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EMILI E.

Mais fi la verve les y entraîne mal

gré eux?

LA MER E.

Puifque vous en avez fait une gouvernante, il faut vous fouvenir que, quoiqu'elle ait une démarche fort irréguliere en apparence, ce n'eft pourtant pas une perfone dont la conduite n'ait ni rime ni raison.

EMILIE.

J'entends; elle a fes principes à fa

maniere.

LA MER E.

Et fi elle ou fes enfans s'en écartent, je ne fuis pas obligée de les fuivre dans tous les labyrinthes où il leur plaît quelquefois de s'enfoncer.. EMILIE.

Mais fi ces labyrinthes menent à la

raifon?

LA

MERE.

N'eft-il

pas plus court d'y aller sans

détour? Vous même, ma chere amie, trouvez-vous le chemin qui y conduit trop aride ou trop pénible? Ou bien, lui trouvez-vous à elle-même un air fi trifte, qu'on ne pourait en foutenir la vue, fi elle ne fe cachait fous les haillons de la folie?

EMILI E.

Moi, maman? Non, en vérité. Je trouve à la raison un air de famille avec vous, & vous favez fort bien que je vous trouve aimable.

LA MER E.

Je ne vous demandais pas un compliment. Mais, air de famille à part, puifqu'elle est bien toute nue, croyezvous qu'il foit de bon goût de l'afubler d'un habit bizâre de carnaval ?

EMILI E.

Cependant, maman, je me rapele tout préfentement que vous m'avez dit que la fable a été inventée pour déguifer la vérité; & vous convien

drez du moins de l'air de famille qu'il y a entre la vérité & la raison.... LA MER E.

Et par conféquent la morale. Je dois aufli convenir que la vérité eft bien auffi belle toute nue que la raison. Mais, comme fuivant votre propre remarque, toutes les vérités ne font pas bonnes à dire, je conçois qu'on fe foit fervi de l'apologue ou de la fable, pour mafquer certaines vérités trop dangereufes à dire ou trop dures à entendre. Il n'eft guere poffible de dire à un homme puiffant & injufte fes vérités perfoneles autrement. Auffi la fable a-t-elle pris naiffance dans le pays des defpotes & des efclaves.

EMILI E.

J'entends: les hommes n'ont pas ofé parler; ils ont fait parler les bêtes à leur place.

LA MERE,

Tout julle.

EMILIE.

Ah, je me rapele la fable du loup & de l'agneau qui fe rencontrent au bord du ruiffeau. Savez-vous, maman, qu'elle m'a fait pleurer? Je ne fuis pourtant pas despote, moi.

LA MERE.

Non, vous n'êtes pas de la claffe des loups, mais de celle des agneaux.

EMILIE.

Je penfais au mien, & je difais : Ah, mon pauvre Placide, fi tu avais été là, tu étais croqué fans miféricorde.

LA MERE.

Et vous lui avez prêché fans doute qu'il faut fe tenir le plus loin qu'on peut des loups?

EMILIE.

Ah, oui, qui, je fais bien; c'eft la morale.

LA MER E.

Vous voyez que la fable, du moins

telle qu'elle a été conçue dans fon origine, est de la plus extrême fimplicité; qu'elle eft concife, énergique, févere jufques dans fes ornemens; qu'elle renferme ordinairement un grand fens.

EMILI E.

Ah, c'est vrai cela. Elle vous revient dans la pensée quand on y fonge le moins, ou qu'on s'en croit à cent lieues.

LA MERE.

Ainfi, toute fauffe qu'elle eft, elle a prefque la démarche fimple & noble de la raifon & de la vérité.

il

EMILI E.

C'est qu'elle est à leurs gages; n'eftpas vrai?

LA MERE.

Vous avez raifon ; & les bons domefiques prenent toujours plus ou moins les mœurs de leurs maîtres.

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