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d'avoir fait votre courfe inutilement. Il n'y a cependant pas plus loin de la chauffée d'Antin à la rue Saint-Sauveur que de la rue Saint-Sauveur à la chauffée d'Antin, & je vous ai reçue tout de fuite, dans ma boutique, c'està-dire, dans la piece d'honeur de ma maison, fans vous faire atendre dans une antichambre ou dans un corridor. Apparemment, aurais - je aurais-je ajouté, que vous comptez me payer un tiers en fus du prix, pour tout le temps que vous me faites perdre. Si je ne fuis pas venu ce matin, c'est que j'ai trouvé par-tout des perfones auffi juftes que vous; dans chaque maifon on m'a fait atendre, & pendant ce temps là ma femme & mes cinq enfans atendent après le pain que vous & vos pareils leur enlevez.

EMILI E.

Ah, ma chere maman, voilà une cruele leçon! Je vous promets bien

qu'il ne perdra plus de fa vie une minute avec moi, ni lui, ni persone. LA MERE.

Et moi, je me réjouirai d'avoir retrouvé mon Emilie telle que je l'avais perdue, & de n'être pas dans le cas de partager les inquiétudes de cette pauvre mere de mon rêve.

EMILI E.

Il est bien juste, ma chere maman, que vous n'ayez que des fujets de fa-tisfaction, après tant de dangers & de foufrances.

LA MERE.

Quels étaient donc ces embaras} ma chere amie qui vous forcerent de faire atendre & de renvoyer votre cordonier?

EMILI E.

Vous favez bien, maman, que M. de Gerceuil, au fortir de chez vous, vint dans ma chambre avec ma tante.

LA MERE.

Vraiment, je l'avais oublié. Et vous apporte-t-il toujours des oranges?

EMILI E.

Oh, nous ne sommes plus fi enfans, lui & moi. Mais il me dit qu'il était bien aise de me voir, & qu'à présent nous pouvions jaser ensemble, puifque vous vous portiez très-bien, & que cela irait mieux de jour en jour. Il avait fon air ordinaire pour la premiere fois car depuis fon retour il paffait toujours devant moi avec un air fombre & fans me parler. Savezvous, me dit-il, que c'eft aujourd'hui le dernier du mois? Si meffieurs vos freres étaient-ici, & que votre maman fût affez forte, il y aurait eu un exercice, & vous feriez peut-être actuélement décorée de la croix. Moi, je lui répondis que j'y penfais, quand il m'avait fait l'honeur d'entrer chez moi, & que j'étais fur le point de faire faire

unexercice à ma poupée, à la petite s'entend, que nous ap pellons la niece; vous favez bien, maman; Il me dit que c'était à merveille; que nous ne pouvions mieux célébrer la convalescence de maman à la fin d'un mois. Que je ferais la gouvernante, que la niece ou la petite poupée répondrait à mes questions, & que lui, lui, il ferait le rôle de mon frere le Chevalier, & tâcherait de gâgner la croix.

LA MERE.

A la poupée? Et vous dites qu'il n'y a plus d'enfant? Allez, votre ami aux oranges le fera à quatre-vingts

ans.

EMILIE.

C'eft ce que ma tante lui disait.

LA MERE.

Je parie qu'elle a hauffé les épaules,

Votre tante.

EMILI E.

Un peu, maman; mais elle a eu la complaifance d'affifter à l'exercice. LA MERE.

Mais qui répondait donc pour la petite poupée ?

EMILIE.

C'est moi, maman, qui répondais pour elle & qui fouflais encore M. de Gerceuil : car il faifait femblant de ne rien savoir, & je vous affure que, fans moi, il n'aurait pas gâgné la croix. LA MERE.

Ainfi il l'a gâgnée par fupercherie, & vous avez fait une injuftice criante à votre poupée ?

EMILI E.

Il eft vrai, maman, que les chofes ne fe font pas paffées bien loyalement. Mais je crois qu'on peut faire une injuftice, fans conféquence, à une petite fille qui n'a qu'un cœur de

carton.

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