EMILIE.

Peut-être en ont-ils, maman; mais je ne fais le démêler.

LA MER E.

Ou bien vous ne vous en fouciez pas toujours?

EMILI E.

Eh, je fais pourquoi vous n'aimez pas les féeries; je m'en fouviens à préfent. Vous dites que ce mêlange de folie & de raifon vous déplaît. LA MER E.

Encore un fouvenir? Mais fi vous favez mes raifons bonnes ou mauvaifes, il ne faut donc pas me les demander.

EMILIE.

Ainfi vous ne voulez pas qu'on foit gai dans les livres.

·LA MERE.

Je vois bien, Emilie, fi je vous laiffe faire, que vous ferez de moi

une bégueule. Je n'ai jamais donné l'exclufion à aucun genre.

EMILIE.

Excepté aux folies pourtant?
LA MERE.

Pas même aux folies, fi elles font innocentes. Je n'ai pas envie de me brouiller avec les poêtes.

Eft-ce

EMILI E.

que les poêtes font fous?
LA MERE.

On accuse tous ceux qui travaillent d'imagination, de l'être plus ou moins. Ils feraient même bien fâchés de n'avoir pas cette réputation, & ils croiraient avoir perdu le plus beau laurier de leur courone.

EMILI E.

Et le plus beau laurier de leur courone eft la folie !

Ce n'eft pas tout-à-fait cela. Seulement ils ont un accident qui leur

est commun avec les fous; mais quoi que le fymptôme foit le même dans les deux maladies, les causes en font très-diverfes.

EMILIE.

Ainfi la poéfie & la folie font deux maladies, mais diverses! Et l'accident commun?

LA MERE.

C'eft qu'au lieu de conduire leur tête, comme font les fages, on s'aperçoit que c'eft leur tête qui les mene, malgré eux, & les fait ariver où ils ne le proposaient pas d'aller.

EMILIE. ·

Mais cela n'eft pas trop bien, au

moins.

LA MER E.

Cela ferait même très-mal dans la conduite de la vie, mais la conduite d'un ouvrage d'imagination a toute une autre morale; & ceux que la nature a doués pour ce genre de pro

ductions, feraient bien humiliés de

n'avoir pas reçu ce grain...

EMILIE.

Ils s'appellent poêtes, musiciens; fculpteurs, peintres. Ces enfans ont tous la même mere.

Soit.

LA MER E;

EMILIE.

Et fi la verve mene un de ces enfans dans un champ de Fées, cela vous déplaît, maman?

LA MERE.

J'aime moins ce champ qu'un autre, parce que je crois qu'il eft fort aifé de s'y égarer & de s'y perdre; & fi je ne m'oppose pas même aux folies, j'ai un droit de plus pour ne pas aimer les extravagances. J'aime pour moi, qui ai la vue courte, qu'un champ foit borné par un grand but d'utilité & de morale, & que la fantaifie des hommes s'exerce dans l'imitation de la nature qui lui offre des richeffes inépuifables, au lieu de fe jeter à perte de vue dans le chimérique & le fantaflique, dont les tréfors font immenfes auffi, mais faftidieux & infipides.