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Toutefois, c'est ainsi que nos maîtres célèbres
Ont dérobé leurs noms aux épaisses ténèbres
De leur antiquité;

Et ce n'est qu'en suivant ce périlleux exemple
Que nous pourrons, comme eux, arriver jusqu'au temple
De l'Immortalité 1.

(Odes, III, 1.)

LAMOTTE-HOUDAR

1672-1731

LA MOTTE-HOUDAR, qui en 1692 lisait ses vers à Boileau; qui fit en vers des odes, des cantates, des églogues, des fables, des opéras, mille petits vers, delices de la petite cour litteraire de Sceaux et de la duchesse du Maine, et, ce qui vaut mieux, une tragédie célèbre et digne de l'être, Inès de Castro (1723), pour aboutir à prouver par raisons démonstratives qu'il faut écrire odes, fables, tragédies,

1. L'admiration du xvnr siècle l'a ouvert à Rousseau. Son nom y reste conservé, plus par habitude, aujourd'hui, que par admiration on le lit peu. Voltaire a dit de son Ode à la postérité: elle n'ira pas à son adresse. On peut en dire autant de l'Ode à Vendôme (III, 8), vantée par La Harpe, où Neptune adresse aux vents d'Eolie une harangue en l'honneur du héros; d'une Ode au Prince Eugène (III, 2), où se suivent les allégories usées de la Renommée, de la Forture, du Temps,

Cette image immobile

De l'immobile éternité,

(c'est tout ce qu'il en faut retenir); même de l'Ode sur la mort du prince de Conti (II, 10), dont Atropos, Thémis, Némésis, me gâtent un air de simplicité et de sincérité. Rarement La Harpe, qui a des pages brillantes et judicieuses, et des analyses parfaites a été plus mal inspiré que dans son long panegyrique de Rousseau. Pour Rousseau, dit-il, «la durée de notre vie est la fatale soie que les Parques redoivent aux dieux du Styx: partout la poésie de l'ode.» Ni ode, ni poésie. Si l'emploi systématique de la mythologie est tolérable, c'est dans le billet en forme d'ode à M. l'abbé de Chaulieu : « Ces fleurs du paganisme, dit M. Nisard, ne messièent pas dans des vers au plus païen des abbés. Soit, mais encore la précision spirituelle des deux dernières strophes vaut-elle mieux:

Là (au Temple) nous trouverons sans peine,

Avec toi, le verre en main,
L'homme après qui Diogène
Courut si longtemps en vain ;
Et dans la douce allégresse
Dont to sais nous abreuver
Nous puiserons la sagesse
Qu'il chercha sans la trouver.

Horace disait aussi à Virgile (Od. IV, 12):

Misce stultitiam consiliis brevem:

Dulce est desipere in loco.

(Odes, II, 8.)

On voit la nuance: Horace veut étourdir la « sagesse »; Rousseau, la trouve le verre en main », pointe philosophique qu'il fait sentir d'une main légère. C'est un ton nouveau de Rousseau qu'il fallait signaler.

a mérité la

en prose; qui refit en prose l'OEdipe de Sophocle, et en prose réduisit de vingt-quatre à douze chants l'Iliade d'Homère, réputation d'un bel esprit paradoxal. Il a disserte sur tout, il a joué avec Fontenelle, son ami, un des premiers rôles dans la double phase de la querelle des anciens et des modernes ; il y a eu l'honneur d'une correspondance avec Fénelon, et, à propos d'Homère, d'une joute avec Mime Dacier, où le mérite de l'urbanite lui resta: il fut assez fin pour se faire injurier et ne pas se fâcher en ayant tort.

ODE

SUR L'AMOUR-PROPRE

Démêlons tous les stratagèmes
De l'instinct qui nous guide tous;
Mortels, nous nous aimons nous-mêmes,
Et nous n'aimons rien que pour nous.
De quelque vertu qu'on se pique,
Ce n'est qu'un voile chimérique,
Dont l'amour-propre nous séduit :
Je le sers en voulant m'en plaindre;
C'est lui qui m'engage à le peindre,
Et contre lui-même il m'instruit 1.....

Vous, rares au siècle où nous sommes,
Grands, que vos bienfaits font nommer
L'amour, les délices des hommes,
Vous flattez-vous de les aimer?
Des heureux qu'il vous plait de faire
Vous attendez votre salaire;

Vous voulez régner sur les cœurs;
Votre avare magnificence

Par les faveurs qu'elle dispense
S'achète des admirateurs.

Ainsi leur intérêt sait prendre

Un dehors sensible, empressé :

Mais nous, ne croyons pas leur rendre

Un amour désintéressé.

Malgré leur attente déçue

L'orgueil d'une grâce reçue

1. Les titres mêmes des odes de La Motte sont significatifs : l'Enthousiasme (lieu-commun de la poésie lyrique; voyez Le Brun, Lamartine, etc.), la Variété, la Colère, le Goût, la Nouveauté, l'Aveuglement, etc. Il disserte en vers. Voltaire lui fait dire, à la porte du Temple du Goût: Ouvrez,

Mes vers sont durs, d'accord, mais forts de chose.

Durs, souvent; forts, quelquefois; on va en juger.

Ne soutient qu'à regret le faix ;
Et par la plus tendre apparence
Notre ingrate reconnoissance
En veut à de nouveaux bienfaits 1.

En vain ce sévère stoïque,
Sous mille défauts abattu,
Se vante d'une àme héroïque,
Toute vouée à la vertu.

Ce n'est point la vertu qu'il aime;
Mais son cœur ivre de lui-même
Voudroit usurper des autels;
Et par sa sagesse frivole
Il ne veut que parer l'idole
Qu'il offre au culte des mortels.
Jusqu'où l'amour-propre s'égare!
Souvent, aveugle en son dessein,
Il nous arme d'un fer barbare
Qu'il tourne contre notre sein.
Caton, d'une âme plus égale,

Sous l'heureux vainqueur de Pharsale
Eût souffert que Rome pliàt;
Mais, incapable de se rendre,
Il n'eut pas la force d'attendre
Un pardon qui l'humiliât2.

1. On aura remarqué ces justes et fortes expressions: «avare magnifieence, ingrate reconnaissance», et la dureté de « qu'à regret le faix. Voilà Voltaire justifié.

2. Voltaire lui même admirait la strophe suivante, qu'il signale à La Harpe (lettre du 19 avril 1772):

Les champs de Pharsale et d'Arbelles
Ont vu triompher deux vainqueurs
L'un et l'autre dignes modèles
Que se proposent les grands cœurs;
Mais le succès a fait leur gloire;
Et si le sceau de la victoire
N'eût consacré ces demi-dieux,
Alexandre, aux yeux du vulgaire,
N'auroit été qu'un téméraire,
Et César un séditieux.

(La Sagesse du Roi, Ode.)

La Motte a exprimé quelquefois fort heureusement son avis dans la querelle des anciens et des modernes :

Dès qu'un moderne sait me plaire.
Il est pour moi Virgile, Homère;
Je partage entre eux mon encens.
C'est le beau seul que je respecte,
Et non l'autorité suspecte

Ni des grands noms ni des vieux temps.

Sur La Motte, le dernier mot sera celui de M. VILLEMAIN. On sait que La Motte, brûlant ce qu'il avait adoré, exalta la prose aux dépens de la poé

LA MONTRE ET LE CADRAN SOLAIRE

FABLE

Un jour la montre au cadran insultoit,
Demandant quelle heure il étoit.

« Je n'en sais rien, dit le greffier solaire.

Eh! que fais-tu donc là, si tu n'en sais pas plus? - J'attends, répondit-il, que le soleil m'éclaire : Je ne sais rien que par Phébus.

Attends-le done; moi je n'en ai que faire,

Dit la montre sans lui je vais toujours mon train.
Tous les huit jours un tour de main,

C'est autant qu'il m'en faut pour toute ma semaine.
Je chemine sans cesse, et ce n'est point en vain
Qne mon aiguille en ce rond se promène.

Écoute voilà l'heure; elle sonne à l'instant :

:

Une, deux, trois et quatre. Il en est tout autant, »
Dit-elle. Mais tandis que la montre décide,
Phébus, de ces ardens regards
Chassant nuages et brouillards,
Regarde le cadran, qui, fidèle à son guide,
Marque quatre heures et trois quarts.
« Mon enfant, dit-il à l'horloge,
Va-t'en te faire remonter.

Tu te vantes, sans hésiter,

De répondre à qui t'interroge;

sie: «Un homme de talent, qui faisait peu de vers, se chargea de défendre la poésie et fut inspiré par elle. » C'était M. de La Faye. La Motte le remercia de lui permettre d'enrichir son livre de l'ode qu'il avait faite << en faveur des vers ». (Voy. édit. 1753, t. Ier, p. 511). Puis que fit-il? — « Il mit en prose les strophes de cette ode, soutenant qu'elles n'y perdaient rien. Le défenseur de la poésie avait, par une gracieuse image, comparé aux élancements d'un jet d'eau l'essor que la contrainte du vers donne au talent poétique :

De la contrainte rigoureuse

Où l'esprit semble resserré,
Il acquiert cette force heureu e
Qui l'élève au plus haut degre.
Telle, dans des canaux pressée,
Avec plus de force élancée,
L'onde s'élève dans les airs;
Et la règle qui semble austère

N'est qu'un art plus certain de plaire,
Inséparable des beaux vers.

La Motte répondit par un petit raisonnement de physique : « Ce ne sont pas les canaux seuls qui font que l'eau s'élève; c'est là hauteur du lieu d'où elle tombe qui fait la mesure de son élévation. » La discussion ne devait pas aller plus loin: il était clair que La Motte avait le droit de médire de la poésie. » (Tableau de la littérature française au xviш siècle, leçon.)

Mais qui t'en croit peut bien se mécompter.
Je te conseillerois de suivre mon usage;

Si je ne vois bien clair, je dis « Je n'en sais rien.
Je parle peu, mais je dis bien :
C'est le caractère du sage. »

CRÉBILLON

1674-1762

Prosper Jolyot de CRÉBILLON, fils d'un notaire de Dijon, écrivit, comme tant d'autres poètes, ses premiers vers dans l'étude d'un procureur; sa tragédie ne fut pas même reçue par les comédiens. Il continua, donna pièce sur pièce pendant douze ans; puis, pendant près de trente années (car il ne faut pas compter un Pyrrhus qu échoua et un Xerxès qu'il retira après une représentation), grand liseur de romans, paresseux et fantasque, il garda un silence qu'i rompit à soixante-douze ans. Reçu à l'Académie en 1731, il lut un remercîment où l'on applaudit unanimement, parce qu'il était vrai, ce vers resté célèbre:

Aucun fiel n'a jamais empoisonné ma plume.

Crébillon reste bien au-dessous de Corneille et de Racine et n'atteint pas Voltaire, mais il a le mérite d'être lui-même. Le ressort du théâtre de Corneille était l'admiration, de Racine la pitié; son ressort est la terreur. Corneille, disait-il, a pris le ciel, Racine la terre; il ne me restait que l'enfer, je m'y suis jeté à corps perdu. Homme de mœurs honnêtes et simples, inculte même, il nous fait hanter avec lui les héros les plus sinistres : un père qui tue son fils (Idoménée, 1705), un oncle qui fait boire le sang de son neveu à son pere (Atrée et Thyeste, 1707), un fils qui assassine sa mère (Electre, 1708). Sur ce dernier sujet, comme sur ceux de Sémiramis (1717), de Catilina (1748), du Triumvirat (1754), Voltaire, contre lequel un parti à la cour soutenait Crébillon, entreprit avec le vieux poète, incorrect et inégal, une lutte où la victoire lui était facile. Une seule des tragédies de Crébillon est restée et suffit à l'immortaliser: c'est Rhadamiste et Zénobie (1711), qui est une date dans l'histoire du théâtre tragique entre Racine et Voltaire. Cette fois, ces amours, lieu commun inévitable du théâtre, qui font un étrange contraste avec les horreurs dont sont assombries les tragédies de Crébillon, sont, dit M. Villemain (XVIIIe siècle, IIIe leçon), « une création naïve et vraie. » Son style a une sorte d'énergie et d'ardeur fievreuse qui est une convenance de plus avec le caractère violent et farouche du héros, et y prend aussi un accent emu et pénétrant. Rhadamiste est pour sa renommée ce que Venceslas est pour celle de Rotrou, et leurs héros, qui ont plus d'un trait de ressemblance, rapprochent dans une sorte de confraternité les deux figures du jeune et héroïque poète du xviie siècle et du vieux et rude tragique du XVIIIe.

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