JOACHIM DU BELLAY 1525-1560 JOACHIM DU BELLAY, né à Lyré, près d'Angers, cousin des trois frères du Bellay, Guillaume et Martin, capitaines, diplomates et auteurs de Mémoires importants, et Jean, cardinal et ambassadeur, a consacré par la renommée littéraire leur commun nom. Il est mort à trente-cinq ans, sans avoir eu le temps d'être que le second de celui dont il fût peut-être devenu l'égal. If a eu la gloire d'écrire et de signer le programme éloquent de la nouvelle école, la Deffense et illustration de la Langue françoise (1549) et de l'appliquer le premier par le recueil (même année) qui contenait les sonnets de l'Olive et des Odes; de léguer à la poésie française, dans ses Antiquités de Rome, impressions premières de son séjour en cette ville (15511554), et dans ses Regrets, souvenirs et appels de la patrie absente, les plus parfaits sonnets que le siècle ait produits; de donner, dans son Poète courtisan, le premier modèle de la satire en France; enfin de mériter, par les poésies diverses de ses Jeux rustiques, ajoutées à celles qui précèdent, le nom d'« Ovide français », si tant est que ce nom implique, avec la grâce et l'esprit, les qualités de mâle énergie qui nous frappent à chaque page des Antiquités et des Regrets. Voir l'édition de M. Marty-Laveaux, 2 vol., 1866-67 (Collection de la Pléiade). LES FRANÇAIS A ROME' Marcher d'un grave pas et d'un grave sourci, Entremesler souvent un petit e cosi 4, 5 Seigneuriser chascun d'un baisement de main, Cacher sa pauvreté d'une brave apparence: 1. Du Bellay resta environ quatre ans à Rome (1551-1554), attaché en qualité de secrétaire à son cousin, le cardinal Du Bellay, ambassadeur de France. 2. Subridere, sourire. 3. Monsieur, non; Monsieur, oui. 4. C'est ainsi. 5. Traiter en seigneur. Voila de ceste court la plus grande vertu, Dont souvent, mal monté, mal sain et mal vestu, Sans barbe et sans argent on s'en retourne en France 1. (Regrets, sonnet 86.) LES PASSETEMPS DE DU BELLAY A ROME Fanjas 2, veulx tu savoir quels sont mes passetemps? Je vays, je viens, je cours, je ne perds point le temps, Qui me presente un compte, une lettre, un memoire, TROIS POÈTES' EXILÉS A ROME' A Ronsard. Ce pendant que Magny suit son grand Avanson, 1. Voilà une esquisse spirituelle et railleuse. C'est d'un autre style que Du Bellay soupire avec tant de grâce et de mélancolie après la douceur angevine ». 2. Il prend à témoin des mille tracas dont il est assailli un autre Français exile, Panjas; il a à cette occasion des sonnets qui sont de véritables tableaux de genre, et qui rappellent à leur manière les satires de l'Arioste». (SAINTE-BEUVE, Nouv. Lundis.) · 3. L'auteur, Olivier de Magny, attaché à M. d'Avanson, et Panjas. attaché au cardinal de Châtillon ou de Lorraine. «< Après le piquant revient le sensible, le vers ému et poétique. Je ne sais point de plus beau sonnet en ce genre élégiaque que le seizième des Regrets. Il est d'un sentiment tendre et d'une belle imagination » (SAINTE-BEUVE, ibid.) Et, après avoir cité les deux cygnes de Chateaubriand (Génie du Christian. I, 5, 7), le critique ajoute: « Même après le trait de pinceau de cette imagination merveilleuse, même après le Poète mourant de Lamartine, ù la similitude du cygne est le motif dominant, le sonnet de Du Bellay peut se relire.> Voici la strophe de Lamartine où la similitude est le plus accusée (Nouvelles Meditations, V): Le poète est semblable aux oiseaux de passage Et que l'espoir flateur qui nos beaux ans devore Tu courtises les Roys, et d'un plus heureux son REGRET DU PAYS Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage, REGRET DU FOYER O qu'heureux est celuy qui peut passer son aage 1. Rivage étranger. 2. Jason, qui conquit la Toison d'or. 3. Usus, expérience. 4. Cf. Odyssée, I, v. 58: Τέμενος καὶ καπνὸν ἀποθρώσκοντα νοήσαι 5 On sait que l'ardoise est particulièrement en usage dans l'Anjou; on l'y extrait du sol. 6. Le Loir. Sans crainte, sans envie, et sans ambition, Et son plus grand desir, desir sans passion, Il ne met pour autruy sa personne en danger, REGRET DE L'INDÉPENDANCE C'estoit ores, c'estoit qu'à moy je devois vivre, Je vesquisse aussi franc de travaux et d'ennuis, (Regrets, sonnet 37.) L'IDÉAL Si nostre vie est moins qu'une journee 1. Cf. JEAN DE LA TAILLE, le Courtisan retiré, infra, et A. CHÉNIER, Elégie, XXIII. 2. C'est maintenant que j'aurais dû vivre pour moi. 3. Dégagé, libre. 4. Dans l'éternité. Que songes tu, mon ame emprisonnee? Là est le bien que tout esprit desire, Là, ô mon ame, au plus hault ciel guidee, De la beauté qu'en ce monde j'adore 1. (L'Olive, sonnet 113.) D'UN VANNEUR 'DE BLÉ AUX VENTS A vous, troppe legere, Et d'un sifflant murmure J'offre ces violettes, Ces vermeillettes roses De vostre doulce halaine 1. Dans ce recueil de l'Olive, on sent parfois, on entend à l'avance comme un son et un accent précurseur de cette haute et pure poésie qui ne s'est pleinement révélée que si tard dans les Méditations: on y ressaisit un écho distinct, qui va de Petrarque à Lamartine. Le 113 sonnet est dur, assurément, mais il est noble, élevé, et il faudrait peu de chose pour que l'essor se fit jour en plein ciel et se déployât. A ce mouvement, à ces formes, à ces rimes inusitées jusqu'alors en poésie française, on est transporté par delà, et l'on se prend à redire involontairement avec Lamartine: Là je m'enivrerais à la source où j'aspire, etc. (Voir infra, XIX siècle). Du Bellay, gêné et comme empêché dès le début, n'a donné que la note: Que songes-tu, mon âme emprisonnée? l'a donnée du moins. C'est un commencement de Méditation. Le motif est trouvé. Jamais le flageolet de Marot n'eut de ces accents. (SAINTE-BEUVE ibid.) |