compenfe qu'elle défirait, & fe retira dans fa province. Cependant la Ducheffe qui devait paffer les premieres années de fon mariage à la cour avec fa belle-mere, ne fe fépara pas de la compagne de fon enfance fans regret, & lui promit de la faire revenir auprès d'elle, dès qu'elle aurait fa maison. Le fort en avait autrement décidé.

EMILIE.

Je le vois bien, puifqu'en atendant, la voilà logée dans une remise. LA MER E.

La mere de Cécile était un de ces caracteres plus communs qu'il ne le faudrait dans les conditions fubalternes. Infinuante & fouple avec fes fupérieurs, elle fe dédomageait de cette contrainte avec ceux que le fort faifait dépendre d'elle. Naturélement impérieuse, dure & hautaine, elle eut encore le malheur d'être ja

loufe de la tendreffe que Madame la Ducheffe témoignait à fa fille. La pauvre Cécile ne fut donc pas à beaucoup près heureufe avec une telle mere. Celle-ci ne connaiffant d'autre plaifir que l'ambition, l'avait, en arivant dans fa réfidence, concentrée toute entiere dans le projet de marier avantageusement fa fille ; le caractere & la figure de Cécile lui promettaient, indépendament de la protection de fa bienfaitrice, de grandes facilités à cet égard. Bientôt elle jeta les yeux fur l'homme d'afaires de M. le Comte de ***, Seigneur de plufieurs terres confidérables dans la province. Cet homme jouiffait de toute la confiance de fon maître, & était d'autant plus redouté de tout le canton, qu'habile à découvrir chaque jour quelque parchemin dans le chartrier de Monfieur le Comte il avait déja dépouillé plufieurs voifins de leurs poffeffions. Quand on lui faifait com

pliment fur la beauté & l'immenfité du parc de la terrè principale: Ah, difait-il, cela ne vient pas en dormant; on trouve bien des entêtés dans fon chemin ; il faut plaider continuélement, détourner l'eau à l'un envoyer le gibier vivre à difcrétion chez l'autre, enfin imaginer mille petites reffources pour parvenir à la réunion.

EMILI E.

Aimez-vous cet homme-là, maman? Il me paraît bien plus haïffable que Jaques Truchard.

LA MERE.

C'était cependant à cet homme qu'Anaftafie Frênel deftinait fa fille; & comme les coeurs farouches éprou→ vent quelquefois auffi l'empire de la beauté, celle de Cécile avait fait une vive impreffion fur l'ame dure & inacceffible d'un chicaneur de profeffion.

EMILIE.

C'est donc à ce chicaneur qu'elle doit fon beau nom de Preindle? Je ne fuis plus étonée qu'elle ait été malheureuse par fa faute ou fans fa faute.

LA MERE.

Vous allez plus vite que Cécile Frênel. Tandis que l'ambition de fa mere difpofait d'elle en faveur de l'homme d'afaires de M. le Comte de ***, l'amour avait difpofé de fon cœur en faveur d'un jeune homme du voisinage, nommé M. Baruel. Ce jeune homme habitait & cultivait un petit bien de campagne qu'il avait hérité de fon pere. Il n'était pas riche, mais la liberté & l'indépendance compagnes ordinaires de la pauvreté honête, lui faifaient préférer fon fort aux deftinées les plus brillantes; sa fageffe & fa conduite l'avaient fait chérir & rechercher de tout le canton.

Il n'était pas riche, & il l'ignorait avant d'avoir vu Cécile. Elle lui infpira une forte paffion, & pour la premiere fois il défira la richeffe.

EMILI E.

Ah, maman, faifons-lui faire ce mariage! Faut-il donc toujours ce vilain argent pour être heureux ? D'ailleurs, fi nous en parlons à Madame la Ducheffe, elle fera sûrement quelque chofe en faveur de la compagne de fon enfance.

LA MERE.

C'eft fa mere qu'il aurait fallu perfuader; mais elle faifait plus de cas de la crainte qu'inspirait le chicaneur enrichi & redouté, que de l'eftime générale dont jouiffait un jeune homme de mérite, mais pauvre & fans crédit. Rien ne put vaincre fa répugnance.