EMILI E. Non sûrement, maman, je ne le youdrais pas. LA MERE. Cela s'appelle avoir un avis décidé. Mais en ce cas vous êtes donc bien mécontente de votre fort, & par conféquent de l'éducation que vous avez reçue? EMILIE. Ce n'est pas cela, ma chere maman. On peut avoir été fort heureufe un jour : faut-il abfolument défirer qu'il recommence, & ne peut-on pas être un peu preffée de voir ariver un lendemain plus heureux encore ? Je crois qu'il eft fort joli d'avoir quinze ans. LA MERE. Et à quinze ans vous défirerez d'en avoir dix-huit. EMILIE. Cela fe pourait bien; mais pas au delà. LA MERE. Qui fait cela? - J'avais oublié votre empreffement de fauter par deffus plus d'une année, pour ariver à une époque que des gens moins impatiens atendent tranquillement, parce qu'ils favent qu'elle ne leur échapera pás, & qu'en s'avançant vers elle, ils ne laifferont pas de trouver en chemin beaucoup d'occupations importantes & de jouisfances agréables. EMILI E. Il eft vrai, maman, que nous ne fommes pas entiérement d'acord fur ce chapitre. LA MER E. Pour moi, je regarde l'époque de mon enfance comme le temps le plus heureux de ma vie, excepté que, n'ayant pas été avertie, je n'en ai connu le bonheur que lorfqu'il s'était évanoui. EMILIE. Vous m'avez dit plus d'une fois, qu'il m'en arivera tout autant, & que l'expérience me détrompera de bien des chofes alors je vous le dirai très-sûrement. LA MER E. Si j'y fuis; ou bien, à vos enfans qui vous croiront comme vous me croyez. Mais, abstraction faite de cette impatience, & ne vous bornant qu'au fouvenir du paffé, il vous fera aifé de favoir fi vous voudriez recommencer aux mêmes conditions. EMILIE, Oui & non, ma chere maman ; c'eft felon. Voulez-vous me faire recommencer abfolument de la même maniere, fans aucune exception quelconque ? Oh, fans la moindre; fans quoi cela ne ferait plus une question. Vous comprenez bien que perfone ne balancerait à recommencer, à la condition de retrancher de fa fituation tous les inconvéniens, & d'en garder tout l'avantageux & l'agréable : malheureusement perfone n'a ce choix dans la vie. EMILIE. Ni celui de recommencer non plus. Il est vrai; mais c'est une fuppofition que nous faifons. EMILIE. Tout comme il vous plaira, maman, mais je ne faurais m'y déterminer. LA MERE. Pourquoi donc pas ? EMILIE. Je suis étonée que vous me faffiez cette question. Ne penfez-vous pas que j'ai fait dans le cours de ces dix années bien des fautes, & que j'en ai éprouvé, comme de raison, bien des chagrins? Comment ferai-je donc, ma chere maman, pour avoir le courage de refaire les mêmes fautes? LA MER E. Voilà, je l'avoue, une difficulté à laquelle j'aurais dû penser. EMILI E. Et puis, n'ai-je pas eu bien des inquiétudes? Trois fois au moins j'ai été menacée du malheur de vous perdre; fi je vous ai confervée, c'est un miracle de la providence : ferait-il bien fage de fe foumettre de nouveau aux mêmes risques? |