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EMILIE.

Je parie que vous donnâtes la préférence à celui de la belle femme. LA MERE.

Ses deux mots m'avaient laiffé une impreffion de peine profonde. EMILIE.

C'est vrai, maman; vous en parlâtes toute la foirée.

LA MERE.

Tandis que la dame qui m'avait menacée de la voir périr, affomée par la fimple température de la saison, ne m'avait pas laiffé la plus petite inquié tude fur son état, ni la plus légere envie de trembler pour fa vie, EMILIE.

Elle n'avait pas peut-être plus de

peur que vous?

LA MERE.

Cette conviction me conferva ma tranquillité; mais je me difais, en cheminant avec mon enfant vers notre

village :

village Comme on a bientôt trouvé le mot vrai, quand on parle d'après fa pensée ou d'après fon fentiment & combien ne faut-il pas faire de frais en paroles inutiles, lorfqu'on veut parler quand on n'a rien à dire!

EMILIE.

Vous difiez apparemment cela à votre bonet; il fallait le dire à votre enfant.

LA MERE.

Vous avez raifon.

EMILIE.

Si bien que vous ne voulez

pas de mots inutiles? Et moi, maman, je vous y prends, & je vous en montrerai un dans le difcours de la belle femme que vous aimez tant.

LA MERE.

Voyons. Je ne me le rapele pas, & je crois que vous aurez un peu de peine à le trouver.

EMILIE.

Pardonez-moi, maman. Qu'est-ce
Tome II,

I

que la fenaifon a à faire, avec fon malheur? Que fon mari foit mort avant ou après la fenaison, elle est toujours également à plaindre. Ainfi c'eft une circonftance bien inutile. LA MERE.

Dont je fus d'autant plus touchée, que par ce feul mot que vous trouvez inutile, elle m'avait fait envisager toute l'étendue de fa mifere.

EMILIE.

Quoi? Parce qu'elle durait déja depuis trois mois?

LA MER E.

Non-feulement parce qu'elle durait depuis trois mois la belle femme l'avait dit, & ne l'aurait pas répété; mais parce que fa mifere avait commencé à l'époque la plus fâcheuse poffible.

EMILIE.

Comment cela, maman

LA MERE.

Je fuis étonée qu'Emilie qui a une fi grande habitude de la vie de la campagne, n'ait pas été frapée par cette circonftance. Vous devriez avoir obfervé depuis long-temps, que pour, cette claffe d'hommes fi utile & fi refpectable, à qui nous devons notre fubfiftance & toutes les productions de la terre, la faifon du travail dure depuis le premier jufqu'au dernier jour de l'année, & la récompenfe du travail n'a lieu que pendant trois ou quatre mois de l'été; c'est la faifon des moiffons & des récoltes de toute efpece. Le pere de ces orphelins était jeune fans doute & dans la force de l'âge, puifqu'il laiffe une femme fi jeune & trois enfans en bas âge. Sl était mort après toutes les récoltes de l'année, fa malheureuse famille aurait eu du moins quelque fubfiftance pendant cet hiver; mais il eft mort fans

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recueillir le fruit de fes travaux de l'hiver & du printemps paffés. S'il a taiffé un petit pré, qui l'aura fauché? S'il a poffédé un petit champ de bled, qui laura coupé ou ferré ? S'il a eu un demi-arpent de vigne, qui en aura eu foin ou fait la vendange? Demandez à votre ami, le pere Noël, combien tout cela exige de travail & de peines. Croyez-vous que la belle femme chargée de la garde de trois enfans, ait pu encore faire fes récoltes ellemême? Cela me paraît impoffible. Si elle ne l'a pas pu, comment a-t-elle donc fait, pour payer les faucheurs & moiffoneurs dont elle avait befoin? Qui fera allé pour elle cet automne dans le bois ramaffer quelques brouffailles, pour empêcher fes enfans de mourir de froid dans leur chaumiere? Vous voyez, ma chere amie, que d'un feul mot, qui vous a paru fi inutile elle m'a montré bien des malheurs fans remede,

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