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THE CARTHAGE CASE

Award of the Tribunal, May 6, 19131

Considérant que, par un Accord du 26 janvier 1912 et par un Compromis du 6 mars suivant, le Gouvernement de la République Française et le Gouvernement Royal Italien sont convenus de soumettre à un Tribunal Arbitral composé de cinq Membres la solution des questions suivantes :

1o. Les autorités navales italiennes étaient-elles en droit de procéder comme elles ont fait à la capture et à la saisie momentanée du vapeur postal français "Carthage"?

2o. Quelles conséquences pécuniaires ou autres doivent résulter de la solution donnée à la question précédente?

Considérant qu'en exécution de ce Compromis les deux Gouvernement ont choisi, d'un commun accord, pour constituer le Tribunal Arbitral les Membres suivants de la Cour Permanente d'Arbitrage:

Son Excellence Monsieur Guido Fusinato, Docteur en droit, Ministre d'Etat, ancien Ministre de l'Instruction publique, Professeur honoraire de droit international à l'Université de Turin, Député, Conseiller d'Etat;

Monsieur Knut Hjalmar Léonard de Hammarskjöld, Docteur en droit, ancien Ministre de la Justice, ancien Ministre des Cultes et de l'Instruction publique, ancien Envoyé extraordinaire et Ministre plénipotentiaire à Copenhague, ancien Président de la Cour d'appel de Jönköping, ancien Professeur à la Faculté de droit d'Upsal, Gouverneur de la province d'Upsal;

Monsieur Kriege, Docteur en droit, Conseiller actuel intime de Légation et Directeur au Département des Affaires Etrangères, Plénipotentiaire au Conseil Fédéral Allemand;

Monsieur Louis Renault, Ministre plénipotentiaire, Membre de l'Institut, Professeur à la Faculté de droit de l'Université de Paris et à l'Ecole libre des sciences politiques, Jurisconsulte du Ministère des Affaires Etrangères;

Son Excellence le Baron Michel de Taube, Docteur en droit, Adjoint du Ministre de l'Instruction publique de Russie, Conseiller d'Etat actuel ;

que les deux Gouvernements ont, en même temps, désigné Monsieur de Hammarskjöld pour remplir les fonctions de Président.

Considérant que, en exécution du Compromis du 6 mars 1912, les Mémoires et Contre-Mémoires ont été dûment échangés entre les Parties et communiqués aux Arbitres;

Considérant que le Tribunal, constitué comme il est dit ci-dessus, s'est réuni à La Haye le 31 mars 1913;

1Official report, p. 112.

que les deux Gouvernements ont respectivement désigné comme Agents et Conseils,

le Gouvernement de la République Française:

Monsieur Henri Fromageot, Avocat à la Cour d'appel de Paris, Jurisconsulte suppléant du Ministère des Affaires Etrangères, Conseiller du Département de la Marine en droit international, Agent; Monsieur André Hesse, Avocat à la Cour d'appel de Paris, Membre de la Chambre des Députés, Conseil;

Le Gouvernement Royal Italien:

Monsieur Arturo Ricci-Busatti, Envoyé extraordinaire et Ministre plénipotentiaire, Chef du Bureau du Contentieux et de la Législation au Ministère Royal des Affaires Etrangères, Agent;

Monsieur Dionisio Anzilotti, Professeur de droit international à l'Université de Rome, Conseil.

Considérant que les Agents des Parties ont présenté au Tribunal les conclusions suivantes, savoir,

l'Agent du Gouvernement de la République Française:

PLAISE AU TRIBUNAL,

Sur la première question posée par le Compromis,

Dire que les autorités navales italiennes n'étaient pas en droit de procéder comme elles ont fait à la capture et à la saisie momentanée du vapeur postal français "Carthage";

En conséquence et sur la seconde question,

Dire que le Gouvernement Royal Italien sera tenu de verser au Gouvernement de la République Française à titre de dommagesintérêts:

1o. La somme de un franc pour atteinte portée au pavillon français; 2o. La somme de cent mille francs pour réparation du préjudice moral et politique résultant de l'inobservation du droit commun international et des conventions réciproquement obligatoires pour l'Italie comme pour la France;

3o. La somme de cinq cent soixante-seize mille sept cent trente-huit francs vingt-trois centimes, montant total des pertes et dommages réclamés par les particuliers intéressés au navire et à son expédition;

Dire que la somme susdite de cent mille francs sera versée au Gouvernement de la République pour le bénéfice en être attribué à telle œuvre ou institution d'intérêt international qu'il plaira au Tribunal d'indiquer;

Subsidiairement et dans le cas où le Tribunal ne se croirait pas, dès à présent, suffisamment éclairé sur le bien fondé des réclamations particulières,

Dire que, par tel ou tels de ses membres qu'il lui plaira de commettre à cet effet, il sera, en présence des Agents et Conseils des deux Gouvernements, procédé, en la Chambre de ses délibérations, à l'examen de chacune desdites, réclamations particulières;

Dans tous les cas, et par application de l'article 9 du Compromis, Dire que, à l'expiration d'un délai de trois mois à compter du jour

de la sentence, les sommes mises à la charge du Gouvernement Royal Italien et non encore versées seront productives d'intérêts à raison de quatre pour cent par an.

Et l'Agent du Gouvernement Royal Italien:

PLAISE AU TRIBUNAL,

Sur la première question posée par le Compromis,

Dire et juger que les autorités navales italiennes étaient pleinement en droit de procéder comme elles ont fait à la capture et à la saisie momentanée du vapeur postal français "Carthage";

En conséquence et sur la seconde question,

Dire et juger qu'aucune conséquence pécuniaire ou autre ne saurait résulter, à la charge du Gouvernement Royal Italien, de la capture et de la saisie momentanée du vapeur postal français "Carthage";

Dire que le Gouvernement Français sera tenu de verser au Gouvernement Italien la somme de deux mille soixante-douze francs vingt-cinq centimes, montant des frais occasionnés par la saisie du "Carthage"; Dire que, à l'expiration d'un délai de trois mois à compter du jour de la sentence, la somme mise à la charge du Gouvernement de la République Française sera, si elle n'a pas encore été versée, productive d'intérêts à raison de quatre pour cent par an.

Considérant que, après que le Tribunal eut entendu les exposés oraux des Agents des Parties et les explications qu'ils lui ont fournies sur sa demande, les débats ont été dûment déclarés clos.

EN FAIT:

Considérant que le vapeur postal français "Carthage," de la Compagnie Générale Transatlantique, au cours d'un voyage régulier entre Marseille et Tunis, fut arrêté, le 16 janvier 1912, à 6 heures 30 du matin, en pleine mer, à 17 milles des côtes de Sardaigne, par le contretorpilleur de la Marine Royale Italienne "Agordat";

que le commandant de l'Agordat," ayant constaté le présence à bord du "Carthage" d'un aéroplane appartenant au sieur Duval, aviateur français, et expédié à Tunis à l'adresse de celui-ci, a déclaré au capitaine du "Carthage" que l'aéroplane en question était considéré par le Gouvernement Italien comme contrebande de guerre;

que, le transbordement de l'aéroplane n'ayant pu être opéré, le capitaine du "Carthage" a reçu l'ordre de suivre l' “Agordat” à Cagliari, où il a été retenu jusqu'au 20 janvier;

EN DROIT:

Considérant que, d'après les principes universellement admis, un bâtiment de guerre belligérant a, en thèse générale et sans conditions particulières, le droit d'arrêter en pleine mer un navire de commerce neutre et de procéder à la visite pour s'assurer s'il observe les règles sur la neutralité, spécialement au point de vue de la contrebande;

Considérant, d'autre part, que la légitimité de tout acte dépassant les limites de la visite dépend de l'existence, soit d'un trafic de contrebande, soit de motifs suffisants pour y croire,

que, à cet égard, il faut s'en tenir aux motifs d'ordre juridique; Considérant que, dans l'espèce, le "Carthage" n'a pas été seulement arrêté et visité par l'Agordat," mais aussi amené à Cagliari, séquestré et retenu un certain temps, après lequel il a été relaxé par voie administrative;

Considérant que, le but poursuivi par les mesures prises contre le paquebot-poste français était d'empêcher le transport de l'aéroplane appartenant au sieur Duval, et embarqué sur le "Carthage" à l'adresse de ce même Duval, à Tunis;

que cet aéroplane était considéré par les autorités italiennes comme constituant de la contrebande de guerre, tant par sa nature que par sa destination qui, en réalité, aurait été pour les forces ottomanes en Tripolitaine;

Considérant, pour ce qui concerne la destination hostile de l'aéroplane, élément essentiel de la saisissabilité,

que les renseignements possédés par les autorités italiennes étaient d'une nature trop générale et avaient trop peu de connexité avec l'aéroplane dont il s'agit, pour constituer des motifs juridiques suffisants de croire à une destination hostile quelconque et, par conséquent, pour justifier la capture du navire qui transportait l'aéroplane;

que la dépêche de Marseille, relatant certains propos tenus par le mécanicien du sieur Duval, n'est parvenue aux autorités italiennes qu'après que le "Carthage" avait été arrêté et conduit à Cagliari et n'a pu, par suite, motiver ces mesures; que, d'ailleurs, elle n'aurait pu, dans tous les cas, fournir des motifs suffisants dans le sens de ce qui a été dit précédemment ;

Considérant que, ce résultat acquis, il n'importe pas au Tribunal de rechercher si l'aéroplane devait ou non par sa nature être compris dans les articles de la contrebande, soit relative, soit absolue, pas plus que d'examiner si la théorie du voyage continų serait ou non applicable dans l'espèce;

Considérant que, le Tribunal trouve également superflu d'examiner s'il y a eu, lors des mesures prises contre le "Carthage," des irrégularités de forme et si, en cas d'affirmative, ces irrégularités étaient de nature à vicier des mesures autrement légitimes;

Considérant que, les autorités italiennes n'ont demandé la remise du port postal que pour le faire parvenir à destination le plus tôt possible, que cette demande, qui paraît avoir été d'abord mal comprise par le capitaine du "Carthage," était conforme à la Convention du 18 octobre 1907 relative à certaines restrictions à l'exercice du droit de capture, qui, d'ailleurs, n'était pas ratifiée par les belligérants.

Sur la demande tendant à faire condamner le Gouvernement Royal Italien à verser au Gouvernement de la République Française à titre de dommages-intérêts:

1o. la somme de un franc pour atteinte portée au pavillon français; 2o. la somme de cent mille francs pour réparation du préjudice moral et politique résultant de l'inobservation du droit commun international et des conventions réciproquement obligatoires pour l'Italie comme pour la France,

Considérant que, pour le cas où une Puissance aurait manqué à remplir ses obligations, soit générales, soit spéciales, vis-à-vis d'une autre Puissance, la constatation de ce fait, surtout dans une sentence arbitrale, constitue déjà une sanction sérieuse;

que cette sanction est renforcée, le cas échéant, par le paiement de dommages-intérêts pour les pertes matérielles ;

que, en thèse générale et abstraction faite de situations particulières, ces sanctions paraissent suffisantes;

que, également en thèse générale, l'introduction d'une autre sanction pécuniaire paraît être superflue et dépasser le but de la juridiction internationale;

Considérant que, par application de ce qui vient d'être dit, les circonstances de la cause présente ne sauraient motiver une telle sanction supplémentaire; que, sans autre examen, il n'y a donc pas lieu de donner suite à la demande susmentionnée.

Sur la demande de l'Agent français tendant à faire condamner le Gouvernement Italien à payer la somme de cinq cent soixante-seize mille sept cent trente-huit francs vingt-trois centimes, montant total des pertes et dommages réclamés par les particuliers intéressés au navire et à son expédition,

Considérant que, la demande d'une indemnité est, en principe, justifiée;

Considérant que, le Tribunal, après avoir entendu les explications concordantes de deux de ses membres chargés par lui de procéder à une enquête sur lesdites réclamations, a évalué à soixante-quinze mille francs le montant de l'indemnité due à la Compagnie générale transatlantique, à vingt-cinq mille francs le montant de l'indemnité due à l'aviateur Duval et consorts, enfin à soixante mille francs l'indemnité due à l'ensemble des passagers et chargeurs, soit à cent soixante mille francs la somme totale à payer par le Gouvernement Italien au Gouvernement Français.

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal Arbitral déclare et prononce ce qui suit:

Les autorités navales italiennes n'étaient pas en droit de procéder comme elles ont fait à la capture et à la saisie momentanée du vapeur postal français "Carthage."

Le Gouvernement Royal Italien sera tenu, dans les trois mois de la présente sentence, de verser au Gouvernement de la République Française la somme de cent soixante mille francs, montant des pertes et dommages éprouvés, à raison de la capture et de la saisie du "Carthage," par les particuliers intéressés au navire et à son expédition.

Il n'y a pas lieu de donner suite aux autres réclamations contenues dans les conclusions des deux Parties.

Fait à La Haye, dans l'Hôtel de la Cour Permanente d'Arbitrage, le 6 mai 1913.

Le Président: HJ. L. HAMMARSKJÖLD Le Secrétaire général: MICHIELS VAN VERDUYNEN

Le Secrétaire: RÖELL

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