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Du moins auprès de toi que je retrouve encore
Ce calme inspirateur que le poète implore,
Et la mélancolie errante au bord des eaux.
Jadis, il m'en souvient, du fond de leurs roseaux,
Tes nymphes répétaient le chant plaintif et tendre
Qu'aux échos de Passy ma voix faisait entendre.
Jours heureux, temps lointain, mais jamais oublié,
Où les arts consolans, où la douce amitié,
Et tout ce dont le charme intéresse à la vie,
Egayaient mes destins ignorés de l'envie.
Le soleil affaibli vient dorer ces vallons,
Je vois Auteuil sourire à ses derniers rayons.
Oh! que de fois j'errai dans tes belles retraites,
Auteuil lieu favori, lieu saint pour les poètes !
Que de rivaux de gloire unis sous tes berceaux!
G'est là qu'au milieu d'eux l'élégant Despréaux,
Législateur du goût, au goût toujours fidèle,
Enseignait le bel art dont il offre un modèle ;
Là, Molière, esquissant ses comiques portraits,
De Chrysale ou d'Arnolphe a dessiné les traits.
Dans la forêt ombreuse ou le long des prairies,
La Fontaine égarait ses douces rêveries ;
Là, Racine évoquait Andromaque et Pyrrhus,
Contre Néron puissant faisait tonner Burrhus,
Peignait de Phèdre en pleurs le tragique délire.
Ces pleurs harmonieux que modulait sa lyre
Ont mouillé le rivage; et de ces vers sacrés
La flamme anime encor les échos inspirés...

Mais Saint-Cloud lui rappelle le 18 brumaire et l'attentat de Bonaparte contre les lois et la liberté.

Je n'ai point caressé sa brillante infamie;
Ma voix des oppresseurs fut toujours ennemie ;
Et, tandis qu'il voyait des flots d'adorateurs
Lui vendre avec l'Etat leurs vers adulateurs,
Le tyran dans sa cour remarqua mon absence:
Car je chante la gloire et non pas la puissance

1. Et ailleurs (Discours sur la calomnie):

J'ai vécu libre et fier, mais sans intolérance.
Plaignant le sot crédule, abhorrant l'imposteur,
Souvent persécuté, jamais persécuteur,
Adversaire constant de toute tyrannie,
Ami de la vertu, défenseur du génie,
Convaincu seulement du crime détesté
D'avoir aimé, servi, chanté la liberté

Le troupeau se rassemble à la voix des bergers:
J'entends frémir du soir les insectes légers;
Des nocturnes zéphyrs je sens la douce haleine;
Le soleil de ses feux ne rougit plus la plaine,
Et cet astre plus doux qui luit au haut des cieux
Argente mollement les flots silencieux 1.

Mais une voix qui sort du vallon solitaire

Me dit: « Viens: tes amis ne sont plus sur la terre;
Viens: tu veux rester libre et le peuple est vaincu. »
Il est vrai: jeune encor, j'ai déjà trop vécu.
L'espérance lointaine et les vastes pensées
Embellissaient mes nuits tranquillement bercées ;
A mon esprit déçu, facile à prévenir,
Des mensonges rians coloraient l'avenir.
Flatteuse illusion, tu m'es bientôt ravie !
Vous m'avez délaissé, doux rêves de la vie.
Plaisirs, gloire, bonheur, patrie et liberté,
Vous fuyez loin d'un cœur vide et désenchanté.
Les travaux, les chagrins ont doublé mes années,
Ma vie est sans couleur, et mes pâles journées
M'offrent de longs ennuis l'enchaînement certain,
Lugubres comme un soir qui n'eut pas de matin.
Je vois le but, j'y touche, et j'ai soif de l'atteindre.
Le feu qui me brûlait a besoin de s'éteindre;
Ce qui m'en reste encor n'est qu'un morne flambeau
Eclairant à mes yeux le chemin du tombeau.
Que je repose en paix sous le gazon rustique,
Sur les bords du ruisseau pur et mélancolique !
Vous, amis des humains et des champs et des vers,
Par un doux souvenir peuplez ces lieux déserts;
Suspendez aux tilleuls qui forment ces bocages
Mes derniers vêtemens mouillés de tant d'orages;
Là quelquefois encor daignez vous rassembler;
Là prononcez l'adieu; que je sente couler

Sur le sol enfermant mes cendres endormies
Des mots partis du cœur et des larmes amies 2 !

1. Bernardin de Saint-Pierre, Chateaubriand, Lamartine n'ont jamais mieux peint; et jamais poète élégiaque n'a eu d'accents plus sincères, plus êmus et plus fermes que ceux des vers qui suivent.

2. M.-J. Chénier a décoché des épigrammes mordantes contre Delille et sa poésie soi-disant descriptive de la nature, contre Chateaubriand et son Atala. Mais valent-elles les deux suivantes, la première, d'ANDRIEUX, l'autre de Pons dit de Verdun (1757-1844), qui eut un rôle dans nos assemblées

MILLEVOYE

1782-1816

Parmi les poètes trop tôt enlevés par la mort aux promesses de l'avenir, il n'en est pas, après A. Chénier, au nom duquel la postérité ait attaché plus de regrets qu'à MILLEVOYE (Charles-Hubert) d'Abbeville. La nature de son talent semble avoir eu un rapport étrange et touchant avec sa destinée, comme si c'était le voisinage et le pressentiment de la mort qui l'avaient fait ce qu'il fut avant tout, un poète élégiaque. Ses épîtres, discours en vers, poemes héroïques ont passe. Ses élégies resteront en dépit de quelques banalités conventionnelles du style de son temps. Son Poète mourant, où il prévoit sa fin (Cf. TIBULLE, III, 3), est une des plus citées, non des meilleures. La Chute des Feuilles est classique; l'Anniver saire fait aimer le fils dans le poète.

L'ANNIVERSAIRE

ÉLÉGIE

Hélas! après dix ans je revois la journée
Où l'âme de mon père aux cieux est retournée.
L'heure sonne, j'écoute..... O regrets! ô douleurs!
Quand cette heure eut sonné je n'avais plus de pèrc.
On retenait mes pas loin du lit funéraire ;

On me disait «< il dort, » et je versais des pleurs.
Mais du temple voisin quand la cloche sacrée
Annonça qu'un mortel avait quitté le jour,
Chaque son retentit dans mon âme navrée,
Et je crus mourir à mon tour.

Tout ce qui m'entourait me racontait ma perte.
Quand la nuit dans les airs jeta son crêpe noir,
Mon père à ses côtés ne me fit plus asseoir,
Et j'attendis en vain à sa place déserte
Une tendre caresse, et le baiser du soir

politiques Ce nous est une occasion de les citer.

Que de coquins dans votre ville
Monsieur Harpin, sans vous compter!
- Morbleu ! cessez de plaisanter:
Un railleur m'échauffe la bile.

Eh bien! soit. je change de style;
Déridez ce front mécontent:

Que de coquins dans votre ville,
Monsieur Harpin. en vous complant

LE BIBLIOMANE

C'est elle!... Dieux! que je suis aise!
Oui, c'est la bonne édition :

Voilà bien, pages neuf et seize,
Les deux fautes d'impression

Qui ne sont pas dans la mauvaise.

Je voyais l'ombre auguste et chère
M'apparaître toutes les nuits.
Inconsolable en mes ennuis,

Je pleurais tous les jours même auprès de ma mère.
Ce long regret, dix ans ne l'ont pas adouci ;
Je ne puis voir un fils dans les bras de son père,
Sans dire en soupirant: « J'avais un père aussi. »
Son image est toujours présente à ma tendresse.
Ah! quand la pâle automne aura jauni nos bois,
O mon père ! je veux promener ma tristesse
Aux lieux où je te vis pour la dernière fois.
Sur ces bords que la Somme arrose
J'irai chercher l'asyle où ta cendre repose;
J'irai d'une modeste fleur

Orner ta tombe respectée,

sur la pierre encor de larmes humectéc
Redire ce chant de douleur.

LA CHUTE DES FEUILLES'

ÉLÉGIE

De la dépouille de nos bois
L'automne avait jonché la terre:
Le bocage était sans mystère,
Le rossignol était sans voix.
Triste et mourant, à son aurore,
Un jeune malade, à pas lents,
Parcourait une fois encore
Le bois cher à ses premiers ans :

<< Bois que j'aime! adieu..., je succombe ;
Votre deuil me prédit mon sort;
Et dans chaque feuille qui tombe
Je vois un présage de mort.
Fatal oracle d'Epidaure 2!
Tu m'as dit: Les feuilles des bois
A tes yeux jauniront encore,
Mais c'est pour la dernière fois.
L'éternel cyprès t'environne:

Plus pâle que la pâle automne,

1. Le jeune malade est le poète lui-même.

2. Esculape avait un temple à Epidaure et y rendait des oracles. tendez, je suis condamné par les médecins.

En

Toute cette mythologie

n'est plus dans nos goûts. Mais peut-on blâmer l'emploi qu'en fait ici Millevoye?

Tu t'inclines vers le tombeau ;
Ta jeunesse sera flétrie,
Avant l'herbe de la prairie,
Avant le pampre du coteau.

Et je meurs!..... De leur froide haleine
M'ont touché les sombres autans,
Et j'ai vu comme une ombre vaine
S'évanouir mon beau printemps.
Tombe, tombe, feuille éphémère,
Voile aux yeux ce triste chemin ;
Cache au désespoir de ma mère
La place où je serai demain.
Mais, vers la solitaire allée,
Si mon amante échevelée
Venait pleurer quand le jour fuit,
Eveille par ton léger bruit

Mon ombre un instant consolée ! »
Il dit, s'éloigne..... et sans retour!.....
La dernière feuille qui tombe

A signalé son dernier jour.

Sous le chêne on creusa sa tombe...

Mais son amante ne vint pas

Visiter la pierre isolée ;

Et le pâtre de la vallée

Troubla seul du bruit de ses pas

Le silence du mausolée1.

1. Le poète a fait d'une élégie un petit drame d'une mélancolie douloureuse et discrète en son dénouement amer. Faut-il y voir un triste pres sentiment de son cœur? - L'année même où il mourait en laissant cette élégie, paraissait une autre élégie qui lui dispute le prix, La pauvre fille d'Alex. SOUmet.

La pauvre fille

J'ai fui ce pénible sommeil

Qu'aucun songe heureux n'accompagne,
J'ai devancé sur la montagne
Les premiers rayons du soleil.

S'éveillant avec la nature

Le jeune oiseau chantait sur l'aubépine en fleurs,
Sa mère lui portait la douce nourriture.

Mes yeux se sont mouillés de pleurs;

Oh! pourquoi n'ai-je pas de mère?
Pourquoi ne suis-je pas semblable au jeune oiseau
Dont le nid se balance aux branches de l'ormeau ?
Rien ne m'appartient sur la terre,

Je n'eus pas même de berceau,

Et je suis un enfant trouvé sur une pierre

Devant l'église du hameau.

« ÀÌÀü°è¼Ó »