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Et, tout impatient, déjà se plaint aux cieux
Qu'on lui donne trop tard un bien si précieux.
CÉSAR.

Ne lui refusons plus le bonheur qu'il désire :
Princesse, allons par là commencer votre empire.
Fasse le juste ciel, propice à mes desirs;
Que ces longs cris de joie étouffent vos soupirs,
Et puissent ne laisser dedans votre pensée
Que l'image des traits dont mon âme est blessée !
Cependant qu'à l'envi ma suite et votre cour
Préparent pour demain la pompe d'un beau jour,
Où, dans un digne emploi l'une et l'autre occupée,
Couronne Cléopâtre et m'apaise Pompée,
Elève à l'une un trône, à l'autre des autels,
Et jure à tous les deux des respects immortels 1.

leur froideur a fait oublier. Trente beaux vers de Cornélie valent beaucoup mieux qu'une pièce médiocre. (V.)

Voilà de ces métaphores qui ne paraissent pas naturelles. Comment peut-on avoir dans sa pensée l'image d'un trait qui à blessé une ame? Ces figures forcées expriment toujours mal le sentiment. César veut dire puissiez-vous ne vous occuper que de mon amour! Il pouvait y ajouter encore de sa gloire. Ces sentiments doivent être toujours exprimés noblement, mais Jamais d'une manière recherchée. (V.)

2 La première question qui se présente sur la tragédie qui a pour titre Pompée, c'est de savoir quel en est le sujet. Ce ne peut être la Mort de Pompée, quofque depuis longtemps on se soit accoutumé à l'afficher sous ce titre très-improprement; Bar Pompée est assassiné au commencement du second acte. Ce yourrait être la vengeance de cette mort, si Ptolomée, qui périt Jans un combat à la fin de la pièce, était tué en punition de son rime; mais il ne l'est que parce que César, à qui ce prince peride veut faire éprouver le sort de Pompée, se trouve heureusenent le plus fort, et triomphe de l'armée égyptienne. Cette consiration contre César, et le péril qu'il court, forment donc une Weconde action, moins intéressante que la première; car on sait fuels éloges unanimes les connaisseurs ont donnés à la scène l'exposition, qui montre Ptolomée délibérant avec ses ministres ur l'accueil qu'il doit faire à Pompée, vaincu à Pharsale, et herchant un asile en Égypte. On ne peut pas commencer une ragédie d'une manière plus imposante à la fois et plus attahante; et quoique l'exécution en soit souvent gâtée par l'enJure et la déclamation, cette ouverture de pièce, en ne la conidérant que par son objet, passe avec raison pour un modèle. Des scènes d'une galanterie froide, et quelquefois indécente, otre César et Cléopâtre, ne sont qu'un remplissage vicieux qui chève de faire de cette pièce un ouvrage très-irrégulier, comCosé de parties incohérentes. Les caractères ne sont pas moins épréhensibles. Le roi Ptolomée, qui supplie sa sœur Cléopatre Temployer son crédit auprès de César pour en obtenir la grâce le Photin, est entièrement avili; et quand Achorée dit, en parant de sa contenance devant César :

Toutes ses actions ont serti la bassesse :
J'en ai rougi moi-même, et me suis plaint à moi
De voir là Ptolomée, et n'y point voir de roi,

I fait en très-beaux vers la critique de ce caractère. César, qui la vaincu à Pharsale que pour Cléopâtre, et qui n'est venu Égypte que pour elle, est encore plus sensiblement dégradé, arce que c'est un des personnages dont le nom seul annonce a grandeur. Cléopâtre, qui parle d'amour et de mariage, en tyle de comédie, à César qui est marié, joue un rôle indigne

EXAMEN DE POMPÉE.

A bien considérer cette pièce, je ne crois pas qu'il y en ait sur le théâtre où l'histoire soit plus conservée et plus falsifiée tout ensemble. Elle est si connue, que je n'ai osé en changer les événements; mais il s'y en trouvera peu qui soient arrivés comme je les fais arriver. Je n'y ai ajouté que ce qui regarde Cornélie, qui semble s'y offrir d'ellemême, puisque, dans la vérité historique, elle était dans le même vaisseau que son mari lorsqu'il aborda en Égypte, qu'elle le vit descendre dans la barque, où il fut assassiné à ses yeux par Septime, et qu'elle fut poursuivie sur mer par les ordres de Ptolomée. C'est ce qui m'a donné occasion de feindre qu'on l'atteignit, et qu'elle fut ramenée devant César, bien que l'histoire n'en parle point. La diversité des lieux où les choses se sont passées, et la longueur du temps qu'elles ont consumé dans la vérité historique, m'ont réduit à cette falsification pour les ramener dans l'unité de jour et de lieu. Pompée fut massacré devant les murs de Pelusium, qu'on appelle aujourd'hui Damiette, et César prit terre à Alexandrie. Je n'ai nommé ni l'une ni l'autre ville, de peur que le nom de l'une n'arrêtât l'imagination de l'auditeur, et ne lui fit remarquer malgré lui la fausseté de ce qui s'est passé ailleurs. Le lieu particulier est, comme dans Polyeucte, un grand vestibule commun à tous les appartements du palais royal; et cette unité n'a rien que de vraisemblable, pourvu qu'on se détache de la vérité historique. Le premier, le troisième, et le quatrième acte, y ont leur justesse manifeste; il y peut avoir quelque difficulté pour le second et le cinquième, dont Cléopâtre ouvre l'un, et Cornélie l'autre. Elles sembleraient toutes deux avoir plus de raison de parler dans leur appartement; mais l'impatience de la curiosité féminine les en peut faire sortir l'une pour apprendre plus tôt les nouvelles de la mort de Pompée, ou par Achorée, qu'elle a envoyé en être témoin, ou par le premier qui entrera dans ce vestibule; et l'autre, pour en savoir du combat de César et des Romains contre Ptolomée et les Égyptiens, pour empêcher que ce héros n'en aille donner à Cléopâtre avant qu'à elle, et pour obtenir de lui d'autant plus tôt la permission de partir. En quoi on peut remarquer que,

d'une princesse. Cependant la pièce est restée au théâtre malgré tous ses défauts, et s'y soutient par une de ces ressources qui appartiennent au génie de Corneille, par le seul rôle de Cornélie. Il offre un mélange de noblesse et de douleur, de sublime et de pathétique, qui fait revivre en elle tout l'intérêt attaché à ce seul nom de Pompée. Il ne paraît point dans la pièce; mais il semble que son ombre la remplisse et l'anime. L'urne qui contient ses cendres, et qu'apporte à sa veuve un Romain obscur qui a rendu les derniers devoirs aux restes d'un héros malheureux, l'expression touchante des regrets de Corneilie, et les serments qu'elle fait de venger son époux, les regrets même de César, qui ne peut refuser des larmes au sort de son ennemi, répandent de temps en temps sur cette pièce une sorte de deuil majestueux qui convient à la tragédie. La scène où Cornélie vient avertir César des complots formés contre sa vie par Ptolomée et Photin est encore une de ces hautes conceptions qui caractérisent le grand Corneille, et rappellent l'auteur des Horaces et de Cinna. (LA H.)

comme elle sait qu'il est amoureux de cette reine, et qu'elle peut douter qu'au retour de son combat, les trouvant ensemble, il ne lui fasse le premier compliment, le soin qu'elle a de conserver la dignité romaine lui fait prendre la

ailleurs à l'eunuque Photin, qui gouvernait sous le nom de son frère Ptolomée :

Quem non e nobis credit Cleopatra nocentem,
A quo casta fuit?

parole la première, et obliger par là César à lui répondre je trouve qu'à bien examiner l'histoire, elle n'avait que de

avant qu'il puisse dire rien à l'autre.

Pour le temps, il m'a fallu réduire en soulèvement tumultuaire une guerre qui n'a pu durer guère moins d'un an, puisque Plutarque rapporte qu'incontinent après que César fut parti d'Alexandrie, Cléopâtre accoucha de Césa

rion. Quand Pompée se présenta pour entrer en Égypte,

cette princesse et le roi son frère avaient chacun leur armée prête à en venir aux mains l'une contre l'autre, et n'avaient garde ainsi de loger dans le même palais. César, dans ses Commentaires, ne parle point de ses amours avec elle, ni que la tête de Pompée lui fut présentée quand il arriva : c'est Plutarque et Lucain qui nous apprennent l'un et l'autre ; mais ils ne lui font présenter cette tête que par un des ministres du roi, nommé Théodote, et non pas par le roi même, comme je l'ai fait.

Il y a quelque chose d'extraordinaire dans le titre de ce poëme, qui porte le nom d'un héros qui n'y parle point; mais il ne laisse pas d'en être, en quelque sorte, le principal acteur, puisque sa mort est la cause unique de tout ce qui s'y passe. J'ai justifié ailleurs l'unité d'action qui s'y rencontre, par cette raison que les événements y ont une telle dépendance l'un de l'autre, que la tragédie n'aurait pas été complète, si je ne l'eusse poussée jusqu'au terme où je la fais finir. C'est à ce dessein que, dès le premier acte, je fais connaître la venue de César, à qui la cour d'Égypte immole Pompée pour gagner les bonnes grâces du victorieux; et ainsi il m'a fallu nécessairement faire voir quelle réception il ferait à leur lâche et cruelle politique. J'ai avancé l'âge de Ptolomée, afin qu'il pût agir, et que, portant le titre de roi, il tâchât d'en soutenir le caractère. Bien que les historiens et le poëte Lucain l'appellent communément rex puer, le roi enfant, il ne l'était pas à tel point qu'il ne fût en état d'épouser sa sœur Cléopâtre, comme l'avait ordonné son père. Hirtius dit qu'il était puer jam adulta ætate; et Lucain appelle Cléopâtre incestueuse, dans ce vers qu'il adresse à ce roi par apostrophe:

Incesta sceptris cessure sororis ;

soit qu'elle eût déjà contracté ce mariage incestueux, soit à cause qu'après la guerre d'Alexandrie et la mort de Ptolomée, César la fit épouser à son jeune frère, qu'il rétablit dans le trône d'où l'on peut tirer une conséquence infaillible, que si le plus jeune des deux frères était en âge de se marier quand César partit d'Égypte, l'aîné en était capable quand il y arriva, puisqu'il ne tarda pas plus d'un an.

Le caractère de Cléopâtre garde une ressemblance ennoblie par ce qu'on y peut imaginer de plus illustre. Je ne la fais amoureuse que par ambition, et en sorte qu'elle semble n'avoir point d'amour qu'en tant qu'il peut servir à sa grandeur. Quoique la réputation qu'elle a laissée la fasse passer pour une femme lascive et abandonnée à ses plaisirs, et que Lucain, peut-être en haine de César, la nomme en quelque endroit meretrix regina, et fasse dire

l'ambition sans amour, et que, par politique, elle se servait des avantages de sa beauté pour affermir sa fortune. Cela paraît visible, en ce que les historiens ne marquent point qu'elle se soit donnée qu'aux deux premiers hommes da monde, César et Antoine; et qu'après la déroute de ce dernier, elle n'épargna aucun artifice pour engager Auguste dans la même passion qu'ils avaient eue pour elle, et hit voir par là qu'elle ne s'était attachée qu'à la haute puissance d'Antoine, et non pas à sa personne.

Pour le style, il est plus élevé en ce poème qu'en aucun des miens, et ce sont, sans contredit, les vers les plus

Il est important de faire ici quelques réflexions sur le style de la tragédie. On a accusé Corneille de se méprendre un pra à cette pompe des vers, et à cette prédilection qu'il témoigne pour le style de Lucain; il faut que cette pompe n'aille jamais jusqu'à l'enflure et à l'exagération : on n'estime point dans La cain Bella per Emathios plus quam civilia campos; on e time Nil actum reputans, si quid superesset agendum. De même, les connaisseurs ont toujours condamné dans Pomper Les fleuves rendus rapides par le débordement des parric des, et tout ce qui est dans ce goût; ils ont admiré,

O ciel! que de vertus vous me faites hair!

Restes d'un demi-dieu, dont à peine je puis
Égaler le grand nom, tout vainqueur que j'en suis.

Voilà le véritable style de la tragédie : il doit être toujours d'a simplicité noble, qui convient aux personnes du premier rang jamais rien d'ampoulé ni de bas, jamais d'affectation ni d'obsc rité. La pureté du langage doit être rigoureusement observer tous les vers doivent être harmonieux, sans que cette harmoni dérobe rien à la force des sentiments. Il ne faut pas que les ver marchent toujours de deux en deux, mais que tantôt une pense soit exprimée en un vers, tantôt en deux ou trois, quelque dans un seul hémistiche; on peut étendre une image dans phrase de cinq ou six vers, ensuite en renfermer une autre dan un ou deux. Il faut souvent finir un sens par une rime, et con mencer un autre sens par la rime correspondante. Ce sont t tes ces règles, très-difficiles à observer, qui donnent aux ve la grace, l'énergie, l'harmonie, dont la prose ne peut ja approcher. C'est ce qui fait qu'on retient par cœur, méme tha gré soi, les beaux vers. Il y en a beaucoup de cette espece da Hes belles tragédies de Corneille. Le lecteur judicieux fait is ment la comparaison de ces vers harmonieux, naturels, énergiques, avec ceux qui ont les défauts contraires; et c'e par cette comparaison que le goût des jeunes gens pourra former aisément. Ce goùt juste est bien plus rare qu'en pense: peu de personnes savent bien leur langue; pen dist guent au théâtre l'enflure de la dignité; peu démêlent les venances. On a applaudi pendant plusieurs années à des pense fausses et révoltantes: on battait des mains lorsque Baron pr nonçait ce vers :

Il est, comme à la vie, un terme à la vertu.

On s'est récrié quelquefois d'admiration à des maximes no moins fausses. Ce qu'il y a d'étrange, c'est qu'un peuple qu pour modèle de style les pièces de Racine ait pu applaudiri temps des ouvrages où la langue et la raison sont égaleme blessées d'un bout à l'autre. (V.)

pompeux que j'aie faits. La gloire n'en est pas toute à moi; j'ai traduit de Lucain tout ce que j'y ai trouvé de propre à mon sujet; et comme je n'ai point fait de scrupule d'enrichir notre langue du pillage que j'ai pu faire chez lui, j'ai tâché, pour le reste, à entrer si bien dans sa manière de former ses pensées et de s'expliquer, que ce qu'il m'a fallu y joindre du mien sentit son génie, et ne fût pas indigne d'être pris pour un larcin que je lui eusse fait. J'ai parlé, en l'examen de Polyeucte, de ce que je trouve à dire en la confidence que fait Cléopâtre à Charmion au second acte; il ne me reste qu'un mot touchant les narrations d'Achorée, qui ont toujours passé pour fort belles : en quoi je ne veux pas aller contre le jugement du public, mais seulement faire remarquer de nouveau que celui qui les fait et les personnes qui les écoutent ont l'esprit assez

tranquille pour avoir toute la patience qu'il y faut donner. Celle du troisième acte, qui est à mon gré la plus magnifique, a été accusée de n'être pas reçue par une personne digne de la recevoir : mais bien que Charmion qui l'écoute ne soit qu'une domestique de Cléopâtre, qu'on peut toutefois prendre pour sa dame d'honneur, étant envoyée exprès par cette reine pour l'écouter, elle tient lieu de cette reine même, qui cependant montre un orgueil digne d'elle, d'attendre la visite de César dans sa chambre sans aller au. deyant de lui. D'ailleurs Cléopâtre eût rompu tout le reste de ce troisième acte, si elle s'y fût montrée; et il m'a fallu la cacher par adresse de théâtre, et trouver pour cela dans l'action un prétexte qui fût glorieux pour elle, et qui ne laissât point paraître le secret de l'art qui m'obligeait à l'empêcher de se produire.

FIN DE POMPÉE.

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MONSIEUR,

ÉPITRE.

Vega, de peur de m'égarer dans les détours de tant d'in-
triques que fait notre Menteur. En un mot, ce n'est ici
qu'une copie d'un excellent original qu'il a mis au jour
sous le titre de la Verdad sospechosa; et, me fiant sur
notre Horace, qui donne liberté de tout oser aux pocies
ainsi qu'aux peintres, j'ai cru que, nonobstant la guerre
des deux couronnes, il m'était permis de trafiquer en Es-
pagne. Si cette sorte de commerce était un crime, il y a
longtemps que je serais coupable, je ne dis pas seulement
pour le Cid, où je me suis aidé de dom Guillem de Castro,
mais aussi pour Médée, dont je viens de parler, et pour
Pompée même, où, pensant me fortifier du secours de
deux Latins, j'ai pris celui de deux Espagnols, Sénèque et
Lucain étant tous deux de Cordoue. Ceux qui ne voudroal
pas me pardonner cette intelligence avec nos ennemis ap
prouveront du moins que je pille chez eux; et, soit qu'au
fasse passer ceci pour un larcin ou pour un emprunt, je
m'en suis trouvé si bien, que je n'ai pas envie que ce soil
dernier que je ferai chez eux. Je crois que vous en serez
d'avis, et ne m'en estimerez pas moins.
Je suis,

Je vous présente une pièce de théâtre d'un style si éloigné de ma dernière, qu'on aura de la peine à croire qu'elles soient parties toutes deux de la même main, dans le même hiver. Aussi les raisons qui m'ont obligé à y travailler ont été bien différentes. J'ai fait Pompée pour satisfaire à ceux qui ne trouvaient pas les vers de Polyeucte si puissants que ceux de Cinna, et leur montrer que j'en saurais bien retrouver la pompe quand le sujet le pourrait souffrir; j'ai fait le Menteur pour contenter les souhaits de beaucoup d'autres qui, suivant l'humeur des Français, aiment le changement, et, après tant de poëmes graves dont nos meilleures plumes ont enrichi la scène, m'ont demandé quelque chose de plus enjoué qui ne servit qu'à les divertir. Dans le premier, j'ai voulu faire un essai de ce que pou-le vaient la majesté du raisonnement et la force des vers dénués de l'agrément du sujet; dans celui-ci, j'ai voulu tenter ce que pourrait l'agrément du sujet dénué de la force des vers. Et d'ailleurs, étant obligé au genre comique de ma première réputation, je ne pouvais l'abandonner tout à fait sans quelque espèce d'ingratitude. Il est vrai que, comme alors que je me hasardai à le quitter, je n'osai me fier à mes seules forces, et que, pour m'élever à la dignité du tragique, je pris l'appui du grand Sénèque 2, à qui j'empruntai tout ce qu'il avait donné de rare à sa Médée: ainsi, quand je me suis résolu de repasser du héroïque au naïf, je n'ai osé descendre de si haut sans m'assurer d'un guide, et me suis laissé conduire au fameux Lope de

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Bien que cette comédie et celle qui la suit soient toutes deux de l'invention de Lope de Vega, je ne vous les donne point dans le même ordre que je vous ai donné le Cid et Pompée, dont en l'un vous avez vu les vers espagnols, et ca l'autre les latins, que j'ai traduits ou imités de Guillem Castro et de Lucain. Ce n'est pas que je n'aie ici emprunte beaucoup de choses de cet admirable original; mais, conne j'ai entièrement dépaysé les sujets pour les habiller à la française, vous trouveriez si peu de rapport entre l'Esjagnol et le Français, qu'au lieu de satisfaction vous n'en re cevriez que de l'importunité.

Il faut avouer que nous devons à l'Espagne la première tragédie touchante et la première comédie de caractère qui aient illustré la France. Ne rougissons point d'être venus tard dans tous les genres. C'est beaucoup que, dans un temps où l'on ne connaissait que des aventures romanesques et des turlupinades, Corneille mit la morale sur le théâtre. Ce n'est qu'une traduction; mais c'est probablement à cette traduction que nous devons Molière. Il est impossible, en effet, que l'inimitable Molière ait vu cette pièce sans voir tout d'un coup la prodigieuse supériorité que ce genre a sur tous les autres, et sans s'y livrer entièrement. Il y a autant de distance de Mélite au Menteur Par exemple, tout ce que je fais conter à notre Mente que de toutes les comédies de ce temps-là à Mélite : ainsi Cor- des guerres d'Allemagne, où il se vante d'avoir été, l'ES neille a réformé la scène tragique et la scène comique par d'heu-pagnol le lui fait dire du Pérou et des Indes, dont il fait le reuses imitations. (V.)

2 Sénèque le tragique n'est souvent qu'un déclamateur qui ne méritait pas le nom de grand de la part du grand Corneille. (P.)

Pictoribus atque poëtis
Quidlibet audendi semper fuit æqua potestas.
De Arte poetica, v. 10.

nouvean revenu; et ainsi de la plupart des autres incidents, qui, bien qu'ils soient imités de l'original, n'ont presque point de ressemblance avec lui pour les pensées, ni pour les termes qui les expriment. Je me contenterai donc de vous avouer que les sujets sont entièrement de lui, comme vous les trouverez dans la vingt et deuxième partie de ses comédies. Pour le reste, j'en ai pris tout ce qui s'est pu accommoder à notre usage; et s'il m'est permis de dire mon sentiment touchant une chose où j'ai si peu de part, je vous avouerai en même temps que l'invention de celle-ci me

charme tellement, que je ne trouve rien à mon gré qui lui soit comparable en ce genre, ni parmi les anciens, ni parmi les modernes. Elle est toute spirituelle depuis le commencement jusqu'à la fin, et les incidents si justes et si gracieux, qu'il faut être, à mon avis, de bien mauvaise humeur pour n'en approuver pas la conduite, et n'en aimer pas la représentation.

Je me défierais peut-être de l'estime extraordinaire que j'ai pour ce poëme, si je n'y étais confirmé par celle qu'en a faite un des premiers hommes de ce siècle, et qui nonseulement est le protecteur des savantes muses dans la Hollande, mais fait voir encore par son propre exemple que les grâces de la poésie ne sont pas incompatibles avec es plus hauts emplois de la politique et les plus nobles 'onctions d'un homme d'État. Je parle de M. de Zuylichem, ecrétaire des commandements de monseigneur le prince | l'Orange. C'est lui que MM. Heinsius et Balzac ont pris omme pour arbitre de leur fameuse querelle, puisqu'ils ui ont adressé l'un et l'autre leurs doctes dissertations, et qui n'a pas dédaigné de montrer au public l'état qu'il fait le cette comédie par deux épigrammes, l'un français et 'autre latin, qu'il a mis au-devant de l'impression qu'en nt faite les Elzeviers, à Leyden. Je vous les donne ici 'autant plus volontiers, que, n'ayant pas l'honneur d'être onnu de lui, son témoignage ne peut être suspect, et u'on n'aura pas lieu de m'accuser de beaucoup de vanité our en avoir fait parade, puisque toute la gloire qu'il m'y onne doit être attribuée au grand Lope de Vega, que eut-être il ne connaissait pas pour le premier auteur de ette merveille du théâtre.

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ACTE PREMIER.

SCÈNE PREMIÈRE.

DORANTE, CLITON.

DORANTE.

A la fin j'ai quitté la robe pour l'épée :
L'attente où j'ai vécu n'a point été trompée ;
Mon père a consenti que je suive mon choix,
Et j'ai fait banqueroute à ce fatras de lois 1.
Mais puisque nous voici dedans les Tuileries 2,
Le pays du beau monde et des galanteries,
Dis-moi, me trouves-tu bien fait en cavalier?
Ne vois-tu rien en moi qui sente l'écolier?
Comme il est malaisé qu'aux royaumes du code
On apprenne à se faire un visage à la mode,
J'ai lieu d'appréhender...

CLITON.

Ne craignez rien pour vous

Vous ferez en une heure ici mille jaloux.
Ce visage et ce port n'ont point l'air de l'école,
Et jamais comme vous on ne peignit Barthole :
Je prévois du malheur pour beaucoup de maris.
Mais que vous semble encor maintenant de Paris?
DORANTE.

J'en trouve l'air bien doux, et cette loi bien rude
Qui m'en avait banni sous prétexte d'étude.

Toi, qui sais les moyens de s'y bien divertir, Ayant eu le bonheur de n'en jamais sortir, Dis-moi comme en ce lieu l'on gouverne les dames.

CLITON.

C'est là le plus beau soin qui vienne aux belles âmes 3,
Disent les beaux-esprits. Mais, sans faire le fin,
Vous avez l'appétit ouvert de bon matin!
D'hier au soir seulement vous êtes dans la ville,
Et vous vous ennuyez déjà d'être inutile!

Votre humeur sans emploi ne peut passer un jour!
Et déjà vous cherchez à pratiquer l'amour 4!
Je suis auprès de vous en fort bonne posture
De passer pour un homme à donner tablature;
J'ai la taille d'un maître en ce noble métier 5,

1 On disait alors faire banqueroute, pour abandonner, renoncer, quitter, se détacher, mais mal à propos : banqueroute était impropre, même en ce temps-là, dans l'occasion où l'auteur l'emploie. Dorante ne fait pas banqueroute aux lois, puisque son père consent qu'il renonce à cette profession. (V.) 2 Nous avons souvent remarqué ailleurs que dedans est une légère faute, et qu'il faut dans. (V.)

On prend un soin, on a un soin, on se charge d'un soin, on rend des soins; mais un soin ne vient pas. (V.)

4 On ne pratique point l'amour comme on pratique le barreau, la médecine. (V.)

5

Quoique Corneille ait épuré le théâtre dans ses premières

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