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me étoit devenue d'un affez bel ufage pour avoir fervi aux Chansons, qui étant communément des morceaux de goût & de génie, ne font faites, que pour des perfonnes de mérite, ou pour celles, qui compofent ce qu'on appelle le beau monde.

Les recherches fur la Langue fe font multipliées, je les ai fuivies de régne en régne, & après que j'ai eu receuilli bien des paffages & des autorités, il m'a femblé, que du tout on pouvoit former une Hiftoire, qui ne feroit point déplacée en cet endroit, puifqu'elle ne viendroit, que jufqu'au tems approchant, que le Roy de Navarre compofoit les Chanfons, que j'avois intention de publier.

Ayant été précédé dans le deffein de cette Histoire, pàr plusieurs Auteurs d'une grande réputation, qui ont traité le même fujet, je les ai

fuivis d'auffi près que j'ai pû, quand je les ai trouvés d'accord avec la vérité; mais quand il m'a paru, qu'ils s'en étoient écartés, j'ai facrifié la déférence, que j'ai pour leurs lumieres, au plaifir de rechercher le vrai, & de le dire. Chaque ligne de cet Ecrit eft foutenue, autant qu'il m'a été poffible, de fa preuve; & cette preuve, je l'ai toujours prise à fa fource, fans vouloir m'en rapporter, à d'autres yeux, que les miens.

A cette attention, j'ai joint les avis de feu M. Lancelot, qui fit à la lecture de mon Manufcrit quelques obfervations, dont j'ai profité. L'on me pardonnera, d'exprimer en ce moment, mes regrets d'être privé pour toujours d'un ami auffi verfé, que l'étoit ce Sçavant dans l'étude de notre Hiftoire. Combien de fois a-t-il bien voulu me fervir de Maître & de guide! A chaque ligne que j'écris, je reffens plus vives

ment la grandeur de la perte, que j'ai faite quand la mort l'a ravi à tous les amateurs de notre Hiftoire.

Mon deffein n'a point été de renouveller en Orateur, ou en Grammairien l'ancienne querelle fur l'excellence de notre Langue comparée avec la Latine: tant d'habiles gens fe font mêlés de cette difpute, qu'après bien des ouvrages écrits de part & d'autre, il femble que chaque parti fe foit retiré avec un avantage égal. J'ai tâché feulement de faire voir en Hiftorien, par quels états notre Langue a paffé depuis le commencement du régne de Charlemagne, jufqu'à la fin de celui de Saint Louis, brillante, méprifée, relevée enfuite, elle a effuyé des fortunes bien diverfes. Charlemagne, qui la protégea les premieres années de fon régne, laiffa tomber à la fin, dans un anéantiffement prefqu'abfolu. A fon imitation, ceux qui tenoient quelque

la

rang dans fon Empire, la regarderent d'un œil peu favorable : on négligea de s'en fervir dans les Ecrits de quelque genre qu'ils fuffent: Ouvrages fçavants, ou de fimple curiofité, écrits en Vers ou en Profe; Lettres familieres, tout emprunta la Langue des Latins. Le François fut renfermé dans l'ufage feul de la converfation; à peine peut-on démêler les marques de fon existence, c'eft un ruiffeau, qui fe perd en terre; on n'en fuit le cours qu'au hazard; on n'eft affûré qu'il a perpétuellement coulé, qu'au moment où on le voit fe répandre de nouveau dans la plaine.

En tout tems nous avons eu une Langue Vulgaire ; mais le Latin l'avoit tellement offufquée, qu'on la croyoit prefque perdue. Nul Auteur, pendant près de trois fiécles, n'ofa s'en fervir en écrivant; ceux, qui les premiers tenterent de le faire,

furent troublés par la crainte que leurs Ouvrages ne fuffent méprifés, à cause du langage dans lequel ils les compofoient.

Dans l'espace de tems que je parcours, deux Langues Vulgaires fe font fuccédées : celle qui fut d'ufage fous la deuxième race de nos Rois, n'étoit point la même, que l'autre, qui commença avec le régne d'Hugues Capet.

Les Monumens de la premiere de ces Langues Vulgaires, ne font point affez abondans, pour que j'aye entrepris de faire une comparaison approfondie de la plus ancienne, avec celle qui vint après. Les fermens de Charle-le-Chauve & de Lothaire fon Frere, font les feules pieces qui nous restent du langage vulgaire de la feconde Race, ils fuffifent pour faire voir, que la Langue, dans laquelle ils furent prononcés, différoit prefqu'entierement de

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