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Et lui plonge trois fois un poignard dans le sein
Avant qu'aucun de nous ait pu voir son dessein.
Nos bras étaient levés pour l'en punir sur l'heure;
Mais le duc par nos mains ne consent pas qu'il meure,
Et son dernier soupir est un ordre nouveau
De garder tout son sang à celle d'un bourreau.
Ainsi ce fugitif retombe dans sa chaîne,

Et vous pouvez, seigneur, ordonner de sa peine :
Le voici.

GRIMOALD.

Quel combat pour la seconde fois!

SCÈNE V.

PERTHARITE, GRIMOALD, RODELINDE, ÉDUIGE, UNULPHE, SOLDATS.

PERTHARITE.

Tu me revois, tyran qui méconnais les rois;
Et j'ai payé pour toi d'un si rare service
Celui qui rend ma tête à ta fausse justice.
Pleure, pleure ce bras qui t'a si bien servi;
Pleure ce bon sujet que le mien t'a ravi.
Hâte-toi de venger ce ministre fidèle;
C'est toi qu'à sa vengeance en mourant il appelle.
Signale ton amour, et parais aujourd'hui,
S'il fut digne de toi, plus digne encor de lui.
Mais cesse désormais de traiter d'imposture
Les traits que sur mon front imprime la nature.
Milan m'a vu passer, et partout en passant
J'ai vu couler ses pleurs pour son prince impuissant;
Tu lui déguiserais en vain ta tyrannie :
Pousse-s-en jusqu'au bout l'insolente manie;
Et quoi que ta fureur te prescrive pour moi,
Ordonne de mes jours comme de ceux d'un roi.

GRIMOALD.

Oui, tu l'es en effet, et j'ai su te connaître
Dès le premier moment que je t'ai vu paraître.
Si j'ai fermé les yeux, si j'ai voulu gauchir,
Des maximes d'État j'ai voulu t'affranchir,
Et ne voi pas ma gloire indignement trahie
Par la nécessité de m'immoler ta vie.
De cet aveuglement les soins mystérieux
Empruntaient les dehors d'un tyran furieux,
Et forçaient ma vertu d'en souffrir l'artifice,
Pour t'arracher ton nom par l'effroi du supplice.
Mais mon dessein n'était que de t'intimider,
Ou d'obliger quelqu'un à te faire évader.
Unulphe a bien compris, en serviteur fidèle,
Ce que ma violence attendait de son zèle;
Mais un traître pressé par d'autres intérêts
A rompu tout l'effet de mes désirs secrets.
Ta main, grâces au ciel, nous en a fait justice.
Cependant ton retour m'est un nouveau supplice.

Car enfin que veux-tu que je fasse de toi?
Puis-je porter ton sceptre, et te traiter de roi?
Ton peuple qui t'aimait pourra-t-il te connaître,
Et souffrir à tes yeux les lois d'un autre maître?
Toi-même pourras-tu, sans entreprendre rien,
Me voir jusqu'au trépas possesseur de ton bien?
Pourras-tu négliger l'occasion offerte,

Et refuser ta main ou ton ordre à ma perte?

Si tu n'étais qu'un lâche, on aurait quelque espoir Qu'enfin tu pourrais vivre, et ne rien émouvoir; Mais qui me croit tyran, et hautement me brave, Quelque faible qu'il soit, n'a point le cœur d'esclave, Et montre une grande âme au-dessus du malheur, Qui manque de fortune, et non pas de valeur. Je vois done malgré moi ma victoire asservie A te rendre le sceptre, ou prendre encor ta vie : Et plus l'ambition trouble ce grand effort, Plus ceux de ma vertu me refusent ta mort. Mais c'est trop retenir ma vertu prisonnière; Je lui dois comme à toi liberté tout entière : Et mon ambition a beau s'en indigner, Cette vertu triomphe, et tu t'en vas régner.

[tre,

Milan, revois ton prince, et reprends ton vrai maiQu'en vain pour t'aveugler j'ai voulu méconnaître, Et vous que d'imposteur à regret j'ai traité...

PERTHARITE.

Ah! c'est porter trop loin la générosité.
Rendez-moi Rodelinde, et gardez ma couronne,
Que pour sa liberté sans regret j'abandonne.
Avec ce cher objet tout destin m'est trop doux.

GRIMOALD.

Rodelinde, et Milan, et mon cœur, sont à vous;
Et je vous remettrais toute la Lombardie,
Si comme dans Milan je régnais dans Pavie.
Mais vous n'ignorez pas, seigneur, que le feu roi
En fit reine Éduige; et, lui donnant ma foi,
Je promis...

ÉDUIGE, à Grimoald.

Si ta foi t'oblige à la défendre,
Ton exemple m'oblige encor plus à la rendre;
Et je mériterais un nouveau changement,
Si mon cœur n'égalait celui de son amant.
PERTHARITE, à Éduige.

Son exemple, ma sœur, en vain vous y convie.
Avec ce grand héros je vous laisse Pavie;
Et me croirais moi-même aujourd'hui malheureux,
Si je voyais sans sceptre un bras si généreux.
RODELINDE, à Grimoald.
Pardonnez si ma haine a trop cru l'apparence.
Je présumais beaucoup de votre violence;
Mais je n'aurais osé, seigneur, en présumer
Que vous m'eussiez forcée enfin à vous aimer.
GRIMOALD, à Rodelinde.
Vous m'avez outragé sans me faire injustice.

RODELINDE.

Qu'une amitié si ferme aujourd'hui nous unisse,
Que l'un et l'autre État en admire les nœuds,
Et doute avec raison qui règne de vous deux.

PERTHARITE.

Pour en faire admirer la chaîne fortunée,
Allons mettre en éclat cette grande journée,
Et montrer à ce peuple, heureusement surpris,
Que des hautes vertus la gloire est le seul prix1.

Cette pièce, comme on sait, fut malheureuse; elle ne put être représentée qu'une fois : le public fut juste. Corneille, à la fin de l'Examen, dit que les sentiments en sont assez vifs et nobles, et les vers assez bien tournés. Le respect pour la vérité, toujours plus fort que le respect pour Corneille, oblige d'avouer que les sentiments sont outrés et faibles, et rarement nobles; et que les vers, loin d'être bien tournés, sont presque tous d'une prose comique rimée. Dès la seconde scène Eduige dit à Rodelinde :

Je ne vous parle pas de votre Pertharite:

Mais il se pourra faire enfin qu'il ressuscite,
Qu'il rende à vos désirs leur juste possesseur;
Et c'est dont je vous donne avis en bonne sœur.

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Les noms seuls des héros de cette pièce révoltent : c'est une Eduige, un Grimoald, un Unulphe. L'auteur de Childebrand ne choisit pas plus mal son sujet et son héros. Il est peut-être utile pour l'avancement de l'esprit humain, et pour celui de l'art théâtral, de rechercher comment Corneille, qui devait s'élever toujours après ses belles pièces, qui connaissait le théâtre, c'est-à-dire, le cœur humain; qui était plein de la lecture des anciens, et dont l'expérience devait avoir fortifié le génie, tomba pourtant si bas, qu'on ne peut supporter ni la conduite, ni les sentiments, ni la diction de plusieurs de ses dernières pièces. N'est-ce point qu'ayant acquis un grand nom, et ne possédant pas une fortune digne de son mérite, il fut forcé souvent de travailler avec trop de háte? Conatibus obstat res angusta domi. Peut-être n'avait-il pas d'ami éclairé et sévère : il avait contracté une malheureuse habitude de se permettre tout, et de parler mal sa langue; il ne savait pas, comme Racine, sacrifier de beaux vers, et des scènes entières. Les pièces précédentes de Nicomède et de don Sanche d'Aragon n'avaient pas eu un brillant succès; cette décadence devait l'avertir de faire de nouveaux efforts, mais il se reposait sur sa réputation: sa gloire nuisait à son génie; il se voyait sans rival, on ne citait que lui, on ne connaissait que lui. Il lui arriva la même chose qu'à Lulli, qui, ayant excellé dans la musique de déclamation, à l'aide de l'inimitable Quinault, fut très-faible, et se négligea souvent dans presque tout le reste; manquant de rival, comme Corneille, il ne tit point d'efforts pour se surpasser lui-même : ses contemporains ne connaissaient pas sa faiblesse; il a fallu que longtemps après il soit venu un homme supérieur

EXAMEN 'DE PERTHARITE.

Le succès de cette tragédie a été si malheureux, que, pour m'épargner le chagrin de m'en souvenir, je n'en dirai presque rien. Le sujet est écrit par Paul Diacre, aux qua trième et cinquième livres des Gestes des Lombards; et, depuis lui, par Erycius Puteanus, au second livre de son Histoire des Invasions de l'Italie par les Barbares. Ce qui l'a fait avorter au théâtre a été l'événement extraordinaire qui me l'avait fait choisir on n'y a pu supporter qu'un roi dépouillé de son royaume, après avoir fait tout son possible pour y rentrer, se voyant sans forces et sans amis, en cède à son vainqueur les droits inutiles, afin de retirer sa femme prisonnière de ses mains; tant les vertus de bon mari sont peu à la mode! On n'y a pas aimé la surprise avec laquelle Pertharite se présente au troisième acte, quoique le bruit de son retour soit épandu dès le premier, ni que Grimoald reporte toutes ses affections à Eduige, sitôt qu'il a reconnu que la vie de Pertharite, qu'il avait cru mort jusque-là, le mettait dans l'impossibilité de réussir auprès de Rodelinde. J'ai parlé ailleurs de l'inégalité de l'emploi des personnages, qui donne à Rodelinde le premier rang dans les trois premiers actes, et la réduit au se- | cond ou au troisième dans les deux derniers. J'ajoute ici, malgré sa disgrâce, que les sentiments en sont assez vifs et nobles, les vers assez bien tournés, et que la façon dont le sujet s'explique dans la première scène ne manque pas d'artifice.

pour que les Français, qui ne jugent des arts que par comparaison, sentissent combien la plupart des airs détachés et des symphonies de Lulli ont de faiblesse. Ce serait à regret que j'imprimerais la pièce de Pertharite, si je ne croyais y avoir dé couvert le germe de la belle tragédie d’Andromaque. Serait-il possible que ce Pertharite fût en quelque façon le père de la tragedie pathétique, élégante et forte d'Andromaque? piece admirable, à quelques scènes de coquetterie près, dont le vice même est déguisé par le charme d'une poésie parfaite et par l'usage le plus heureux qu'on ait jamais fait de la langue française. L'excellent Racine donna son Andromaque en 1668, neuf** ans après Pertharite. Le lecteur peut consulter le commentaire qu'on trouvera dans le second acte; il y trouvera toute la disposition de la tragédie d'Andromaque, et même la plupart des sentiments que Racine a mis en œuvre avec tant de superiorité: il verra comment d'un sujet manqué, et qui paraît trèsmauvais, on peut tirer les plus grandes beautés, quand on sait les mere à leur place. (V.)

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FIN DE PERTHARITE.

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