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LA NOUE (Jean SAUVÉ DE ) naquit à Meaux, en 4704. Il n'est pas probable qu'il ait été poussé au théâtre par un goût bien décidé, car ce n'est qu'à l'âge de quarante et un ans qu'il fut admis, après un début à Fontainebleau, à faire partie de la troupe du Théâtre-Français. Généralement estimé comme homme, la Noue était très-aimé comme acteur; et s'il faut s'en rapporter à l'opinion de ses contemporains, le comédien l'emportait de beaucoup chez lui sur le poëte. Mais aujourd'hui que l'acteur a disparu, l'auteur dramatique est le seul que nous puissions apprécier : aussi, laissant de côté le jugement souvent peu équitable des contemporains, nous n'opposerons pas ici ce qu'il y eut de fugitif et de périssable dans son talent à ce qu'il eut de solide et de durable. Mahomet II, tragédie représentée en 1759, et la Coquette corrigée, comédie en cinq actes, en vers, donnée en 1756, sont les seuls titres littéraires de la Noue. Mahomet II lui a mérité les éloges de Voltaire; et la Coquette corrigée, jouée de temps en temps, est revue encore avec plaisir. Cette pièce fut d'abord assez froidement accueillie; reprise plusieurs fois ensuite, elle ne fut pas beaucoup plus heureuse: cependant, grâce au talent que déploya dans le rôle de Julie une actrice aimée du public, elle a obtenu il y a quelques années une suite de représentations nombreuses. Nous ne conclurons pas de ce fait que d'abord le parterre s'est trompé, et que mieux éclairé plus tard il applaudit à cette comédie comme elle eût dans la nouveauté mérité de l'être. Non, l'ouvrage de la Noue, estimable dans un grand nombre de parties, forme un ensemble défectueux. qui ne peut être dissimulé aux yeux du public que par le grand talent des interprètes encore, quelle que soit leur habileté, aucun d'eux ne peut-il faire qu'on s'intéresse à la marche d'une action dont le dénoûment est prévu, ou à la position peu dramatique dans laquelle le principal personnage du drame se trouve placé.

On remarque dans cette pièce un assez grand nombre de vers heureux, entre autres ceux-ci, que nous aimons à rappeler parce qu'ils sont incontestablement les meilleurs :

Le bruit est pour le fat, la plainte est pour le sot:
L'honnête homme trompé s'éloigne, et ne dit mot.

Mais le style général de l'ouvrage est flasque, incorrect, et surchargé de termes impropres : cette forme poétique, qui ne diffère de la plus médiocre prose que par le retour des rimes, a eu malheureusement un grand nombre d'imitateurs. Beaucoup de gens disent aujourd'hui, en parodiant le mot de Beaumarchais : Ce qui serait mauvais en prose on le met en

vers.

Lanoue est mort à Paris, en 1761.

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Le théâtre représente un salon commun aux appartements d'Orphise et de Julie.

SCÈNE PREMIÈRE.

ORPHISE, CLITANDRE.

ORPHISE.

Ah! Clitandre, c'est vous! ma joie en est extrême;
Je devais envoyer chez vous ce matin même :

Je voulais vous parler.

CLITANDRE.

Je me tiendrais heureux

De pouvoir deviner et remplir tous vos vœux.

Mais, madame, avant tout, dites-moi, je vous prie,

Quel est le but, l'objet d'une plaisanterie

Que l'on me fait, et dont vous êtes de moitié?

ORPHISE.

De moitié ? moi, Clitandre?

CLITANDRE.

Oui, vous. Notre amitié

Exige que de tout vos bontés m'éclaircissent :

Lisez. (Il donne un billet à Orphise.)

ORPHISE regarde la signature, et dit :

<< Julie! >> Enfin mes projets réussissent.

(Elle lit.)

« Vous ignorez, sans doute, que c'est à moi à répondre de la «< conduite de mon aimable tante: peu s'en faut qu'elle ne m'ait fait «< confidence des sentiments qu'elle a pour vous, et je prétends juger « par moi-même si vous le méritez; ainsi, monsieur, préparez-vous à subir l'examen le plus sévère, et, surtout, faites provision de << bonnes raisons pour justifier, à votre âge, et votre éloignement pour «<les nièces, et votre goût déterminé pour les tantes. JULIE. »

"

Quel éclaircissement exigez-vous de moi?

Ce billet est très-clair.

CLITANDBE.

Vous riez, je le voi.

ORPHISE.

Pourquoi donc ? Je n'osais avouer ma défaite;
Et de mes sentiments ma nièce est l'interprète :
Je la remercierai.

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Mon amitié pour vous ne saurait augmenter,
Clitandre j'aime en vous cet heureux caractère
Qui vous rend à la fois agréable et sincère;
Cet esprit dont le ton plaît à tous les états;
Que la science éclaire, et ne surcharge pas,
Dont l'essor libre t pur, parcourant chaque espace,
Badine avec justesse et raisonne avec grâce...

(Clitandre fait un geste d'interruption.)

Ne m'interrompez pas.

Me ressemble si peu...

CLITANDRE.

Madame, ce portrait

ORPHISE.

La vérité l'a fait :

Mais je sais que votre âme est bien plus belle encore.

CLITANDRE.

Avec profusion votre main me décore :

Mais quittez ces pinceaux que l'amitié conduit ;
C'est assez me flatter, je voudrais être instruit.
Cette lettre...

ORPHISE.

Est l'effet de mon beureuse adresse... Il faut que vous m'aidiez à corriger ma nièce.

CLITANDRE.

Quoi! ce projet encore occupe votre esprit?
Votre nièce l'ignore, ou sans doute elle en rit;
Mais, pour l'exécuter, quel rare stratagème... ?

Il faut que vous l'aimiez.

ORPHISE.

CLITANDRE.

Moi ? Julie!

ORPHISE.

Oui, vous-même.

Bien plus, je vous réponds du plus tendre retour.

CLITANDRE.

Le cœur de votre nièce est-il fait pour l'amour?

ORPHISE.

Je connais, comme vous, cette ardeur vagabonde

Qui l'entraîne sans choix dans les flots du grand monde :

Je sais qu'elle est coquette, et qu'à tout l'univers

Sa vanité voudrait faire porter ses fers,

Envahir tous les cœurs, briller sans concurrence,
Déifier enfin sa beauté qu'on encense.

Si je l'accuse ici, ce n'est point par humeur;
Je l'aime, et je voudrais assurer son bonheur.
Quand son époux mourut, victime de mon zèle,
Retraite, amis, maison, j'ai tout quitté pour elle :
Je n'ai point revêtu l'air farouche et grondeur
Ni d'une surveillante affecté la rigueur;
Elle m'aurait trompée, elle m'aurait haïe :
Elle ne voit en moi que sa plus tendre amie;
Sous ce titre, en tous lieux j'accompagne ses pas,
J'écarte les dangers, je préviens les éclats;
Ne pouvant l'arrêter, je la suis : ma prudence
Préside à sa conduite, en bannit l'indécence;
Et, toujours occupée à régler ses désirs,
Je parais seulement partager ses plaisirs.

CLITANDRE.

Je sais jusqu'à quel point vous êtes estimable.
Mais Julie, après tout, n'est point si condamnable :
Tout la porte au plaisir, sa fortune, son rang;
De ses brillants défauts, son âge est le plus grand;
Et quoique du devoir elle étende la chaîne,
Elle résiste encore au torrent qui l'entraîne.
Mais pesez vos desseins. Qui? moi la réformer?
Je ne connais en moi rien qu'elle puisse aimer :
Je le sens à regret, mais j'ose vous le dire,
Le moindre petit-maître obtiendra plus d'empire.

ORPHISE.

Non tous nos merveilleux près d'elle ont échoué,
Et de tous leurs assauts son orgueil s'est joué.
Contente d'entasser conquêtes sur conquêtes,
Elle a pour tous les cœurs des chaînes toujours prêtes;
Mais, en les soumettant, elle échappe à leurs traits,
Et du sien, jusqu'ici, rien n'a troublé la paix.

CLITANDRE.

L'avis est excellent : mais songez donc, madame,
Qu'en voulant allumer une imprudente flamme,
Je pourrais le premier en être consumé.

Pour braver tant d'attraits, suis-je assez bien armé?
Veuve et très-jeune encor, riche, spirituelle,
Fière de vingt talents, aimable autant que belle,
Mes yeux, longtemps fixés sur tant d'appas divers,
Pourraient faire à mon cœur oublier ses travers :
Je n'ose le risquer.

ORPHISE.

Je vous connais, Clitandre: Lorsqu'à tant de beauté vous craignez de vous rendre, Ce n'est là qu'une excuse, un honnête détour.

La vertu seule a droit d'allumer votre amour :
Jusqu'à ce jour ma nièce a conservé la sienne;
Mais bientôt il n'est plus de frein qui la retienne,
Vous pensez comme moi sur cet article-là.
D'un danger si pressant, de grâce, arrachons-la:
Aidez-moi de vos soins.

CLITANDRE.

Il faut être sincère :

Ce projet qui vous flatte a trop de quoi me ßlaire ;

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