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ÉLÉGIES

I

Lettre écrite 1

Quand j'entreprins t'écrire ceste lettre,
Avant qu'un mot à mon gré sçeusse mettre
En cent façons elle fut commencee,
Plus tost escripte, et plus tost effacee,
Soudain fermee et tout soudain declose,
Craignant avoir oublié quelque chose,
Ou d'avoir mis aucun mot à refaire :
Et brievement, je ne sçaurois que faire
De l'envoyer vers toi, mon reconfort 2,
Car pour certain Doubte3 advertissoit fort
Le mien esprit de ne la commencer
Ne devers toy en chemin l'advancer.
Incessamment venoit Doubte me dire :
Homme abusé, que veulx-tu plus escrire?
Tous tes escriptz envoyez à fiance

Sont mis au fond du coffre d'oubliance.
N'as-tu point d'yeulx? ne veois-tu pas, que celle
Ou tu escris, ses nouvelles te celle?

Si tes envoys luy fussent agreables,
Elle t'eust faict responses amyables.

Croy moi, amy, que les choses peu plaisent
Quand on les veoit, si les voyans se taisent.

II

(Elégies, liv. I, 7.)

Lettre reçue

Qui eust pensé que l'on peust concepvoir
Tant de plaisir pour lettres recepvoir?
Qui eust cuydé le desir d'un cœur franc
Estre caché dessoubz ung papier blanc?
Et comment peult ung œil au cœur eslire
Tant de confort par une lettre lire .....

Bien heureuse est la main qui la ploya

1. Ecrite peu de temps après la bataille de Pavie, où il fut fait prisonnier,

2. Toi, ma consolation. Il n'est resté que le verbe réconforter.

3. Personnification qui est un souvenir du Roman de la Rose.

4. Où, à laquelle. Le xvir siècle fait souvent même emploi de où.

5. Penser. Etymol.: cogitare.

6. Comment un œil peut-il faire goûter au cœur tant...?

Et qui vers moy de grace l'envoya !
Bien heureux est qui apporter la sceut,
Et plus heureux celuy qui la receut!
Tant plus avant ceste lettre lisoye

En aise grand, tant plus me deduysoye1;
Car mes ennuyz sur le champ me laisserent
Et mes plaisirs d'augmenter ne cesserent,
Tant que j'euz leu ung mot qui ordonnoit
Que ceste lettre ardre 2 me convenoit.....
Aucunesfoys au feu je la boutoye 3
Pour la brusler, puis soudain l'en ostoye,
Puis l'y remis, et puis l'en recullay.
Mais à la fin à regret la bruslay

En disant Lettre (apres l'avoir baisee),
Puis qu'il luy plaist, tu seras embrasee :
Car j'ayme mieulx dueil en obeissant,
Que tout plaisir en desobeissant.

4

Voyla comment pouldre et cendre devint
L'ayse plus grand qu'à moy oncques advint.
(Elégies, liv. 1, 14.)

ÉGLOGUE

L'ENFANCE DE MAROT

Sur le printemps de ma jeunesse folle,
Je ressemblois l'arondelle qui vole,
Puis çà, puis là: l'aage me conduisoit
Sans paour ne soing, ou le cueur me disoit.
En la forest, sans la crainte des loups,
Je m'en allois souvent cueillir le houx,
Pour faire gluz à prendre oyseaulx ramages
Tous differens de chantz, et de plumages,
Ou me soulais, pour les prendre, entremettre

5

6

1. Je me réjouissais. Etymol.: deducere, détourner, distraire, divertir -Le substantif déduit a aussi ce sens : LA FONTAINE, IV, 20:

Il avoit dans la terre une somme enfonie,
Son cœur avec, n'ayant d'autre déduit

Que d'y ruminer jour et nuit.

2. Qu'il convenait que je brûlasse cette lettre. Ardre, actif, de ardere,

neutre.

3. Bouter, mettre, a vieilli: MOLIÈRE l'emploie deux fois dans le Méde-. cin malgré lui. Etymol.: mot germanique qui signifie heurter, pousser. 4. Le bonheur le plus grand qui...

5. Ramage, adj., bocager, sauvage; subst., 10 branchage, 20 chant des oiseaux sous les branches. Etym.: ramus.

6. J'avais coutume (solebam) de m'employer pour, m'occuper de.

A faire bricz1 ou cages pour les mettre.
Ou transnouois 2 les rivieres profondes
Ou r'enforçois sur le genoil les fondes 3,
Puis d'en tirer droict et loing j'aprenois
Pour chasser loups et abbatre des noix.
O quantesfoys aux arbres grimpé j’ay,
Pour denicher ou la pye, ou le geay

Ou pour jeter des fruictz ja meurs et beaulx
A mes compaings qui tendoient leurs chapeaux :
Aucunesfoys aux montaignes alloye,

Aucunesfois aux fosses devalloye,

Pour trouver la les gistes des fouines,
Des herissons ou des blanches hermines,
Ou pas à pas le long des buyssonnetz
Allois chercher les nids des chardonnetz
Ou des serins, des pinsons, ou lynottes.

Desja pourtant je faisois quelques nottes
De chant rustique, et dessoubz les ormeaux
Quasy enfant sonnois des chalumeaux.
Si ne sçaurois bien dire, ne penser,
Qui m'enseigna si tost d'y commencer,
Ou la nature aux Muses inclinee,
Ou ma fortune, en cela destinee
A te servir si ce ne fust l'un d'eux,
Je suis certain, que ce furent tous deux.

(Eglogue au Roy, sous le nom de Pan et Robin 4.)

1. Engins pour prendre les oiseaux. Bricole en vient.

2. Transnabam.

3. Funda; auj. fronde.

4. C'est sous le nom rustique de Robin, traditionnel dans les pastourelles du moyen âge, que Marot s'adresse à François Ier, qu'il appelle Pan. On voit la fusion de la vieille poésie gauloise et de l'églogue antique dans le poème bucolique de Marot. Marguerite d'Angouleme y est Margot, bergère qui vaut tant»; Louise de Savoie y est Loisette; son père y est le bon Janot. Le tout pour aboutir à demander au roi, non pas de lui donner

Deux mille arpentz de pâtis en Touraine,

Ne mille bœufs errans par les herbis,

mais de préserver son « troupeau » des «loucerves », c'est-à-dire ses enfants, des créanciers,

Et luy du froid, car l'yver qui s'appreste

A commencé à neiger sur sa teste.

Il n'avait cependant que quarante-quatre ans (1539).

C'est dans une églogue qu'il pleure la mort de Louise de Savoie, dans une églogue qu'il chante la naissance de son arrière-petit-fils, qui fut depuis François II. C'est encore sous le voile d'une allégorie pastorale que, dans une Complainte d'un pastoureau chrétien faicte en forme d'églogue

RONDEAUX

I

A M. DE POTHON 1

La ou sçavez sans vous ne puis venir.
Vous estes cil, qui pouvez subvenir
Facilement à mon cas et affaire,

Et des heureux de ce monde me faire,
Sans qu'aucun mal vous en puisse advenir.
Quand je regarde et pense à l'avenir,
J'ay bon vouloir de sage devenir:
Mais sans support je ne puis retraire
La ou sçavez.

Male fortune a voulu maintenir
Et a juré de toujours me tenir:

Mais, monseigneur, pour l'occire et deffaire
Envers le roi veuillez mon cas parfaire

Si que 2 par vous je puisse parvenir

La ou sçavez.

(Rondeaux, 1, 4.)

II

DE L'AMOUR DU SIÈCLE ANTIQUE

Au bon vieulx temps, un train d'amour regnoit,
Qui sans grand art et dons se demenoit;

Si qu'un bouquet donné d'amour profonde,
C'estoit donné toute la terre ronde :

Car seulement au cœur on se prenoit.

rustique, exile et voisin de la mort, il recommande à Pan (cette fois c'est Dieu lui-même) Marion, son « humble bergerette >

Et le petit bergeret qu'elle allaicte.

Ainsi fit plus tard Mme Deshoulières pour ses filles, ses « chères brebis ». Il avait déjà mis la religion en bucolique : dans une ballade bucolique, intitulée Carême, il avait invité Pan à « rompre ses flageolets pour porter le deuil de Jésus »; dans un « balladin », la primitive Eglise, sous le nom de Christine la Bergerette, reçoit aide et protection d'Apollon, et cite l'Art d'aimer d'Ovide. -A toute cette fantasmagorie je prefere la peinture de son enfance champêtre.

1. M. de Pothon crut à son « bon vouloir de sage devenir»; il le préCenta lui-même et le fit entrer où il savait ». c'est-à-dire auprès de la sœur de François Ier, alors duchesse d'Alençon (1518). Marot lui-même y contribua sans doute par la jolie ballade « à Madame d'Alençon pour être couché en son estat», entendez sur l'état de sa maison, et dont le refrain est: Il n'est que d'estre bien couché.

2. Si bien que.

Et si par cas à s'aimer on venoit,

Sçavez-vous bien comme on s'entretenoit ??
Vingt ans, trente ans : cela duroit un monde
Au bon vieulx temps.

Or's est perdu ce qu'amour ordonnoit;
Rien que pleurs faintz, rien que ruses on n'oyt;
Qui vouldra donc qu'à aymer je me fonde,
Il fault premier que l'amour on refonde,
Et qu'on la meine ainsi qu'on la menoit
Au bon vieulx temps.

3

(Rondeaux, II, 12.)

ÉPIGRAMMES

I

DU LIEUTENANT CRIMINEL ET DE SEMBLANÇAY

Lors

que Maillart juge d'enfer menoit

A Montfaulcon Semblançay l'ame rendre,

A vostre advis, lequel des deux tenoit

Meilleur maintien? Pour le vous faire entendre,
Maillard sembloit homme que mort va prendre :
Et Semblançay fut si ferme vieillard,

Que l'on cuydoit, pour vray, qu'il menast pendre
A Montfaulcon le lieutenant Maillart 5.

(IV, 1.)

II

D'UN YVROGNE

Le vin qui trop cher m'est vendu

M'a la force des yeulx ravie:

Pour autant 6 il m'est deffendu,

Dont tous les jours m'en croist envie.

1. Par bonne fortune.

2. Comme on restait uni.

3. Premièrement.

4. Gilles Maillart, lieutenant-criminel de la prévôté de Paris depuis 1501 C'est devant lui que comparut Marot en 1526. fay, surintendant des finances sous Charles VIII, Louis XII et FranSemblançay ou Samblanfois ler, fut victime des machinations odieuses de Louise de Savoie, mère de François Ier. Le gibet de Montfaucon, établi au delà de la porte SaintMartin, fut bâti par Enguerrand de Marigny, qui y fut pendu le premier,

en 1315.

5. C'est, dit Voltaire, de toutes les épigrammes, dans le goût noble, celle à qui je donnerais la préférence. Elle a été faite l'année même de la mort de Semblançay.

6. Pour cela.

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