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LA MERE.

Sur-tout quand elle est relevée par un peu d'énergie & de force.

EMILIE.

C'est votre paffion, la force; vous la voulez par-tout.

LA MERE.

Voyez comme vous êtes injufte! Quand nous avons lu l'autre foir, avant de nous coucher, cette idylle de Geffner, où Mirtile, par un beau clair de lune, va vifiter l'étang voifin...

EMILIE.

Ah, je m'en fouviens, maman. Le calme profond de la nuit & le doux chant des roffignols l'avaient retenu long-temps près de cet étang dans un raviffement muet. Enfin il revient à fa cabane, & trouve fon pere endormi fous le berceau couvert de pampres & adoffé à la cabane. Et vous difiez que cela faifait tableau, & que võus

voyiez d'ici ce vénérable vieillard, avec fes cheveux blancs, couché fur le gazon & éclairé par la lune. Et puis, tout ce que fon fils lui dit pendant qu'il dort! Comme c'est beau! Et vous difiez que cet auteur avait un charme & une douceur inexprimables. Et puis vous me permîtes de lire encore Amintas, & puis encore Titire & Ménalque, & Palémon, la plus belle de toutes; & vous difiez qu'il fallait que M. Geffner eût été bien bon fils & qu'il méritait d'avoir des enfans qui lui reffemblent, puifqu'il favait peindre la piété filiale avec des couleurs fi touchantes. Et moi, je vous difais le lendemain, qu'on dormait bien mieux, quand on avait fait une lecture comme celle-là...

LA MERE.

Et m'avez-vous entendue reprocher, à ces charimantes idylles de manquer de force? abgela of ab caldr

EMILIE

(embraffant fa mere.)

Ah, maman, j'ai tort, j'ai tort...
LA MERE.

Je n'exige donc pas de la force là où elle ferait déplacée? Au refte, nous pouvons aranger notre différend fans nous brouiller. Vous m'avez pris mon livre, vous en lirez une Méditation tous les matins, fi vous voulez. Et puis je vous donnerai, moi, les cahiers d'une femme d'un grand mérite de ma connaissance.

EMILIE.

Qu'est-ce qu'il y a dans ces cahiers?
LA MER E.

- Elle a fait l'extrait des Vies des hommes illuftres de Plutarque, à l'ufage d'une jeune perfone qui en a finguliérement profité. Vous favez ce que c'est qu'un extrait, & vous comprenez qu'elle a rapproché les traits les plus remarquables de tous les grands & vertueux

perfonages de l'antiquité. Si cela vous convient, après chaque Méditation vous lirez un de ces extraits; nous verrons lequel de ces deux ouvrages vous aimerez le mieux à la longue.

EMILIE.

Cela s'appelle parler, maman. Nous jugerons ce procès ensemble. Je parie qu'il y a de la force dans ces extraits? LA MERE.

Ou, fi vous voulez, de la féve.

EMILIE.

Mais pourquoi aimez-vous tant la force ou la féve?

LA MERE.

Parce que c'eft elle qui vivifie & foutient tout dans la nature. La mort n'eft que la ceffation des forces de toute efpece. Vous aimez à vivre, à ce que vous m'avez infinué; vous devez donc aimer la force autant que moi.

EMILI E.

Mais comment, maman, pouvezyous l'aimer à ce point-là, vous qui n'avez pas plus de force qu'un ferin, comme vous difait Madame de Beltort?

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Plus on eft privé de force phyfique, plus la force morale nous eft chere & indifpenfable. Sans quoi que devien

drait-on ?

EMILI E.

Oh, celle-là ne vous manque pas. Demandez plutôt à M. de Verteuil.

LA MERE.

Et moi, je ne m'en trouve guere plus qu'à un ferin, pour ne point quiter l'oifeau favori de Madame de Beltort. Mais allons réparer nos forces phyfiques, & puis nous nous occuperons à augmenter la maffe de nos forces morales.

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