BOILEAU 1636-1711 Nicolas BOILEAU, qui ajouta depuis à son nom celui de DESPRÉAUX, de vieille bourgeoisie parisienne. Fils, frère, oncle, cousin, beau-frère de greffiers, était le onzième enfant de Gilles Boileau. Son frère Gilles, l'avocat, entra à l'Académie vingt-cinq ans avant lui; Jacques devint chanoine de la Saint-Chapelle. Gilles, dit Sainte-Beuve, fut l'ebauche, Jacques la charge, Nicolas enfin le vrai portrait du génie satirique. Sa vie peut se résumer en peu de mots. D'abord tonsuré, puis avocat, il se fit en définitive et tôt poète et defenseur du bon goût. Il eut pour amis Molière, La Fontaine et Racine, fut fort goûté du roi et des plus honnêtes gens » ou des plus titres de la cour, eut sa maison à Auteuil, l'hospitalité de Lamoignon à Bâville, devint historiographe avec Racine en 1677, alla au camp sous Namur avec lui, et lui survécut douze ans. Boileau, comme le parfait chef d'orchestre, conduit avec sévérité et autorité le choeur du grand siècle, et, de temps en temps, y fait sa partie en exécutant quelques morceaux de sa composition, courts et nets, à la fois leçon et modèle, je veux dire ses Satires et ses Epitres. Il y enseigne par son exemple le choix et l'enchaînement des idées, la proportion du développement, la netteté de l'expression, la correction du tour, l'élégance même, encore qu'un peu roide parfois, l'aisance et la tenue de la période, encore qu'un peu chargée. Il a tous les tons : l'ironie et l'âpreté, cela va de soi, dans ses Satires; le sérieux et la gravité dans ses Epîtres; la finesse, quand il enveloppe des leçons de critique dans les sottises des « nobles campagnards » de son Festin ridicule (Satire IIIe); la verve, quand dans sa IXe Satire il harcèle Cotin; la malice, quand il s'y égaie aux dépens de Chapelain; l'esprit, quand il se joue autour d'un lutrin dans le chef-d'œuvre du genre héroï-comique, qui grandit les petites choses, à l'encontre du genre burlesque, qui rapetisse les grandes; la noblesse épique, quand il chante que Louis « n'a pas passé le Rhin (Epit. IV); et, quoi qu'on en ait dit, le cœur, quand il pleure Moliere (Epit. VII; la mélancolie même, quand il ne peut oublier qu'il a aimé Sylvie (chanson). Il a une fois le malheur d'être en lutte dans une fable, un hasard de sa plume, avec La Fontaine (Epît. II); une seconde fois le tort de l'oublier dans l'Art Poétique; d'y donner par contre une trop grande place au sonnet; d'y mettre un mot mal sonnant à l'adresse du Tasse, qui aime trop le clinquant, et une épigramme contre Corneille, qui aime trop Lucain. l'affliction de certaines personnes qui aspirent à la gloire d'une belle et immortelle douleur.» Malherbe apprit en 1628 qu'on ne se console pas : sa douleur «n a point de reconfort », dit-il dans son sonnet sur la mort de son fils. Voltaire croit à la douleur et à la consolation, même un peu trop prompte: .....Le lendemain, le philosophe perdit son fils unique, et fut sur le point d'en mourir de douleur. La dame fit dresser une liste de tous les rois qui avaient perdu leurs enfans, et la porta au philosophe; il la lut, la trouva fort exacte, et n'en pleura pas moins. Trois jours après, ils se revirent, et furent étonnés de se trouver d'une humeur très gaie. Ils firent eriger une belle statue au Temps, avec cette inscription: A CELUI QUI CONSOLE.» (Les Deux consolés.) Mais il n'a pas admiré médiocrement le Cid et Cinna; il n'a pas trouvé Regnard « médiocrement gai »; il a défendu l'Ecole des Femmes contre la cour, l'Avare contre Racine, Racine contre Pradon; il a défendu Arnauld proscrit contre la colère du roi par un mot, Corneille pauvre contre l'oubli du roi par son intervention, Patru contre la misère par sa bourse; il a reconnu ses torts envers Quinault et Boursault. Voilà le critique, l'écrivain, le poète et l'homme; s'il n'emporte pas l'admiration il conquiert l'estime. Comme Malherbe il a été vertement attaqué de son temps, et, plus que lui, de nos jours. Son nom a été une arme de combat dans la guerre des classiques et des romantiques. Mais la paix est faite entre eux et s'est faite aussi sur son nom. Alfred de Musset, qui avait médit de sa « tisane à la glace », a spontanément, en pleine Académie, fait amende honorable entre les mains de son champion le plus ardent et le plus convaincu, M. Nisard, qui a finement prouvé au poète repentant qu'il avait calomnié son père. On ne chicanera pas cette filiation (il ne s'agit bien entendu que du langage, non des idées et des sujets), si l'on passe à Sainte-Beuve celle qu'il établit de Régnier à Chénier. L'ESPRIT DE BOILEAU' CONVERSATION LITTÉRAIRE Mais notre hôte surtout, pour la justesse et l'art, « Morbleu! dit-il, La Serre 2 est un charmant auteur; Et je ne sais pourquoi je bâille en la lisant 3. Le Pays", sans mentir, est un bouffon plaisant : Les 1. Entre l'étude des Satires et des Epitres qui a été faite en Quatrième, et l'étude de l'Art Poétique qui sera faite en Rhétorique, notre recueil ne doit, par le choix restreint de courts passages, que fixer les points principaux du jugement qu'on peut porter sur Boileau d'après ce qui en est connu, et faire pressentir ce qui reste à en connaître. morceaux que nous citons répondent à quelques-unes des réserves que la critique a faites sur Boileau, et qu'énumère notre notice. La citation du premier morceau aura un autre avantage; les élèves, dans les classes d'humanités, seront plus en état, qu'ils ne l'étaient en Quatrième, d'apprécier les jugements littéraires qu'il contient. 2. Puget de LA SERRE, de Toulouse (1600-1665), que le vers satirique de Boileau a seul sauvé de l'oubli, a eu, au moins, une idée neuve, que le XVIIe siècle reprendra en l'étendant, celle de la tragédie en prose, qui conduit au drame. Il l'a appliquée dans son Thomas Morus, et dans son Comte d'Essex, dont Thomas Corneille traitera après lui le sujet. 3. Madame de Longueville bâilla en l'entendant lire, sans nier que ce fût << parfaitement beau. » Brossette, qui raconte l'anecdote, a pu la tenir de Boileau. 4. René LE PAYS, auteur d'Amitiés, Amours et Amourettes. Boileau. fait allusion à ce titre dans l'Epitre IX. On l'appelait lesinge de Voiture> Mais je ne trouve rien de beau dans ce Voiture. 5 Qu'un jeune homme...-Ah! je sais ce que vous voulez dire, A répondu notre hôte: « un auteur sans défaut, « La raison dit Virgile et la rime Quinault ®. » Justement. A mon gré la pièce est assez plate. Et puis blâmer Quinault! Avez-vous vu l'Astrate? C'est là ce qu'on appelle un ouvrage achevé. Surtout l'anneau royal me semble bien trouvé. Son sujet est conduit d'une belle manière ; 7 Et chaque, en sa pièce, est une pièce entière 8. (Satires, III.) 1. Boileau, on le sait, ne s'en tiendra pas à cet hommage détourné en faveur de Voiture. 2. Joli, comme Térence, dans la bouche du sot de Régnier (Sat. X). On dit que Boileau, chez La Fontaine, avait entendu ces grotesques propos de la bouche d'un notable de Château-Thierry. 3. Voyez p. 196, note 2. 4. Le provincial dit « rien ». Nous disons trop ». Et Boileau, qui << de ce reproche veut faire une louange» (LA HARPE)!« Il n'est pas fort tendre en effet, mais il est assez galant pour dire à Cléophile: Vos yeux, ces aimables tyrans... 5. Voyez p. 147, note 6. 6. Satire II, à Molière. 7. Dans l'Astrate de Quinault, un anneau est confié par Elise, reine de Tyr, à son parent Agenor pour être remis à Astrate. Agénor le garde pour abuser de l'autorité qu'il confère et perdre Astrate son rival.- Le nom de Quinault est un de ceux qui viennent d'eux-mêmes se placer dans les « hémistiches» de Boileau comme en «leurs niches » (Sat. IX.). Voir infrà, sa notice et les notes. 8. Encore un compliment à côté, qui fait sourire de qui le fait et de qui le reçoit. 9. C'est surtout l'ingénieux et élégant badinage du Lutrin qui ferait goûter l'esprit de Boileau. Sur ce maigre fond, il a brodé des riens charmants. Son style, qui ailleurs est quelquefois tendu et surchargé d'incises qui ralentissent la période, y a beaucoup de variété et de souplesse. Les vers d'une harmonie expressive et pittoresque y abondent. Aussitôt on se lève, et l'assemblée en foule, Avec un bruit confus, par les portes s'écoule. (Ch. I, fin.) Et lasse (la Mollesse) de parler, succombant sous l'effort, Et le pupitre enfin tourne sur son pivot. (Ch. III, fin.) Les cloches dans les airs de leurs voix argentines Appeloient à grand bruit les chantres à matines. (Ch. IV, début.) Ces vers sont relevés et cités partout. Beaucoup de vers de Boileau sont LA VERVE DE BOILEAU COTIN ET CHAPELAIN. Gardez-vous, dira l'un, de cet esprit critique: Qu'on est assis à l'aise aux sermons de Cotin; Et je serai le seul qui ne pourrai rien dire! Et qu'ont produit mes vers de si pernicieux, en outre devenus proverbes : Rien n'est beau que le vrai, le vrai seul est aimable. ce dernier, imité d'Horace, etc. Signalons, à ce propos, que deux vers qu'on attribue souvent à Boileau sont du Glorieux, de Destouches: La critique est aisée, et l'art est difficile (II, 5). 1. Cf. HORACE, Sat. I, 4: Excutiat sibi, non hic cuiquam parcet amico. REGNIER Sal. XII: Longe fuge, dummodo risum Fuyez ce médisant : Fâcheuse est son humeur, son parler est cuisant. 2. On attribue un propos équivalent au duc de Montausier: il voulait qu'on envoyât Boileau aux galères. 3. On lui reprochait de piller Horace et Juvenal. Et de fait, il les imite tous deux en cette page. Cf. JUVENAL, Sat. I, 1 sqq.: Semper ego auditor tantum? Nunquamne reponam?.. Loin de les décrier, je les ai fait paroître, Et souvent, sans ces vers qui les ont fait connoître, Et qui sauroit sans moi que Cotin a prêché? Il a tort, dira l'un pourquoi faut-il qu'il nomme? Il est vrai, s'il m'eût cru, qu'il n'eût point fait de vers. Ma Muse, en l'attaquant, charitable et discrète, Qu'il soit doux, complaisant, officieux, sincère : 1. Cf. MOLIÈRE, Misanthrope, IV, 1: De quoi s'offense-t-il et que veut-il me dire? Tout ce qu'il vous plaira, mais fort méchant auteur. 2. On sait que c'est Chapelain lui-même qui fut chargé par Colbert, en 1663, de préparer une liste des hommes de lettres qui méritaient d'être pensionnés par le roi. Conrart, « lequel, sans connoissance d'aucune autre langue que sa maternelle, est admirable pour juger de toutes les productions de l'esprit », est le 2 sur la liste. Le 4e est le «sieur Pierre Corneille, premier poète dramatique du monde; deux mille livres. » Le 10e est Molière « excellent poète comique; mille livres. » Le 30e est Chapelain, « le plus grand poète françois qui ait jamais été et du plus solide jugement; trois mille livres.» (Voir Histoire de Molière, par Taschereau, note 14 du livre II.) M. de Longueville lui faisait quatre mille livres, etc. |