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'des nombres à deviner, des influences à croire, toujours de la magie.

Que deviendroient les malheureux, fans les rêves qui endorment quelquefois leur douleur ? Peutêtre n'ont-ils jamais rien goûté de fi doux que quelques douces rêveries. Ils font bien moins redevables aux promeffes de l'efpérance qui les fait fourire à l'avenir, qu'au charme de ces illufions qui les font jouir du préfent.

On répete tous les jours que les Ouvrages de l'Abbé de Saint-Pierre font les rêves d'un homme de bien : fi l'on veut dire des rêveries, j'en suis fâché pour ceux qui parlent ainfi. Ce bon Abbé a beaucoup de projets excellens : mais il faut fentir en foi le courage & les reffources de l'homme de bien, pour comprendre tout ce qu'il eft capable & feul capable d'exécuter.

La réverie eft une fituation de l'ame qui s'abandonne doucement & fe livre enfin toute entiere à fes penfées, à fes imaginations, à fes réflexions. Mais il s'agit ici de l'acte & non de l'état, d'une rêverie, fynonyme d'un réve.

Erie eft une terminaifon grecque. J'ai dit que le mot er, de même qu'or, er, défigne la force, la puiffance, la capacité d'agir, de faire, En grec, l'initiale eri, employée dans la composition d'une foule de mots, marque l'intenfité, la grandeur; & le verbe eiroó exprime l'action de travailler. Notre terminaifon erie s'applique à des objets fi différens, qu'elle paroît abfolument changer d'idée; ainfi verrerie, infanterie, badinerie, &c., ne femblent point recevoir de leur terminaison

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commune un même fens. Je crois néanmoins qu'en général elle fe réduit à exprimer un genre ou une efpece particuliere de chofes, d'action, de deftination, ou les chofes d'un tel genre, d'une telle efpece telle eft du moins fa fignification

ordinaire.

Ainfi nous appellons différentes fortes d'Arts, Imprimerie, Orfevrerie, Parcheminerie, Serruterie, Verrerie, &c.

Ainfi, des lieux particuliérement destinés à telle ou telle espece d'ouvrage ou de travail, nous les appellons Verrerie, Imprimerie, Raffinerie, Fonderie, Papeterie, Laiterie, Léprojerie, &c.

Ainfi, tels ou tels gentes, telles ou telles fortes d'ouvrages ou de marchandifes s'appellent Mercerie, Soierie, Argenterie, Poterie, Clinquaillerie, Sucrerie, &c.

Ainfi, la Gruerie eft un Tribunal particulier pour la confervation des bois; la Mairie, l'office particulier de Maire ; la Chancellerie, le lieu deftiné à fceller les Lettres du Prince; la Cavalerie, un Corps particulier de troupes, &c.

Ainfi, la réverie, l'étourderie, l'ivrognerie, la fourberie, l'efcroquerie, la raillerie, la pruđerie, la coquetterie, &c., font ou les qualités propres, ou les traits, les tours, les actions propres du reveur, de l'étourdi, de l'ivrogne, de l'efcroc, de la prude, de la coquette, &c.

Rêve, Songe.

Je n'ai trouvé aucune raifon de dire que le mot reve a, par lui-même, quelque rapport au fom

meil. Borel obferve qu'on difoit autrefois redder, pour fignifier réver en dormant : la circonftance du fommeil n'étoit donc pas défignée par le mot réver. Rave, en anglois, rêver, fignifie déraifonner, extravaguer, être en délire, & non pas fonger (dream). Il en eft de même de l'efpagnol defvariar, & de l'italien vaneggiare, qui défignent, fans rapport au fonge, le rêve, la vanité des penfées, leur bizarrerie, l'extravagance. Defvariar & vaneggiare fignifient également réver & radoter: ces deux mots différent en ce que le rêve est dans l'efprit, & le radotage dans le difcours; comme auffi le radotage eft plutôt d'un efprit foible, & le rêve d'une imagination folle. Ainfi rêver fignifie proprement s'imaginer route forte de chofes, vaguer d'un objet à l'autre, fans aucune fuite, rouler dans fon efprit toute forte de penfées découfues & difparates on difoit autrefois refver; re, res, fignifie chofe, objet, vu, vue; ver, tourner, rouler. Ce mot a beaucoup d'analogie avec le mot latin reri, s'imaginer, fe figurer, s'imaginer voir, fe mettre dans l'efprit.

Quant au fonge, il eft évidemment tiré du fommeil, en latin, fomnium, en italien, sonno, en ef→ pagnol, fuéno, en polonois, fen, en grec,, hupnos, &c. Le grec vos comme le celte hun, hyn, imite le fon que le fouffle rend, dans le fommeil, en paffant par le nez. Le fonge eft donc évidemment une chofe propre au fommeil. Auffi voyons nous, dans les Remarques de Vaugelas, que des gens délicats ne pouvoient fe réfoudre à dire fonger pour penfer ou réver à une chofe, attendu que ce mot avoit un fens particulier.

Ainfi, dans le feits propre, l'homme éveillé fait

des rêves: on ne dira pas qu'il fait des fonges. Les réves du délire ne s'appellent pas des fonges. Nous difons des rêves plutôt que des fonges politiques. Les chimeres, les imaginations, les idées fantaftiques d'un vifionnaire reffemblent affez à des fonges; mais elles ne font que des rêves. Le rêve n'eft donc pas proprement un fonge fait en dormant, comme le difent les Vocabuliftes & comme fi l'on faifoit autrement des fonges qu'en dormant. Le fonge n'eft que du fommeil : le réve eft de la veille comme du fommeil.

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Dans l'état de veille, l'abstraction de l'efprit, une paffion concentrée, des contemplations extatiques nous bercent de rêves: poffédés par nos penfées, nous ne voyons plus, nous n'entendons plus; c'eft un demi-fommeil. Dans l'état de fommeil, l'ébranlement des nerfs, le défordre des humeurs, l'agitation du fang ou celle de l'ame, provoquent les fonges: l'imagination réveillée, nous voyons en elle, nous entendons ; c'est une demi-veille. ; Rien ne reffemble plus aux fonges de la nuit,

que les rêves du jour : c'eft toujours le travail d'une imagination déréglée. Les rêves du jour ont fouvent engendré les fonges de la nuit ; & les fonges de la nuit produifent fouvent encore les rêves du jour. Les foupçons du jaloux, par exemple, feront des réves; & les fonges feront des vifions.

Ces vifionnaires, fi communs dans l'Orient, qui voyent dans leurs extafes tout ce qu'ils imaginent, font d'autant plus perfuadés de la réalité des objets de leurs vifions, qu'ils ont fait leurs rêves les yeux ouverts; & qu'ils ne peuvent les confondre avec des fonges.

: Occupez-vous, & vous ferez peu de rêves: point d'excès, & vous ferez peu de fonges.

Du refte, je ne prétends pas infifter fur cette différence; je ne propofe qu'une conjecture.

Mais enfin les rêves faits en dormant ne different-ils pas des fonges? Ils en different en ce que les rêves, plus vagues, plus étranges, plus incohérens, plus défordonnés n'ont aucune apparence de raifon, & ne laiffent guere de trace, parce qu'ils n'ont guere de fuite: tandis que les fonges plus frappés, plus fentis, plus liés, plus féduifans, femblent avoir une apparence de raifon, & laiffent dans le cerveau des traces plus profondes. Avec le fommeil, le rêve paffe : le fonge refte après le fommeil. Vous direz un mot de vos rêves, trop découfus & trop extravagans pour être retenus : vous raconterez vos fonges, affez préfens & affez remarquables pour être rapportés. Il femble que le fonge foit plutôt d'un efprit préoccupé, & le rêve d'une imagination exaltée.

Macrobe, Songe de Scipion, l. 1, diftingue plufieurs efpeces de fonges. L'une, produite par les affections préfentes du corps & de l'ame, ne fignifie rien, & le réveil la diffipe; c'est l'infomnium des Latins, l'ivú des Grecs, c'est le rêve. Une autre, produite par une cause furnaturelle, eft douée d'une vertu prophétique, & ces fonges reftent gravés dans la mémoire comme des avis faits pour être expliqués par la divination : ce ferdit le fonge proprement dit, fomnium, vs. Selon cette doctrine commune à tous les peuples anciens, le rêve ne préfente que de vains fantômes; & le fonge révele des myfteres. Cette différence n'existe fans doute pas dans les chofes; mais elle aide à difcerner celle des termes.

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