페이지 이미지
PDF
ePub

d'A. Chénier tiennent, par la forme métrique et par le ton, de la poésie lyrique autant que de la poésie satirique.

Des épîtres du xvine, siècle, celles de VOLTAIRE sont encore les seules qu'on ait retenues. C'est peut-être ce qu'on relit le plus souvent dans son œuvre poétique. La satire s'y glisse volontiers comme dans celles d'Horace et de Boileau, mais y laisse cependant dominer le ton qui convient au genre, ce qu'on ne saurait dire des épîtres discordantes de J.-B. ROUSSEAU. On le retrouve plein de charme dans le petit nombre de celles qu'a laissées A. CHENIER, et, avant lui, gracieux dans les Épîtres de DESMAHIS et du cardinal de BERNIS, dans un élégant petit ouvrage de Gresset si l'on veut y voir une épître, sa Chartreuse; après lui, dans les épîtres pleines de sens, de cœur et de bonhomie, du vieux Ducis.

C'est encore A. Chénier qui représentera, non plus dans des essais ou des fragments, mais dans quelques-uns des plus purs chefsd'œuvre de notre langue, la poésie élégiaque et la poésie pastorale. Il efface sans peine par ses Elégies LE BRUN, dont la gloire est ailleurs, et BERTIN (1752-1790), qui sait y mettre de la passion. Après la pastorale galante des « porte-houlettes, tout pétris de métaphysique amoureuse » (comme le disait l'abbé Dubos) dans les Églogues de Fontenelle et de La Motte, et habilles de soie rose sur les toiles de Watteau et de Boucher, nous vint de Suisse, dans les Idylles de Gessner, la pastorale sentimentale, qu'imitent et continuent les vers des Idylles et Romances de BERQUIN (1749-1791),. des quarante-quatre Idylles de LÉONARD (1744-1793), la prose des Églogues de FLORIAN (1755-1794). « Enfin Chénier vint, et le premier en France » retrouva et fit jaillir la source perdue de Theocrite. Ses Idylles, qui nous rendent l'antiquité et la Grèce, sont la seule poésie pastorale qu'on puisse lire aujourd'hui avec l'immortelle églogue que Bernardin de Saint-Pierre avait rapportée de l'IleBourbon.

La Fable n'est plus un genre secondaire depuis La Fontaine; le conte ne l'avait jamais été en France. Personne au XVIIIe siècle ne conte mieux en vers que VOLTAIRE; il retrouve le tour de Marot dans le vers de huit et de dix syllabes, que GRESSET a employé avec aisance et avec grâce dans Ver-Vert. Dans la fable LA MOTTE a plus de précision et de finesse que de naturel et d'imagination. RICHER (1685-1748), oublié aujourd'hui, a été estimé. L'abbé AUBERT (1731-1814) a mérité d'être goûté par Voltaire (Voir la lettre du 15 juin 1761). FLORIAN (1755-1794) est placé sans contestation le second, lungo intervallo, après La Fontaine.

Dans la poésie légère, badine, galante, VOLTAIRE reste le maître par l'aisance, l'esprit, le piquant de l'idée et du tour: couplets, billets, madrigaux, impromptus, stances, tout coule de source et de verve, tout glisse de sa plume, vif, souriant, ailé; il faut seulement regretter que sous la fleur brillante de cette poésie une

[ocr errors]

pointe licencieuse perce souvent. La corruption élégante du siècle voile, mais chez Voltaire moins que chez d'autres, — de périphrases transparentes les crudités audacieuses du xvie. C'est le siècle, non plus du sonnet « aux rigoureuses lois », mais des « petits vers » qui se font et passent vite. Il en reste le souvenir de la manière de l'abbé, depuis cardinal de BERNIS (1715-1794), « Babet la bouquetière », disait Voltaire, — de la gentillesse de BERNARD (1710–1775), GentilBernard, disait encore Voltaire, et le surnom lui est resté, de la fadeur de DORAT (1734-1780), qui n'en fit pas moins tragédies, comédies, poèmes didactiques, tous bien morts aujourd'hui. Les petits vers de DESMAHIS, BOUFFLERS, BERTIN, PONT-DE-VEYLE, l'abbé VOISENON, CHAMFORT, RIVAROL, etc., ont échappé à toute qualification fâcheuse. Ils n'épuisent pas la liste des poètes spirituels que l'oubli a pris, à moins qn'ils n'y aient échappé, comme les deux derniers, par des titres plus solides. Ce n'est pas le cas de DEMOUSTIER (1760-1801), qui se fit une réputation par ses Lettres à Emilie sur la Mythologie, prose et vers; c'est une mythologie en madrigaux et en belle humeur qui rappelle Benserade et d'Assoucy.

Nous finissons sur ce genre de poésie, qui est un des caractères du XVIIe siècle, une revue que nous arrêtons à la Révolution, La conclusion en est facile. Le XVIIIe siècle, dans la poésie, n'a ni la verve jeune et hardie du xvie siècle, ni la maturité et la perfection du xvire; des symptômes de décadence s'y manisfestent. Le xviiie siècle conserve intact, dans quelques genres, le domaine qu'il a hérité, cherche à l'élargir dans quelques-uns, le compromet dans d'autres. Le style s'amollit et se ternit dans les banalités de l'élégance convenue, de la périphrase systématique, de la mythologie traditionnelie et usée. Le génie de Voltaire échappe à ces défauts dans le conte, dans l'épître, dans la poésie didactique; mais, pendant cinquante ans, le style de sa poésie dramatique ne sait ni se rajeunir ni se vivifier. A. Chénier, qui commence avec éclat l'œuvre nécessaire de la rénovation, est arrêté par la mort. Pour qu'elle soit reprise et menée à bonne fin, il faut attendre encore un quart de siècle. Heureusement le XVIIIe lègue au suivant la prose de Rousseau, qui, par le sentiment de la nature, initie les esprits à une poésie nouvelle, la plume de Chateaubriand, qui va la rapporter de l'Amérique, et l'avenir de Lamartine, qui vient de naître.

J.-B. ROUSSEAU

1670-1741

Jean-Baptiste ROUSSEAU, fils d'un cordonnier de Paris, dont il eut, dit-on, le tort de rougir, vécut à Paris jusqu'en 1712, écrivant, admiré, applaudi et redouté pour son esprit; puis, exilé pour des couplets qui ne sont peut-être pas de lui, il erra de Berne à Vienne et à Bruxelles, où il se fixa et mourut, laissant une réputation équivoque et un brillant souvenir.

Si l'emploi et l'abus des formes dites, assez mal à propos, « pindariques », qui simulent le délire poétique sans l'exprimer; si l'apparence d'un « beau désordre », qui cache mal un froid calcul; si la profusion des termes, des allegories et des périphrases mythologiques; si une industrie patiente à « composer et à assembler de différentes fleurs (c'est le poète qui nous le dit) le « miel qu'il produit »; si, avec cette indigence de fond personnel, un art consommé à jeter et à modeler une période dans les moules choisis et variés des strophes et des stances héritées de Ronsard et de Malherbe, et souvent à déployer, de strophe en strophe, comme dans l'Ode au comte du Luc, d'un large et ample mouvement, les développements habilement liés et les plis et les draperies d'une seule idée; si ce mélange composite de procédés et de qualités pouvait suffire à faire pour nous aujourd'hui un poète lyrique, J.-B. Rousseau serait encore le « prince des lyriques français » qu'a salué le XVIIIe siècle et proclamé La Harpe. Mais le XIXe siècle a changé brusquement la mesure en nous révélant une tout autre poésie lyrique, inspirée, éloquente, éclatante, vaste, universelle, inépuisable; et entre les odes sévères, sobres et mâles du vieux Malherbe et le ruissellement poétique de Lamartine et de V. Hugo, la muse « artificielle », ainsi que l'appelle M. Nisard, de J.-B. Rousseau, s'est effacée et rapetissée. Heureusement il lui reste des qualités précieuses de style, la pureté et la noblesse de l'expression, la netteté et la clarté du tour que ne parviennent pas à embarrasser les ambages du faux lyrisme, l'élégance ordinairement jointe à la précision, l'éclat, sinon la richesse et la nouveauté des images, la science des rythmes, et, sauf bien peu d'exceptions, une harmonie irréprochable; en un mot, une tenue constante de style.

C'est par là qu'il se rattache au XVIIe siècle, à une longue distance de ses poètes de génie, comme par les scandales qu'il a excités, sa vie de hasard et de fièvre, ses chansons licencieuses, il appartient à l'âge suivant. Ses odes politiques, ses odes sacrées imitées des psaumes, qu'on a seules, retenues, donnent à sa physionomie une apparence d'unité et de gravité que dementent ses nombreuses excursions dans d'autres genres (comédies, opéras, cantates, allégories, épigrammes), et le ton de ses épîtres où sa gaieté tourne à l'aigre » (M. NISARD), où ses ennemis littéraires sont de « pindariques oisons» dans un «< poulailler », où, s'il ne se calomnie pas, il nous donne assez fâcheusement le secret de sa poésie :

La solitude est mon plus grand effroi :
Je crains l'ennui d'être seul avec moi;
Et j'ai trouvé ce foible stratagème
Pour m'éviter, fugitif de moi-même.
De là sont nés ces écrits bigarrés,
Fous, sérieux, profanes et sacrés...

(Epître I.)

De ses poésies diverses la Cantate de Circé est restée dans les mémoires et dans les recueils comme une expression complète de ses qualités de style, d'harmonie et de rythme.

SUR L'AVEUGLEMENT DES HOMMES DU SIÈCLE
Qu'aux accens de ma voix la terre se réveille :
Rois, soyez attentifs; peuples, ouvrez l'oreille :
Que l'univers se laise et m'écoute parler 1.
Mes chants vont seconder les accords de ma lyre:
L'Esprit saint me pénètre; il m'échauffe et m'inspire
Les grandes vérités que je vais révéler.

L'homme en sa propre force a mis sa confiance;
Ivre de ses grandeurs et de son opulence,
L'éclat de sa fortune enfle sa vanité.

Mais, ô moment terrible, ô jour épouvantable,
Où la mort saisira ce fortuné coupable,
Tout chargé des liens de son iniquité!

Que deviendront alors, répondez, grands du monde,
Que deviendront ces biens où votre espoir se fonde,
Et dont vous étalez l'orgueilleuse moisson?
Sujets, amis, parens, tout deviendra stérile;
Et, dans ce jour fatal, l'homme à l'homme inutile
Ne paira point à Dieu le prix de sa rançon.

Vous avez vu tomber les plus illustres têtes;
Et vous pourriez encor, insensés que vous êtes,
Ignorer le tribut que l'on doit à la mort?
Non, non, tout doit franchir ce terrible passage:
Le riche et l'indigent, l'imprudent et le sage,
Sujets à même loi, subissent même sort 2.
D'avides étrangers, transportés d'allégresse,
Engloutissent déjà toute cette richesse,

1. Cf. RACINE, Athalie, III, 7. Joad dit:

Cieux, écoutez ma voix; terre, prête l'oreille.

(Imité du Deuteronome, XXVII, v. 1.)

2. Voilà un de ces lieux-communs d'éternelle vérité, qui ont toujours inspiré les plus hautes leçons et les accents les plus forts ou les plus touchants à l'eloquence sacrée ou profane, à la philosophie et à la poésie, à SÉNÈQUE, à PASCAL, à BOSSUET, comme à MALHERBE, à RACAN (Voyez p. 494), à LAMARTINE. La tout puissance de la mort rappelle le indomita morti d'HORACE (Od. II, 14); le « terrible passage », le irremeabilis anda de VIRGILE, et dans HORACE (Ibid.):

unda, scilicet omnibus

Quicumque terre menere vescimur,
Enaviganda, sive reges,

Sive inopes erimus coloni.

Ces terres, ces palais, de vos noms ennoblis.
Et que vous reste-t-il en ces momens suprêmes?
Un sépulcre funèbre, où vos noms, où vous-mêmes
Dans l'éternelle nuit serez ensevelis 1.

Les hommes, éblouis de leurs honneurs frivoles,
Et de leurs vains flatteurs écoutant les paroles,
Ont de ces vérités perdu le souvenir;
Pareils aux animaux farouches et stupides,
Les lois de leur instinct sont leurs uniques guides,
Et pour eux le présent paroît sans avenir.

Un précipice affreux devant eux se présente;
Mais toujours leur raison, soumise et complaisante 2,
Au-devant de leurs yeux met un voile imposteur.
Sous leurs pas cependant s'ouvrent les noirs abîmes,
Où la cruelle mort, les prenant pour victimes,
Frappe ces vils troupeaux, dont elle est le pasteur.
Là s'anéantiront ces titres magnifiques,
Ce pouvoir usurpé, ces ressorts politiques,
Dont le juste autrefois sentit le poids fatal:
Ce qui fit leur bonheur deviendra leur torture;
Et Dieu, de sa justice apaisant le murmure,
Livrera ces méchans au pouvoir infernal.

Justes, ne craignez pas le vain pouvoir des hommes ;
Quelque élevés qu'ils soient, ils sont ce que nous sommes;
Si vous êtes mortels, ils le sont comme vous.

Nous avons beau vanter nos grandeurs passagères,
Il faut mêler sa cendre aux cendres de ses pères,
Et c'est le même Dieu qui nous jugera tous 3.

(Odes, I, 3, tirée du psaume XLVIII.)

Linquenda tellus, et domus, et placens
Uxor, neque harum, quas colis, arborum
Te, præter invisas cupressos,
Ulla brevem dominum sequentur.

(HORACE, Ibid.)

Regarde qu'il n'y a rien d'assuré pour toi, non pas même un tombeau pour graver dessus tes titres superbes, seuls restes de ta grandeur abattue» (BOSSUET, sermon sur l'Ambition.)

2. Voilà des épithètes précises et fermes, dont chacune renferme une pensée. Style serré sans être tendu.

3. 11 est facile de sentir l'heureux choix du rythme adopté par le poète. La période de six vers ouvre un large cadre au développement de l'idée; l'alexandrin donne de la gravité et de l'autorité au ton de la leçon religieuse et morale; les deux rimes masculines, dont l'une divise et suspend la strophe, dont l'autre l'arrête et la conclut et la ferme, er accentuent la fermeté.

« 이전계속 »