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Suppofé qu'une autre petite fille un peu noire eût paffé en même temps que vous fur la terraffe ; que ces dames l'euffent remarquée, & euffent dit d'elle ce qu'elles ont dit de vous, je voudrais favoir fi leur remarque vous eût fait la même impreffion, & fi vous en euffiez reffenti la même indignation.

EMILI E.

N'en doutez point, ma chere ma◄ man; j'aurais vu tout de fuite que cette petite fille fera du mauvais fang quand elle fera rentrée chez elle. Ne m'avez-vous pas appris à me mettre à la place des autres? Je ne peux pas foufrir qu'on mortifie comme cela les paffans; il faut avoir des égards pour tout le monde. Et puis, vous m'avez ouvert les yeux, & je fais le cas qu'il faut faire de cet efprit de dénigre

ment,

LA MERE.

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'Allons, je vois que votre caractere prend une tournure févére & que votre morale ne péchera pas par l'indulgence; il faudra marcher droit devant vous... Mais fuppofons que ces dames, au lieu de vous trouver noire, euffent dit: Voilà une petite fille qui promet d'être bien belle un jour!

EMILI E.

Ah, maman, vous voulez m'embaraffer!.. Eh bien, j'aurais rougi & baiffé les yeux.

LA MERE.

Mais la promenade des Tuileries ne vous aurait plus paru fi mauffade peut-être ?

EMILI E.

Croyez-vous, maman?

LA MER E.

Cependant, juger fur un coupd'oeil très-fuperficiel, fans Y atacher aucun intérêt, que ce foit en bien on

en mal, c'est toujours juger à tort &

à travers.

EMILIE.

maman; mais con

Cela fe peut, maman;

venez que le jugement qui flate ne paraît pas fi de travers que celui qui fait de la peine.

LA

MERE.

Je conçois cela, & je préfume que dans ce cas la févérité de votre morale fe ferait un peu adoucie en faveur de ces perfones qui jugent si légérement & au hafard.

EMILIE,

Mais, maman, n'eft-ce pas un de vos principes, qu'il faut garder la févérité pour foi & l'indulgence pour les autres?

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Je vois que vous en faites l'application d'une maniere bien défintéreffée & fans aucun retour fur vousmême.

EMILI E.

Comment l'entendez-vous ? Me trouvez-vous partiale; avec deux poids & deux mesures, comme dit P'évangile ?

LA MER E.

Convenez du moins que vous ne manquerez pas d'indulgence pour les hâbleufes qui, fans vous regarder, Vous promettront d'être belle un jour. EMILIE

Mais je crois, ma chere maman, que cette prédiction n'a jamais fâche perfone.

LA MERE.

Il faut que la beauté foit le fuprême bonheur de la vie : car les jeunes filles donneraient, pour l'obtenir, fanté, richeffe, & peut-être des biens encore plus effentiels.

EMILIE.

Le fuprême bonheur, c'est peutêtre un peu fort; mais du moins

maman, c'est un grand bonheur. Je vous ai entendu parler plus d'une fois comme d'un avantage bien précieux, de prévenir en fa faveur par une figure intéreffante ou agréable, par un extérieur noble qui plaît & qui féduit. LA MER E.

Malgré tout cela, je ne fais s'il faut regarder la beauté comme un avantage fi fort défirable.

EMILIE.

Vous avez donc une dent contre elle?

LA MER E.

Je remarque d'abord qu'il n'y a point d'avantage plus fragile, plus frivole, plus paffager; que, fans compter mille accidens, peu d'années en alterent les traits, en détruifent les charmes, en éfacent jufqu'au fouvenir. Penfez-vous qu'on foit bien fage ou bien heureuse de fonder fa félicité fur une chofe fi fugitive?

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