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CHAPITRE XXIII.

LE CHAMP DU REPOS.

(Bénédiction du cimetière.)

Le cimetière est, comme l'église, un lieu sacré pour le chrétien. La foi de l'Église en la résurrection des corps lui a toujours fait une loi d'honorer cette pauvre dépouille humaine, ces lambeaux de chair inerte que la corruption envahit déjà, mais qui ont été sanctifiés par les sacrements et qui contiennent en eux un germe de vie nouvelle. De même que l'homme au premier jour est sorti de l'argile pétrie par les mains de Dieu, il sortira de la poussière une seconde fois par un acte de la puissance du même Dieu, pour reprendre cette chair que les larves et les insectes morticoles vont se disputer en un funèbre banquet (1).

Nous parlerons plus tard des soins dont l'Église entoure le corps du chrétien après sa mort. Le lieu où le cadavre attendra la résurrection dernière doit donc être une demeure paisible, recueillie, silen

(1) Le docteur Mégnin a établi qu'il n'y avait pas moins de huit escouades d'insectes d'espèce différente qui se succédaient sur le cadavre.

cieuse; les défunts doivent dormir leur grand sommeil, à l'abri du tumulte des vivants et des mille bruits du monde. Ce sentiment de respect pour le cadavre était plus profond qu'aujourd'hui aux premiers siècles de l'Église; il n'était pas rare de rencontrer sur les tombeaux des inscriptions comme celle-ci :

« On ne doit pas mettre un autre tombeau au-dessus du mien, sous peine d'amende (1). »

Les catacombes et les cimetières en plein air étaient donc devenus pour les chrétiens des lieux consacrés ; on y célébrait même les offices liturgiques et le sacrifice de la messe. De ces chambres sépulcrales, de ces inscriptions, de ces peintures murales, des symboles qui couvraient les murs, se dégageait une profonde impression religieuse, dont les anciens écrivains nous ont conservé le souvenir.

« Pendant que j'habitais Rome, encore enfant, dit saint Jérôme, et que je suivais les études libérales, j'avais coutume, avec quelques jeunes gens de même âge et de mêmes goûts, de parcourir le dimanche les tombeaux des apôtres et des martyrs; nous entrions souvent dans ces cryptes creusées profondément sous le sol: de chaque côté de soi, en marchant, on a des sépulcres creusés dans les parois. Tout est si obscur qu'on voit presque réalisée cette parole du prophète ; « descendent vivants aux enfers (Ps. LIV, 16) ».

qu'ils

« La lumière du jour vient rarement tempérer ces ténèbres; vous diriez qu'elle descend moins par une fenêtre que par un trou de cheminée. Vous avancez encore un peu, et la sombre nuit vous entoure et vous rappelle ce vers de Virgile (Æn. 1. 11):

(1) Par exemple dans l'épitaphe d'Abercius; on trouve plusieurs formules de ce genre dans les inscriptions chrétiennes. Cf. Vidal-Lablache, Commentatio de titulis funebribus græcis in Asia Minore (Paris, 1872). Cf. aussi à ce point de vue la dissertation de Le Blant: Les martyrs et les supplices destructeurs des corps, Revue archéol. 1874, p. 178 seq.

« Partout l'horreur, et les silences eux-mêmes effraient l'esprit (1). »

Le cimetière, comme l'église, devait donc être dédié et bénit (2). La consécration des cimetières au pontifical se compose de rites qui ressemblent à ceux de la dédicace des églises, mais qui sont beaucoup plus simples et plus courts.

Avant la bénédiction, cinq croix sont plantées dans le cimetière. Il faut que les morts dorment à l'ombre de la croix qui étend sur eux ses bras protecteurs ; dans la croix est le salut, pour les morts aussi bien que pour les vivants. L'évêque à qui est réservée cette bénédiction, comme la consécration de l'église, doit au commencement de la cérémonie prononcer un discours sur la sainteté et l'inviolabilité du cimetière. Puis des cierges sont allumés. Cette pratique est très ancienne; elle a donné lieu à de longs commentaires parmi les archéologues et les liturgistes, parce qu'elle se trouve en contradiction avec un fameux canon du concile d'Elvire (commencement du Ive siècle) qui défend << d'allumer des cierges dans le cimetière durant le jour, pour ne pas troubler le repos des morts ». Mais il est facile de voir que cette prohibition ne visait que des pratiques superstitieuses, spéciales sans doute à une province et à une époque, car l'usage des cierges dans les cérémonies funèbres se maintint nonobstant cette prescription. On récite ou l'on chante ensuite des litanies, comme dans la plupart des

(1) Hieron. in Ezech. c. XL (Migne, XXV, 375).

(2) Saint Grégoire de Tours parle déjà de ce lieu, consacré par la bénédiction du prêtre (De glor. confess., c. CVI.)

grandes fonctions liturgiques, avec trois invocations spéciales pour le cimetière :

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Daignez purifier et bénir ce cimetière. R. Nous vous en prions, Seigneur, exaucez-nous.

Daignez purifier, bénir et sanctifier ce cimetière. R. Nous vous en prions, Seigneur, exaucez-nous.

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Daignez purifier, bénir, sanctifier et consacrer ce cimetière. . Nous vous en prions, Seigneur, exaucez-nous. »>

Puis, bénédiction de l'eau et du sel avec les prières ordinaires, aspersions et encensements autour des murs du cimetière et autour des croix; pendant ce temps, on récite les psaumes de la pénitence, entrecoupés d'oraisons, selon un système qui était observé dans la plus ancienne psalmodie, mais qui aujourd'hui est à peu près complètement tombé en désuétude. Nous citerons l'oraison suivante qui résume bien l'esprit liturgique de ce rite :

« Seigneur Dieu, pasteur de la gloire éternelle, lumière et honneur de la sagesse, gardien et force de la prudence, salut des malades, santé des puissants, consolation des affligés, vie des justes, gloire des humbles, nous vous prions, suppliants, de garder ce cimetière de vos serviteurs, à l'abri de toutes souillures et de toutes les embûches des esprits immondes, de le purifier et de le bénir, et d'accorder aux corps humains qui sont transportés en ce lieu une paix ininterrompue, et qu'ainsi tous ceux qui ont reçu le baptême et ont persévéré dans la foi catholique jusqu'à la fin de leur vie, et dont les corps, à ce moment, ont été confiés au repos de ce cimetière, reçoivent, au son des trompettes angéliques, la récompense des joies éternelles pour leurs corps et pour leurs âmes. Par le Christ Notre-Seigneur. Amen. »>

Après l'encensement de la croix posée au milieu du cimetière, on récite le psaume 101° qui décrit en termes si énergiques la fragilité de l'homme, « dont les jours

sont comme la fumée ». Le prophète s'interrompt tout à coup:

«Mais Toi, Seigneur, dit-il, Tu demeures éternellement...

« Au commencement Tu as créé la terre, et les cieux sont l'œuvre de Tes mains.

Ils périront, mais Toi Tu resteras ! »

L'Église fait alors de nouveau entendre le cri de l'espérance et de la pitié pour la pauvre créature humaine, le recours au Christ miséricordieux qui donnera l'immortalité à nos corps :

« Seigneur Jésus-Christ, qui avez formé le corps humain de terre pour compléter le nombre des anges, et qui avez pris vous-même ce corps pour la rédemption, vous le réduisez en poussière pour appliquer la loi de la chair, et vous le ressusciterez de la poussière pour l'immortalité; daignez, nous vous en prions, consacrer cette terre à l'usage de la sépulture, et la bénir par la bénédiction de votre corps enseveli; ensevelis avec vous au baptême, ils vont être ensevelis ici suivant la condition de la chair, accordez-leur par l'espérance de votre résurrection de reposer dans la miséricorde de votre rédemption; Vous qui viendrez juger les vivants et les morts, et le monde par le feu. Amen. »

Le rite se termine, comme les rites les plus solennels, par une préface et une oraison qui insistent sur les idées développées dans les deux prières que nous avons citées.

Quelquefois la messe est célébrée aussi à l'issue de la cérémonie ; mais ce rite n'est pas obligatoire et ne se rattache pas intimement à la bénédiction du cimetière, comme la messe qui suit la consécration de l'église.

Au demeurant, dans cette cérémonie rien qui sente la tristesse, le découragement ou le désespoir; mais la confiance, l'espérance et la foi aux promesses du

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