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De leur rayon tremblant fait briller les étoiles,
Pourquoi vois-je tes yeux, trop souvent attristés,
Regarder pleins de pleurs leurs rapides clartés;
Ta main presser ton cœur, et ton regard austère
Du ciel avec lenteur retomber sur la terre?
Qui donc consterne ainsi ton courage abattu?

(Abufar, I, 3.)

II

ABUFAR A SON FILS FARHAN 1.

La nuit, quand nous levons nos mains vers les étoiles,
Dieu n'est-il pas présent sous ces augustes voiles,
Dirigeant d'un coup d'œil le cours silencieux
De ces globes brillans dispersés dans les cieux?
Cet air, ce sol natal, cette douce patrie,
N'a donc rien dit, hélas! à ton âme attendrie?
Rien donc auprès de nous n'a pu te retenir?...
Regarde autour de nous. Ah! lorsqu'en ces déserts
Nos sables agités ont obscurci les airs,

Quand le soleil pâlit, quand les vents homicides
clèvent jusqu'au ciel des montagnes arides,
Et font voler au loin ces nuages brûlans
Sur les pas égarés des voyageurs tremblans,
Le chameau mieux instruit, courbé sous la tempête,
Dans le sable, du moins, ensevelit sa tête;
Sans braver le péril, sage et fermant les yeux,
Il trompe par instinct ces vents contagieux.
Trompe aussi ta jeunesse et son intempérie;
Trompe aussi par raison tes sens et leur furie.
N'attends pas dans ton cœur de mollesse abattu
Que l'air brùlant du vice ait séché la vertu.

(Ibid., 11, 7.)

1. Qui, poussé d'une ardeur inquiète, avait quitté les siens et erré de peuple en peuple.

2. On a retenu des autres tragédies de Ducis quelques vers d'une rare énergie:

Il est juste

Que le ciel qui nous met au-dessus de nos lois
Arme au moins le remords pour se venger des rois.

(Hamlet, I, 2.)

Je veux qu'à chaque instant cette cendre en ces lieux
De ses empoisonneurs fatigue au moins les yeux.
(Ibid., II.5.)

Mais moi, fils du désert, moi, fils de la nature,
Qui dois tout à moi-même, et rien à l'imposture,
Sans crainte, sans remords, avec simplicité,
Je marche dans ma force et dans ma liberté.
(Othello, 11, 7)

VERS ÉCRITS A LA GRANDE-CHARTREUSE

le 4 juin 1775

Quel calme: quel désert! dans une paix profonde,
Je n'entends plus mugir les tempêtes du monde.
Le monde a disparu, le temps s'est arrêté.
Commences-tu pour moi, terrible éternité ?.....
Ces rochers, ces sapins, ce torrent solitaire,
Tout parle, tout m'instruit à mépriser la terre,
La terre où le bonheur est un fruit étranger,
Que toujours quelque ver en secret vient ronger.
Partout de la douleur j'y trouvai les images.
L'amour a ses tourmens, l'amitié ses outrages 1.
Que de désirs trompés, de travaux superflus!
Vous qui, vivant pour Dieu, mourrez dans ces retraites,
Heureux qui vient vous voir dans le port où vous êtes,
Mais plus heureux cent fois celui qui n'en sort plus 2!

A MON RUISSEAU

Ruisseau peu connu dont l'eau coule
Dans un lieu sauvage et couvert,
Oui, comme toi, je crains la foule;
Comme toi, j'aime le désert.

Ruisseau, sur ma peine passée
Fais rouler l'oubli des douleurs,
Et ne laisse dans ma pensée
Que ta paix, tes flots et tes fleurs.

Près de toi l'âme recueillie

Ne sait plus s'il est des pervers :

1. Cf. LAMARTINE, Le vallon (Premières Méditations, VI) : L'amitié te trahit, la pitié t'abandonne, etc.

2. Ducis dit ailleurs (A ma Chartreuse, en Savoie, à Haute-Luce): Sois mille fois béni, désert qui me protèges!

Que ma vie et ma mort se renferme en ces lieux;
Garde bien mes soupirs, mes pas silencieux,
Mon humble toit religieux,

Le jardin de ma jeune abeille,

Mon doux repos quand je sommeille,
Ma conscience quand je veille.

Et la paix de mon âme et son vol vers les cieux.

Ducis était un chrétien catholique et pratiquant. Dès sa jeunesse, al milieu de ses travaux dramatiques, il avait un livre secret dans lequel il écrivait tout son examen de conscience; ce registre avait pour titre: Ma grande affaire, c'est-à-dire l'affaire du salut. (SAINTE-BEUVE, Causeries du Lundi, VI.) « J'habite avec Saint-Pacôme, écrivait-il en lisant les Vies des Pères du désert; c'est un charme que de se transporter sur cette terre des anges: on ne voudroit plus en sortir. »

Ton flot pour la mélancolie

Se plaît à murmurer des vers.

Quand pourrai-je aux jours de l'automne,
En suivant le cours de ton eau,
Entendre et le bois qui frissonne
Et le cri plaintif du vanneau 1!

Que j'aime cette église antique,
Ces murs que la flamme a couverts,
Et l'oraison mélancolique

Dont la cloche attendrit les airs!

Jadis chez des vierges austères
J'ai vu quelques ruisseaux cloîtrés
Rouler leurs ondes solitaires
Dans des clos à Dieu consacrés.

Leurs flots si purs, avec mystère,
Serpentoient dans ces chastes lieux,
Où ces beaux anges de la terre
Fouloient des prés bénis des cieux.

Mon humble ruisseau, par ta fuite
(Nous vivons, hélas ! peu d'instans),
Fais souvent penser ton hermite

Avec fruit au fleuve du temps 2.

1. Voilà en trois ou quatre mots, sans description, une impression vraie de la nature; voilà la mélancolie discrète de la poésie de Virgile. «Je suis en veine de travail, dit-il dans une lettre à Talma (oct. 1803); l'automne jaunit mes forêts, les vents mélancoliques vont souffler; cette saison est ma Muse.> Et à Nepomucene Lemercier: «J'ai fait une lieué ce matin dans des plaines de bruyères, et quelquefois entre des buissons qui sont couverts de fleurs, et qui chantent. Pourquoi ne sommes-nous pas ensemble? C'est ce que je me dis toutes les fois que j'ai douceur et surabondance de mélancolie.> Et à Hérault de Séchelles, il écrivait, tout plein des grandeurs des Alpes: « C'est avec ce sentiment doux et fort tout ensemble, c'est avec cet amour du torrent que j'ai laissé échapper de mon cœur mes sombres et incultes ouvrages. Il a verse son âme douce et ardente, de « colombe» et de lion », dans des tragédies; c'était le moule du temps: quarante ans plus tard il eût été de la grande école de poésie lyrique et intime des Lamartine, des Brizeux, etc. Il a de ces échappées de poésie intime dans ses épîtres, autre moule du temps; il les écrit « comme un bûcheron qui chante dans ses bois en faisant des fagots. »

2. C'est encore dans la prose de Ducis que nous trouvons le plus poetique développement de ces sortes d'idées « Hélas! mon cher ami, vous avez bien raison: sur ce grand fleuve de la vie, parmi tant de barques qui le descendent rapidement pour ne plus le remonter jamais, c'est encore un bonheur que d'avoir trouvé dans son batelet quelquesonnes âmes qui mêlent leurs provisions avec les vôtres et mettent leur cœur en commun avec vous. On entend le bruit de la vague qui nous dit que nous passons. et l'on jette un regard sur la scène variée du rivage qui s'enfuit.

FLORIAN

1755-1794

Le nom de FLORIAN rassemble bien des contrastes. Capitaine de dragons, ce sont des bergeries qui lui ont fait un nom populaire. La naïveté qu'il n'a pas trouvée dans ses romans pastoraux parce qu'il la cherchait, il l'a rencontrée au théâtre dans ses piquantes arlequinades». Enfin la renommée qu'au XVIIIe siècle il a due à la prose de ses bergeries, qu'on ne lit plus, est dans le xixe passée tout entière aux vers de ses fables qu'on lira toujours.

Jean-Pierre-Clovis de Florian, né au château de Florian, sur les bords du Gardon, qu'il a failli illustrer au même titre que d'Urfé le Lignon, était, enfant, fort goûté de son grand-oncle Voltaire qui l'appelait Florianet, et qui un jour le déguisa en berger blanc et rose pour reciter des vers à Me Clairon. Page du duc de Penthièvre à seize ans, puis capitaine dans son régiment, et enfin son gentilhomme et son secrétaire, il fut le dispensateur de ses abondantes aumônes. Ame généreuse, cœur «sensible», comme on disait alors avec une affectation dont il ne faut pas trop sourire, ami entre autres de Ducis qui ne donnait son amitié qu'à bon escient, et qui dédia à son souvenir la tragédie d'Abufar, Florian a écrit ces rêves romanesques, bucoliques ou semi-épiques, qu'il a intitulés: Galatée (1783), en quatre livres, imitée ou travestie de Cervantės; Estelle (1788), en six livres, prose mêlée, comme Galatée, de romances, et qui a légué aux imageries populaires, avec son nom, celui de Némorin; Numa Pompilius (1786); Gonzalve de Cordoue (1791); et en même temps l'Eglogue de Ruth, le poème de Tobie, des Contes, des Nouvelles;-enfin (1792) le recueil de quatre-vingt-neuf Fables, en cinq livres, qui a consacré son nom.

LE SINGE QUI MONTRE LA LANTERNE MAGIQUE1

Messieurs les beaux esprits dont la prose et les vers
Sont d'un style pompeux et toujours admirable,
Mais que l'on n'entend point, écoutez cette fable,
Et tâchez de devenir clairs.

1. Les fables de Florian, dit SAINTE-BEUVE (Causer. du Lundi, III), sont bien composées, d'une combinaison ingénieuse et facile; le sujet y est presque partout dans un parfait rapport, dans une proportion exacte avec la moralité... Point d'arrangement artificiel, comme chez La Motte... Ces qualités de fabuliste sont naturelles chez Florian: il a la fertilité de l'invention, et les images lui viennent sans effort. Il se plaît en réalité avec les animaux... Logé à l'hôtel de Toulouse, il avait sa bibliothèque tout près d'une volière peuplée d'une multitude d'oiseaux, sujets vivants de ses Fables.»-Elles sont de deux sortes. Les unes, leçons de vertu, d'amitié, nous apprennent qu'

Il vaut encor mieux
Souffrir le mal que de le faire;

que trop d'amis est inutile :

(La Brebis et le Chien, II, 3.)

Un seul suffit quand il nous aime:

(Le Lièvre, ses Amis et les deux Chevreuils, III, 7.)

qu'il faut s'entr'aider comme l'Aveugle et le Paralytique (I, 20). On trou

Un homme qui montroit la lanterne magique
Avoit un singe dont les tours
Attiroient chez lui grand concours.

Jacqueau, c'étoit son nom, sur la corde élastique
Dansoit et voltigeoit au mieux,
Puis faisoit le saut périlleux;

Et puis sur un cordon, sans que rien le soutienne,
Le corps droit, fixe d'aplomb,
Notre Jacqueau fait tout du long
L'exercice à la prussienne.

Un jour qu'au cabaret son maître étoit resté
(C'étoit, je pense, un jour de fête),

Notre singe en liberté

Veut faire un coup de sa tête.

Il s'en va rassembler les divers animaux
Qu'il peut rencontrer dans la ville:

Chiens, chats, poulets, dindons, pourceaux,
Arrivent bientôt à la file,

<< Entrez, entrez, messieurs, crioit notre Jacqueau;
C'est ici, c'est ici qu'un spectacle nouveau
Vous charmera gratis. Oui, messieurs, à la porte
On ne prend point d'argent, je fais tout pour l'honneur. »
A ces mots, chaque spectateur

Va se placer, et l'on apporte

La lanterne magique; on ferme les volets,
Et, par un discours fait exprès,
Jacqueau prépare l'auditoire.
Ce morceau vraiment oratoire
Fit bâiller; mais on applaudit.
Content de son succès, notre singe saisit
Un verre peint qu'il met dans sa lanterne.
Il sait comment on le gouverne,
Et crie, en le poussant : « Est-il rien de pareil?
Messieurs, vous voyez le soleil,

Ses rayons et toute sa gloire.

Voici présentement la lune, et puis l'histoire
D'Adam, d'Eve, et des animaux...

Voyez, messieurs, comme ils sont beaux!

vera les plus parfaites dans le Recueil des classes de grammaire. -Les autres, à l'adresse de nos travers d'esprit, out, dans leur gaieté souriante. un tour satirique, et plusieurs, « d'un genre plus net et plus ferme », ont la brièveté et la pointe de l'épigramme. C'est dans le second groupe que nous choisissons nos emprunts.

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