis ab incepto processerit, et sibi constet.

Ce défaut en Rodelinde a été une des principales causes du mauvais succès de Pertharite, et je n'ai point encore vu sur nos théâtres cette inégalité de rang en un même acteur, qui n'ait produit un très-méchant effet. Il serait bon d'en établir une règle inviolable.

Du côté du temps, l'action n'est point trop pressée, et n'a rien qui ne me semble vraisemblable. Pour le lieu, bien que l'unité y soit exacte, elle n'est pas sans quelque contrainte. Il est constant qu'Horace et Curiace n'ont point de raison de se séparer du reste de la famille pour com

mencer le second acte; et c'est une adresse de théâtre de n'en donner aucune, quand on n'en peut donner de bonnes. L'attachement de l'auteur à l'action présente souvent ne lui permet pas de descendre à l'examen sévère de cette justesse, et ce n'est pas un crime que de s'en prévaloir pour l'éblouir, quand il est malaisé de le satisfaire.

Le personnage de Sabine est assez heureusement inventé, et trouve sa vraisemblance aisée dans le rapport à l'histoire, qui marque assez d'amitié et d'égalité entre les deux familles pour avoir pu faire cette double alliance.

Elle ne sert pas davantage à l'action que l'infante à celle du Cid, et ne fait que se laisser toucher diversement, comme elle, à la diversité des événements. Néanmoins on a généralement approuvé celle-ci, et condamné l'autre. J'en ai cherché la raison, et j'en ai trouvé deux ; l'une est la liaison des scènes, qui semble, s'il m'est permis de parler ainsi, incorporer Sabine dans cette pièce, au lieu que, dans le Cid, toutes celles de l'infante sont détachées, et paraissent hors d'œuvre :

Tantum series juncturaque pollet.

L'autre, qu'ayant une fois posé Sabine pour femme d'Horace, il est nécessaire que tous les incidents de ce poëme lui donnent les sentiments qu'elle en témoigne avoir, par l'obligation qu'elle a de prendre intérêt à ce qui regarde son mari et ses frères; mais l'infante n'est point obligée d'en prendre aucun en ce qui touche le Cid; et si elle a quelque inclination secrète pour lui, il n'est point besoin qu'elle en fasse rien paraître, puisqu'elle ne produit aucun effet.

L'oracle qui est proposé au premier acte trouve son vrai sens à la conclusion du cinquième. Il semble clair d'abord, et porte l'imagination à un sens contraire; et je les aimerais mieux de cette sorte sur nos théâtres, que ceux qu'on fait entièrement obscurs, parce que la surprise de leur véritable effet en est plus belle. J'en ai usé ainsi encore dans l'Andromède et dans l'Edipe. Je ne dis pas la même chose des songes, qui peuvent faire encore un grand ornement dans la protase, pourvu qu'on ne s'en serve pas souvent. Je voudrais qu'ils eussent l'idée de la fin véritable de la pièce, mais avec quelque confusion qui n'en permit pas l'intelligence entière. C'est ainsi que je m'en suis servi deux fois, ici et dans Polyeucte, mais avec plus d'éclat et d'artifice dans ce dernier poëme, où il marque toutes les particularités de l'événement, qu'en celui-ci, où il ne fait qu'exprimer une ébauche tout à fait informe de ce qui doit arriver de funeste.

Il passe pour constant que le second acte est un des plus pathétiques qui soient sur la scène, et le troisième un des plus artificieux. Il est soutenu de la seule narration de la moitié du combat des trois frères, qui est coupée très-heureusement pour laisser Horace le père dans la colère et le déplaisir, et lui donner ensuite un beau retour à la joie

dans le quatrième. Il a été à propos, pour le jeter dans cette erreur, de se servir de l'impatience d'une femme qui suit brusquement sa première idée, et présume le combat achevé, parce qu'elle a vu deux Horaces par terre, et le troisième en fuite. Un homme, qui doit être plus posé et plus judicieux, n'eût pas été propre à donner cette fausse alarme; il eût dû prendre plus de patience, afin d'avoir plus de certitude de l'événement, et n'eût pas été excusable de se laisser emporter si légèrement, par les apparences, à présumer le mauvais succès d'un combat dont il n'eût pas vu la fin.

Bien que le roi n'y paraisse qu'au cinquième, il y est mieux dans sa dignité que dans le Cid, parce qu'il a intérêt pour tout son État dans le reste de la pièce; et, bien qu'il' n'y parle point, il ne laisse pas d'y agir comme roi. Il vient aussi dans ce cinquième comme roi qui veut honorer par cette visite un père dont les fils lui ont conservé sa couronne, et acquis celle d'Albe au prix de leur sang. S'il y fait l'office de juge, ce n'est que par accident; et il le fait dans ce logis même d'Horace, par la seule contrainte qu'impose la règle de l'unité de lieu. Tout ce cinquième est encore une des causes du peu de satisfaction que laisse cette tragédie : il est tout en plaidoyers; et ce n'est pas là la place des harangues ni des longs discours : ils peuvent être supportés en un commencement de pièce, où l'action n'est pas encore échauffée; mais le cinquième acte doit plus agir que discourir. L'attention de l'auditeur, déjà lassée, se rebute de ces conclusions qui traînent et tirent la fin en longueur.

Quelques-uns ne veulent pas que Valère y soit un digne accusateur d'Horace, parce que, dans la pièce, il n'a pas fait voir assez de passion pour Camille; à quoi je réponds que ce n'est pas à dire qu'il n'en eût une très-forte, mais qu'un amant mal voulu ne pouvait se montrer de bouse grâce à sa maîtresse dans le jour qui la rejoignait à un amant aimé. Il n'y avait point de place pour lui au premier acte, et encore moins au second: il fallait qu'il tint son rang à l'armée pendant le troisième; et il se montre au quatrième, sitôt que la mort de son rival fait quelque ouverture à son espérance: il tâche à gagner les bonnes grâces du père par la commission qu'il prend du roi de lai apporter les glorieuses nouvelles de l'honneur que ce prince lui veut faire; et, par occasion, il lui apprend la victoire de son fils, qu'il ignorait. Il ne manque pas d'amour du rant les trois premiers actes, mais d'un temps propre à le témoigner; et, dès la première scène de la pièce, il parall bien qu'il rendait assez de soins à Camille, puisque Sabine s'en alarme pour son frère. S'il ne prend pas le procede de France, il faut considérer qu'il est Romain, et dans Rome, où il n'aurait pu entreprendre un duel contre un autre Romain sans faire un crime d'État, et que j'en au rais fait un de théâtre, si j'avais habillé un Romain à la française.

FIN D'HORACE.

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A MONSIEUR DE MONTORON.

MONSIEUR,

Je vous présente un tableau d'une des plus belles actions d'Auguste. Ce monarque était tout généreux, et sa générosité n'a jamais paru avec tant d'éclat que dans les effets de sa clémence et de sa libéralité. Ces deux rares vertus lui étaient si naturelles et si inséparables en lui, qu'il semble qu'en cette histoire que j'ai mise sur notre théâtre, elles se soient tour à tour entre-produites dans nos âmes. Il avait été si libéral envers Cinna, que sa conjuration ayant fait voir une ingratitude extraordinaire, il eut besoin d'un extraordinaire effort de clémence pour lui pardonner: et le pardon qu'il lui douna fut la source des nouveaux bienfaits dont il lui fut prodigue, pour vaincre tout à fait cet esprit qui n'avait pu être gagné par les premiers; de sorte qu'il est vrai de dire qu'il eût été moins clément envers lui s'il eût été moins libéral, et qu'il eût été moins libéral s'il eût été moins clément. Cela étant, à qui pourrais-je plus justement donner le portrait de l'une de ces héroïques vertus, qu'à celui qui possède l'autre en un si haut degré, puisque, dans cette action, ce grand prince les a si bien attachées et comme unies l'une à l'autre, qu'elles ont été tout ensemble et la cause et l'effet l'une de l'autre? Vous avez des richesses, mais vous savez en jouir, et vous en jouissez d'une façon si noble, si relevée, et tellement illustre, que vous forcez la voix publique d'avouer que la fortune a consulté la raison quand elle a répandu ses fayears sur vous, et qu'on a plus de sujet de vous en souhaiter le redoublement que de vous en envier l'abondance. J'ai vécu si éloigné de la flatterie, que je pense être en possession de me faire croire quand je dis du bien de quelqu'un; et lorsque je donne des louanges (ce qui m'arrive assez rarement ), c'est avec tant de retenue, que je supprime toujours quantité de glorieuses vérités, pour ne me rendre pas suspect d'étaler de ces mensonges obligeants que beaucoup de nos modernes savent débiter de si bonne grace. Aussi je ne dirai rien des avantages de votre nais

sance, ni de votre courage, qui l'a si dignement soutenue dans la profession des armes, à qui vous avez donné vos premières années; ce sont des choses trop connues de tout le monde. Je ne dirai rien de ce prompt et puissant secours que reçoivent chaque jour de votre maintant de bonnes familles ruinées par les désordres de nos guerres; ce sont des choses que vous voulez tenir cachées. Je dirai seulement un mot de ce que vous avez particulièrement de commun avec Auguste : c'est que cette générosité qui compose la meilleure partie de votre âme et règne sur l'autre, et qu'à juste titre on peut nommer l'âme de votre âme, puisqu'elle en fait mouvoir toutes les puissances; c'est, dis-je, que cette générosité, à l'exemple de ce grand empereur, prend plaisir à s'étendre sur les gens de lettres, en un temps où beaucoup pensent avoir trop récompensé eurs travaux quand ils les ont honorés d'une louange sté

1 Voilà une étrange lettre, et pour le style, et pour les sentiments. On n'y reconnait point la main qui crayonna l'âme du grand Pompée et l'esprit de Cinna. Celui qui faisait des vers si sublimes n'est plus le même en prose. On ne peut s'empêcher de plaindre Corneille, et son siècle, et les beaux-arts, quand on voit ce grand homme, négligé à la cour, comparer le sieur de Montoron à l'empereur Auguste. Si pourtant la reconnaissance arracha ce singulier hommage, il faut encore plus en louer Corneille que l'en blåmer; mais on peut toujours l'en plaindre. (V.) - Le sieur de Montoron, comme Voltaire l'appelle, n'était pas, à beaucoup près, un homme sans considération, et, pour parler le langage du temps, un homme sans naissance. Le beau portrait que Corneille en fait, les actions vraiment nobles qu'il en raconte, et le soin particulier qu'il prend d'écarter de lui tout soupçon de flatterie, en invoquant même la réputation qu'il s'était faite d'homme vrai et incapable d'en imposer par de fausses louanges, tout enfin nous parait prouver que Montoron n'était pas indigne de l'honneur que lui fait Corneille. Nous convenons que la comparaison de Montoron à Auguste paraitrait aujourd'hui très-déplacée; mais était-ce bien à Voltaire d'ailleurs d'affecter ici tant de sévérité? luimême, sans avoir l'excuse du malheur, ne prodigua-t-il pas des adulations non moins outrées à beaucoup de personnes qu'il ne pouvait ni aimer ni estimer? N'appelait-il pas le financier la Popelinière, Pollion? Ne dédia-t-il pas Tancrède à madame de Pompadour? N'adressa-t-il pas même des vers très-flatteurs madame Dubarry? Pourquoi donc Corneille n'aurait-il pu louer sans bassesse un citoyen bienfaisant et vertueux ? (P.)

rile. Et certes, vous avez traité quelques-unes de nos muses avec tant de magnanimité, qu'en elles vous avez obligé toutes les autres, et qu'il n'en est point qui ne vous en doive un remerciment. Trouvez donc bon, Monsieur, que je m'acquitte de celui que je reconnais vous en devoir, par le présent que je vous fais de ce poëme, que j'ai choisi comme le plus durable des miens, pour apprendre plus longtemps à ceux qui le liront que le généreux M. de MONTORON, par une libéralité inouïe en ce siècle, s'est rendu toutes les muses redevables, et que je prends tant de part aux bienfaits dont vous avez surpris quelques-unes d'elles, que je m'en dirai toute ma vie,

MONSIEUR,

Votre très-humble, très-obéissant et très-obligé serviteur,

CORNEILLE.

SENECA.

LIB. I, De clementia, CAP. 9 1.

Divus Augustus mitis fuit princeps, si quis illum a principatu suo æstimare incipiat in communi quidem republica, duodevicesimum egressus annum, jain pugiones in sinu amicorum absconderat, jam insidiis M. Antonii consulis latus petierat, jam fuerat collega proscriptionis : sed quum annum quadragesimum transisset, et in Gallia moraretur, delatum est ad eum indicium L. Cinnam, stolidi ingenii virum, insidias ei struere. Dictum est et ubi, et quando, et quemadmodum aggredi vellet. Unus, ex consciis deferebat; constituit se ab eo vindicare. Consilium amicorum advocari jussit.

Nox illi inquieta erat, quum cogitaret adolescentem nobilem, hoc detracto integrum, Cn. Pompeii nepotem damnandum. Jam unum hominem occidere non poterat, quum M. Antonio proscriptionis edictum inter cœnam dictaret. Gemens subinde voces emittebat varias et inter se contrarias: « Quid ergo! ego percussorem meum securum am<< bulare patiar, me sollicito? Ergo non dabit pœnas, qui a tot civilibus bellis frustra petitum caput, tot navalibus,

L'aventure de Cinna laisse quelque doute. Il se peut que ce soit une fiction de Sénèque, ou du moins qu'il ait ajouté beaucoup à l'histoire, pour mieux faire valoir son chapitre De la clémence. C'est une chose bien étonnante que Suétone, qui entre dans tous les détails de la vie d'Auguste, passe sous silence un acte de clémence qui ferait tant d'honneur à cet empereur, et qui serait la plus mémorable de ses actions. Sénèque suppose la scène en Gaule. Dion Cassius, qui rapporte cette anecdote longtemps après Sénèque, au milieu du troisième siècle de notre ère vulgaire, dit que la chose arriva dans Rome. J'avoue que je croirai difficilement qu'Auguste ait nommé sur-le-champ premier consul un homme convaincu d'avoir voulu l'assassiner. Mais, vraie ou fausse, cette clémence d'Auguste est un des plus nobles sujets de tragédie, une des plus belles instructions pour les princes. C'est une grande leçon de mœurs; c'est, à mon avis, le chef-d'œuvre de Corneille, malgré quelques défauts. (V.)

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quod mucrones acuant. Non est tanti vita, si, ut ego non << peream, tam multa perdenda sunt. » Interpellavit tandem illum Livia uxor : « Et admittis, inquit, muliebre «< consilium? Fac quod medici solent; ubi usitata remedia << non procedunt, tentant contraria. Severitate nihil adhue profecisti Salvidienum Lepidus secutus est, Lepidum << Muræna, Murænam Cæpio, Cæpionem Egnatius, ut « alios taceam quos tantum ausos pudet: nunc tenta que « modo tibi cedat clementia. Ignosce L. Cinna; depre «< hensus est; jam nocere tibi non potest, prodesse fame << tuæ potest. »

Gavisus sibi quod advocatum invenerat, uxori quidem gratias egit renuntiari autem extemplo amicis quos in consilium rogaverat imperavit, et Cinnam unum ad se ac cersit, dimissisque omnibus e cubiculo, quum alteram poni Cinnæ cathedram jussisset, « Hoc, inquit, primum « a te peto ne me loquentem interpelles, ne medio ser« mone meo proclames; dabitur tibi loquendi liberum tem<< pus. Ego te, Cinna, quum in hostium castris invenissem, «< non tantum factum mihi inimicum, sed natum servavi, << patrimonium tibi omne concessi; hodie tam felix es et << tam dives, ut victo victores invideant: sacerdotium tibi « petenti, præteritis compluribus quorum parentes me« cum militaverant, dedi. Quum sic de te meruerim, occi « dere me constituisti! >>

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Quum ad hanc vocem exclamasset Cinna, procul hane ab se abesse dementiam : «Non præstas, inquit, fiden, << Cinna; convenerat ne interloquereris. Occidere, inquam, « me paras. » Adjecit locum, socios, diem, ordinem insidiarum, cui commissum esset ferrum. Et quum defixum videret, nec ex conventione jam, sed ex conscientia tacentem : « Quo, inquit, hoc animo facis? Ut ipse sis prin<«< ceps ? Male, mehercule, cum republica agitur, si tibi ad imperandum nihil præter me obstat. Domum tuam « tueri non potes; nuper libertini hominis gratia in pri«vato judicio superatus es. Adeo nihil facilius putas quam « contra Cæsarem advocare. Cedo, si spes tuas solus in pedio. Paulusne te et Fabius Maximus et Cossi et Ser« vilii ferent, tantumque agmen nobilium, non inania no<< mina præferentium, sed eorum qui imaginibus suis « decori sunt?»> Ne totam ejus orationem repetendo mag nam partem voluminis occupem, diutius enim quan duabus horis locutum esse constat, quum hanc pœnam qua sola erat contentus futurus, extenderet. « Vitam tibi, inquit, Cinna, iterum do, prius hosti, nunc insidiator « ac parricidæ. Ex hodierno die inter nos amicitia inci « piat. Contendamus, utrum ego meliore fide vitam ti dederim, an tu debeas. >> Post hæc detulit ultro consulatum, questus quod non auderet petere, amicissimum, fdelissimumque habuit, hæres solus fuit illi, nullis ampli insidiis ab ullo petitus est.

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PERSONNAGES.

OCTAVE-CÉSAR-AUGUSTE, empereur de Rome.

LIVIE, impératrice.

CINNA, fils d'une fille de Pompée, chef de la conjuration contre Auguste.

MAXIME, autre chef de la conjuration.

Quand vous me présentez cette sanglante image,
La cause de ma haine, et l'effet de sa rage',
Je m'abandonne toute à vos ardents transports,
Et crois, pour une mort, lui devoir mille morts.
Au milieu toutefois d'une fureur si juste,
J'aime encor plus Cinna que je ne hais Auguste 3,

EMILIE, fille de C. Toranius, tuteur d'Auguste, et proscrit Et je sens refroidir ce bouillant mouvement

par lui durant le triumvirat.

POLYCLÈTE, affranchi d'Auguste.

FULVIE, confidente d'Emilie.

EVANDRE, affranchi de Cinna.

EUPHORBE, affranchi de Maxime.

La scène est à Rome.

ACTE PREMIER.

SCÈNE PREMIÈRE'.

ÆMILIE.

Impatients désirs d'une illustre vengeance

⚫ Dont la mort de mon père a formé la naissance,
Enfants impétueux de mon ressentiment,
Que ma douleur séduite embrasse aveuglément,
Vous prenez sur mon âme un trop puissant empire;
Durant quelques moments souffrez que je respire,
Et que je considère, en l'état où je suis,
Et ce que je hasarde, et ce que je poursuis.
Quand je regarde Auguste au milieu de sa gloire,
Et que vous reprochez à ma triste mémoire
Que par sa propre main mon père massacré
Du trône où je le vois fait le premier degré 3;

Plusieurs actrices ont supprimé ce monologue dans les représentations. Le public même paraissait souhaiter ce retranchement: on y trouvait de l'amplification. Ceux qui fréquentent les spectacles disaient qu'Émilie ne devait pas ainsi se parler à elle-même, se faire des objections et y répondre; que c'était une déclamation de rhétorique; que les mêmes choses qui seraient très-convenables quand on parle à sa confidente sont très-déplacées quand on s'entretient toute seule avec soimême; qu'enfin la longueur de ce monologue y jetait de la froideur, et qu'on doit toujours supprimer ce qui n'est pas nécessaire. Cependant j'étais si touché des beautés répandues dans cette première scène, que j'engageai l'actrice qui jouait Émilie à la remettre au théâtre; et elle fut très-bien reçue. (V.) 1 Quand il se trouve des acteurs capables de jouer Cinna, on retranche assez communément ce monologue. Le public a perdu le goût de ces déclamations; celle-ci n'est pas nécessaire à la pièce: mais n'a-t-elle pas de grandes beautés ? n'est-elle pas majestueuse, et même assez passionnée? Boileau trouvait dans ces impatients désirs, enfants du ressentiment, embrasses par la douleur, une espèce de famille: il prétendait que les grands intérêts et les grandes passions s'expriment plus natureitement; il trouvait que le poëte parait trop ici, et le personnage trop peu (V.)

Ces désirs rappellent à Émilie le meurtre de son père, et ne
CORNEILLE.

TOME I.

Quand il faut, pour le suivre, exposer mon amant.
Oui, Cinna, contre moi moi-même je m'irrite
Quand je songe aux dangers où je te précipite.
Quoique pour me servir tu n'appréhendes rien,
Te demander du sang, c'est exposer le tien :
D'une si haute place on n'abat point de têtes
Sans attirer sur soi mille et mille tempêtes;
L'issue en est douteuse, et le péril certain :
Un ami déloyal peut trahir ton dessein;
L'ordre mal concerté, l'occasion mal prise,
Peuvent sur son auteur renverser l'entreprise,
Tourner sur toi les coups dont tu le veux frapper,
Dans sa ruine même il peut t'envelopper;
Et quoi qu'en ma faveur ton amour exécute,
Il te peut, en tombant, écraser sous sa chute.
Ah! cesse de courir à ce mortel danger;

Te perdre en me vengeant, ce n'est pas me venger.
Un cœur est trop cruel quand il trouve des charines
Aux douceurs que corrompt l'amertume des larmes;
Et l'on doit mettre au rang des plus cuisants malheurs
La mort d'un ennemi qui coûte tant de pleurs.
Mais peut-on en verser alors qu'on venge un père?
Est-il perte à ce prix qui ne semble légère?
Et quand son assassin tombe sous notre effort,
Doit-on considérer ce que coûte sa mort?
Cessez, vaines frayeurs, cessez, lâches tendresses,

le lui reprochent pas. Il fallait dire, vous me reprochez de ne l'avoir pas encore venge, et non pas, vous me reprochez sa proscription; car elle n'est certainement pas cause de cette mort. (V.)

Émilie a déjà dit quelle est la cause de sa haine; la cause et l'effet paraissent trop recherchés. (V.)

2 Mille morts, mille et mille tempêtes, ne sont que de légères négligences auxquelles il ne faut pas prendre garde dans les ouvrages de génie, et surtout dans ceux du siècle de Corneille, mais qu'il faut éviter soigneusement aujourd'hui. (V.) 3 De bons critiques, qui connaissent l'art et le cœur humain, n'aiment pas qu'on annonce ainsi de sang-froid les sentiments de son cœur; ils veulent que les sentiments échappent à la passion. Ils trouvent mauvais qu'on dise: J'aime plus celui-ci que je ne hais celui-là; je sens refroidir mon mouvement bouillant; je m'irrite contre moi-même, j'ai de la fureur : ils veulent que cette fureur, cet amour, cette haine, ces bouillants mouvements, éclatent sans que le personnage vous en avertisse. C'est le grand art de Racine. Ni Phèdre, ni Iphigénie, ni Agrippine, ni Roxane, ni Monime, ne débutent par venir étaler leurs sentiments secrets dans un monologue, et par raisonner sur les intérêts de leurs passions: mais il faut toujours se souvenir que c'est Corneille qui a débrouillé l'art, et que si ces amplifications de rhétorique sont un défaut aux yeux des connaisseurs, ce défaut est réparé par de très-grandes beautés. (V.)

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