voisine du drame avec OCTAVE FEUILLET; Comédie villageoise sous la plume de G. SAND; comédie de mœurs et d'intrigue sous celle de J. SANDEAU, de PONSARD, de LEGOUVÉ, de C. DOUCET, etc.; comédie d'intrigue, ou, - comme elle l'avait déjà été dans le Pinto (1806) de N. Lemercier et la Jeunesse de Henri V (1812) d'A. Duval, comme elle le fut quelquefois chez Scribe et une fois dans le Don Juan d'Autriche (1835) de C. Delavigne, — comédie historique avec cet A. DUMAS père qui s'est fait goûter partout; thèse morale dans les jolis vers de la Ciguë (1845), dans les vers plus nourris de Gabrielle (1849), plus brillants de l'Aventurière (1850) qui marquent la première période dramatique d'EMILE AUGIER ; elle n'a pas tardé à prendre, sous la prose de MM. EMILE AUGIER et ALEXANDRE DUMAS fils, des visées plus hautes. Elle procède alors de Balzac: elle est analytique, sociale, politique; elle cherche, fouille et peint certaines misères, elle discute certains problèmes de la société. Ce que le roman de Balzac raconte et montre à l'imagination de ses lecteurs dans des récits dramatiques comme une œuvre de théâtre, elle le montre sur la scène aux yeux de ses spectateurs; comédie savamment et fortement nouée, âpre, où le mot vibre et marque. La comédie riait encore avec Turcaret et Figaro; elle ne rit plus guère avec la Question d'argent, le Père prodigue, Maître Guérin, etc.; et la physionomie des Mariannes et des Elvires de Molière n'est plus celle des jeunes filles raisonneuses de M. A. Dumas fils. Elle descend de ces hauteurs avec MM. GONDINET et PAILLERON; et, avec M. SARDOU, si elle prend dans le vif de la société plusieurs de ses sujets, elle s'en tient aux travers pour mettre en gaieté le spectateur, et, à part quelques écarts qu'en plein rire elle lait dans le drame, elle pétille d'esprit et amuse par une merveilleuse dextérité de prestidigitation scénique. Le caractère général de la poésie française au XIXe siècle ressortira facilement de ce qui précède. Ce caractère, c'est l'esprit même du temps. Après le despotisme de la monarchie absolue, de la Convention et de l'Empire, le xixe siècle a cherché dans l'ordre politique la liberté; il a cherché dans l'histoire, les sciences, les arts, la vérité; dans les lettres il a cherché la vérité étouffée sous la tradition des conventions littéraires, il a reconquis la liberté entravée par la tyrannie des règles absolues. Le poète s'est fait un champ plus vaste dans l'ample sein de la nature, que Versailles, la cour et la ville lui cachaient autrefois, et il s'y est fait plus libre de dire ce qu'il sent comme il le sent; il a donné l'essor à son âme par la poésie intime. Pendant deux siècles la tragédie, au milieu des autres genres poétiques qui avaient eu leurs chefs-d'œuvre, avait régné en souveraine; l'âme s'y était enfermée comme dans un cadre imaginaire, où elle exprimait en un langage impersonnel, et souvent avec une incomparable éloquence, les idées générales qui sont le fond constant de l'humanité; elle s'y était enchaînée et peu à peu épuisée. Elle s'affranchit et se raviva en ce siècle par la poésie personnelle. C'est parce que la tragédie représentait le plus complètement la servitude et l'intolérance qu'elle fut pour l'école romantique « l'ennemie », d'où « venait tout le mal ». C'est parce que l'école romantique qui, comme toute école révolutionnaire, même celle de la liberté, a eu ses formules despotiques, voulut à son tour les imposer par la théorie et par l'exemple dans le domaine dramatique, que le public protesta. Ce despotisme passager une fois secoué, il n'est resté que le principe même de la révolution poétique qui s'était accomplie, « tolérance et liberté » (Victor Hugo, préface d'Hernani). C'est la poésie personnelle qui l'a le plus victorieusement appliqué: elle reste la conquête poétique du XIXe siècle. M.-J. CHÉNIER 1764-1811 Marie-Joseph CHENIER n'est pas, comme son frère aîné, un novateur, mais seulement un brillant continuateur de l'école classique de la tragédie. Ses œuvres dramatiques sont aujourd'hui mortes avec elle,comme la plupart de celles de Voltaire lui-même. Et cependant le talent du poète et l'à-propos des sujets avaient fait applaudir Charles IX (1786), Henri VIII (1791), la Mort de Calas (1791), Fénelon (1793), qui répondaient aux préoccupations et aux passions de ses contemporains: la royauté, la justice, les couvents y étaient maltraités, non sans éloquence. Caius Gracchus (1792) était un acte de courage; un mot eut du retentissement: Des lois et non du sang.......... disait le poète, et il le répéta dans Timoléon (1794): Il faut des lois, des mœurs, et non pas des victimes. Timoléon fut interdit et détruit; il ne survécut qu'en un exemplaire sauvé par Mme Vestris. M.-J. Chenier, conventionnel, poète populaire du Chant du Départ, membre de nos assemblées politiques jusqu'en 1802, fut condamné au silence par le Consulat : son théâtre même fut proscrit de la scène. Il y reparut en 1804 avec Cyrus, mais l'adhésion du républicain à l'Empire plut mcins que ne déplurent les conseils du libéral la pièce n'eut qu'une representation. Dès lors, c'est dans une retraite pauvre et attristée par les calomnies de ceux qui ne pardonnaient ni au républicain du passé ni au résigné du présent, qu'il écrivit ce qui, de ses œuvres, restera, non pas une tragédie de Philippe II, ni un Nathan le Sage, réduction du drame de Lessing, mais sa tragédie de Tibère, qui ne put voir le jour, et un petit nombre d'Epitres, de Satires et d'Elégies. Le malheur le poursuivit même après sa mort. Chateaubriand, son successeur à l'Académie, qui aurait pu lui savoir gré d'avoir atteint, sous le couvert du nom de Tibere, celui qu'il avait lui-même frappé sous celui du nom de Tacite (voir notre Recueil des prosateurs, p. 501), irrité et amer contre le conventionnel aussi bien que contre l'empereur, écrivit un discours dont l'interdiction priva le nouvel élu de la réception et son prédécesscur de l'éloge qui leur étaient dus. LES DÉGOÛTS D'UN TYRAN TIBÈRE, seul 1. Encor cette victime! Je renonce au pouvoir si je renonce au crime; Un seul! et les Romains tremblent devant un homme!... Cnéius est vertueux; c'est un héros peut-être : O lâches descendans de Dèce et de Camille, lls cherchent chaque jour leur avis dans mes yeux, Me font rougir pour eux, sans même oser rougir. (Tibére, V, 2.) Les 1. Agrippine et Pison sont revenus de Syrie, l'une pour venger son mari Germanicus, mort empoisonné (v. TACITE, Ann., II, 70 sqq.), l'autre pour se justifier, s'il est besoin, des soupçons qui pèsent sur lui, en révélant au Sénat les ordres secrets de Tibère. Cnéius Pison, fils de Pison, a seul encore, Tibère le sait. la confidence du dessein de son père: il périra. imitations de Tacite abondent dans la tragédie de Tibère. Le détail en est relevé dans le Tacite de la collection Lemaire, tome Ve. - Les sentiments prêtés par le poète a Tibère dans ce monologue sont justifiés par les passages suivants des Anuales. Libertatem metuebat, adulationem oderat (II, 87). Memoriæ proditur Tiberium, quotiens curia egrederetur, Græcis verbis in hunc modum eloqui solitum, o homines ad servitutem paratos! Scilicet, etiam illum, qui libertatem publicam nollet, tam projectæ servien-, tium patientiæ tædebat (III, 65). Tiberium non fortuna, non solitudines protegebant, quin tormenta pectoris suasque ipse pænas fateretur (VI, 6.) At Romæ ruere in servitium consules, patres, eques.. (I, 7). dénouement de Tibère est celui-ci: Séjan fait assassiner Pison; Cnéius révèle au Sénat, en présence de l'empereur, le secret de son père, et se tue. Le 2. Cf. LAMARTINE, Dernier chant du pèlerinage d'Harold, XIII. 3. Cf. SALLUSTE, Discours de Lépidus au peuple (Fragments de ses hist.) Præclara Brutorum atque Emiliorum soboles, geniti ad ea, quæ patres virtute peperêre, subvertunda! RÉPONSE AUX CALOMNIATEURS 1 ... J'entends crier encor le sang de leurs victimes, Hélas! pour arracher la victime aux supplices, 1. Les ennemis de M.-J. Chénier, et parmi eux d'anciens terroristes, l'accusaient de ne s'ètre pas employé pour tirer son frère de prison. La vérité est, nous dit A. de Vigny (Stello, chap. 20 et suiv.), qu'il craignait d'éveiller imprudemment l'attention de Robespierre. Sa mère vieillit et mourut auprés de iui: c'est sa première justification. L'éloquence des vers suivants est la seconde. 2. Cf. un vers du monologue de Tibère. 3. Voyez la Notice. 4. C'est-à-dire, aurait péri. André et M. Joseph avaient deux frères aînés. Quelques amis des arts, un peu d'ombre, et des fleurs; (Discours sur la calomnie.) LES LETTRES ET LE DESPOTISME Tout s'éteint; les conquérans périssent; D'anéantir l'esprit né d'un souffle divin. (Epitre à Voltaire 2.; LA PROMENADE ÉLÉGIE Roule avec majesté tes ondes fugitives, 1. Cf. le Semper florentis Homeri de LUCRECE (I, 125.) 2 Chénier, dans cette épître d'fend Voltaire contre la proscription dont il est l'objet, et revendique les droits de la libre pensée. Il revendique avec autant d'éloquence ceux de la libertè politique dans sa célèbre Elégie La Promenade (1805). |