COLAS chante sur l'arbre en continuant de cueillir ses fruits. Ariette. Que le nom De Ninon Éclate dans ce bocage; Chantons l'objet mignon Qui m'engage: C'est la fleur, C'est l'honneur Des filles du village. Absent De ma belle.un instant, Mon sort Est pire que la mort; Mais sa présence Me récompense; Quand je la vois tout mon plaisir Je chante à mon tour: Eh! vive l'amour! Eh! vive l'amour! eh! vive l'amour! (On entend des cors de chasse.) COLAS, sur l'arbre. Ah! mes amis, notre plaine est couverte De chiens, de chevaux, de piqueurs : Ils entront dans la vigne: ah! les maudits chasseurs! Eh! Pierre? Carle? alerte! alerte! Si nous n'y prenons garde, ils vont tout saccager. NINETTE. Ce sont les gens du prince, il faut bien qu'on endure. Morguenne! ici depuis un mois On chasse tous les jours; et, pour peu que ça dure, Elle me fuit!... (Ils rentrent tous.) SCÈNE II. ASTOLPHE, FABRICE. ASTOLPHE. FABRICE. Seigneur, vous êtes agité?... ASTOLPBE. Je voudrais te cacher le tourment de ma vie. FABRICE. Eh! qui peut altérer votre félicité ? Vous voyez sous vos lois fleurir la Lombardie, Va bientôt combler vos ardeurs : Ses vertus, ses appas... ASTOLPHE. Oui, je lui rends justice, Je devrais l'adorer; et mon cœur, malgré moi, Est prêt à lui manquer de foi. FABRICE. Que dites-vous, seigneur? ASTOLPHE. L'autre jour, à la chasse, Je m'égarai dans l'épaisseur du bois : J'y trouve un jeune objet qui m'aborde avec grâce, Jusqu'en mon âme s'insinue; Sous un air de simplicité Je vois triompher la beauté; Une modestie ingénue Augmente ses charmes naissants : La surprise et l'amour s'emparent de mes sens. Contrainte par le sort d'habiter en ces lieux, Une franchise honnête, et beaucoup de gaieté. FABRICE. Ne craignez-vous point quelque blâme? ASTOLPHE. Qu'importe le sang dont on sort? Une belle est toujours au-dessus de son sort : Tient lieu de grandeurs et d'aïeux. Vos titres sont dans vos beaux yeux. Il n'est jamais rien de suspect; Comme elle est sans finesse, elle est sans défiance : FABRICE. Je ne le vois que trop, votre amour est extrême; La princesse bientôt saura vos sentiments. ASTOLPHE. Tout ce que tu me dis, je me le dis moi-même ; Va, n'augmente point mon souci; Pour un instant laisse-moi seul ici. Je l'aperçois... quel trouble me saisit? Sans découvrir mon rang déclarons ma tendresse. SCÈNE IV. NINETTE, ASTOLPHE NINETTE, à part. Ah! voilà ce monsieur pour nous il s'intéresse. Il est ami du prince, à ce qu'il nous a dit. Elle se parle. ASTOLPHE, à part. NINETTE. Il faudra qu'il nous serve. Mais laissons-le venir le voilà qui m'observe. (Elle chante en faisant semblant de travailler.) ASTOLPHE, on s'approchant. Je suis surpris de voir tant de gaieté Dans cet état obscur où votre sort vous place. NINETTE. C'est un bonheur que cette obscurité; ASTOLPHE. Mais quels sont vos plaisirs? NINETTE. Libres de nos travaux, Nous chantons, nous dansons; je vais dans nos campagnes ASTOLPHE. De vos plaisirs les peines sont voisines; NINETTE. Au milieu des buissons d'épines ASTOLPHE. N'avez-vous jamais vu des gens dans l'opulence? NINETTE. Oui, quelquefois en sont-ils plus contents? ASTOLPHE. On veut vous procurer le sort le plus heureux ; Des bijoux, de beaux équipages. NINETTE. Eh! monsieur, qui me donnera Toutes ces belles choses-là ? ASTOLPHE. Hélas! quelqu'un qui vous adore, Et qui n'a point osé vous en instruire encore. Ariette. Un doux penchant m'entraîne, Eh quoi! ma flamme vous étonne! Le tendre amour m'enchaine; Par vos attraits Mon cœur se donne, Oui, se donne à vous pour jamais. Ninette ignore L'amour encore ! Elle l'ignore, Et sait lancer ses traits!... |