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CLARICE.

Je ne vous blâme pas, Madame, je vous plains. Vous êtes peu fenfible à nos grandes fortunes, Et vous vous rabatez fur des vertus communes. Le Seigneur vous appelle, & vous vous amusez, Il ouvre fes tréfors, & vous les refufez.

FLA VIE.

C'eft à fa fainte loi qu'il veut que je m'applique,
Il ne m'a point laiffé d'Evangile myftique.
Dans mes devoirs communs j'examine & je voi
Ce que je fais pour Dieu, ce que Dieu fait pour moi.
Dans les biens qu'il m'a faits,grande reconnoissance,
En ce qu'il me prefcrit, exacte obéiffance,
Lorsqu'il veut m'affliger, humble foumiffion,
M'attacher aux vertus de ma profeffion,

Sentir quand il lui plaît les douceurs de fa Grace,
Voila ce qu'il eftime, & ce qu'il veut qu'on faffe.
CLARICE.

Il aime encore mieux qu'on s'éleve plus haut.
La médiocrité, Madame, eft un défaut.

FLAVI E.

Vous jettez dans mon cœur d'inutiles amorces. Je ne m'éleve pas au-deffus de mes forces.

Je vous l'ai dit, Madame, & je vous le redis,

Je ne veux occuper qu'un coin du Paradis,
Parmi les petits Saints inconnus dans l'hiftoire,
De là vous voir briller au fommet de la gloire.
CLARICE.

Le ciel qui diftribue à chacun fes talens, Fait valoir les petits, & couronne les grands, Vous pouvez demeurer dans l'état où vous êtes, Tous dévots ne font pas ou Docteurs, ou Prophètes, Tous ne font pas admis à la fainte union, Nous avons le repos, vous avez l'action; Dieu careffe les uns, & protege le refte; On voit dans la maifon de ce Pére célefte Différence d'emplois, diverfité de rangs, Des ferviteurs mêlez avecque les enfans ; Les uns ont le travail & la peine en partage, Les autres plus heureux ont Dieu pour héritage; Les uns cherchent un bien qu'ils n'ont pas éprouvé, Les autres font contens, furs de l'avoir trouvé ; Ceux-là commencent l'œuvre, & ceux-ci la finiffent; Les uns courent au prix, les autres en joüiffent, Et felon les fecours & les graces qu'ils ont, Les uns font dans le ciel, & les autres y vont. FLAVI E.

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Pour moi je fuis au rang de ces ames traîneuses,

Qui fuivant du Seigneur les routes lumineuses,
Et jettant vers le ciel parfois quelque regard,
Marchent languiffamment, & n'arrivent que tard.
Dans la dévotion que j'ai deffein de suivre,
Je n'ai d'autre fecret que celui de bien vivre,
Quiétude, abandon, fpiritualitez,
Raffinemens d'amour que vous nous débitez,
Sont pour moi jufqu'ici doctrines inconnues:
Mon ame ne fait pas s'élancer dans les nuës,
L'extatique fommeil n'eft pas felon mon cœur,
Et l'amour endormi répugne à mon humeur
Je ne fais point pouffer vos immenfes tendreffes,
Ni pour mettre à couvert mes petites foibleffes,
En vertu d'un traité dont on eft convenu,
Prolonger comme vous un acte continu.

Je ne fais pas mourir, ni me perdre en moi-même,
Et puis me retrouver dans l'effence fuprême,
Et confondant en Dieu mon être avec le fien,
Me plonger dans le tout, me plonger dans le rien.
Je ne me pique pas d'avoir au ciel ma place,
Ni de voir comme vous le Seigneur face à face,
Ni d'aller dans fon fein vivre tranquilement,
Et regner avec lui familiérement;

D'ailleurs je n'oferois me croire deftinée

A m'unir avec lui par le faint Hyménée,
Indigne de paffer, dans des liens fi doux,
Des jours délicieux avec un tel Epoux.
Cette doctrine donc étant peu praticable
Et ne fachant que trop de quoi je fuis capable,
Vû le peu de vertu que vous me connoiffez,
Je m'en dépars, Madame, & vous m'en difpenfez.
CLARICE.

Je vous plains,& voila tout ce qu'on peut vous dire.
FLAVI E.

Vous me plaignez, Madame,& moi je vous admire. Mais ces grands fentimens que vous nous proposez, Je ne les trouve pas affez autorisez..

CLARICE.

Autorifez ? ô Dieu! les Conciles, les Péres, Les Docteurs les plus doux, comme les plus févéres, Qui favoient mieux que nous juger des oraisons, En ont dit autrefois ce que nous en disons.

FLAVI E.

Jufqu'au point du falut porter l'indifférence; Aimer Dieu fans defir, fans foin, fans efpérance; N'avoir qu'un acte feul pour toute piété,

Madame, tout cela fent bien la nouveauté;

Je ne fais ce qu'ont dit les Péres, les Conciles,

Mais je crois ...

CLARICE.

Laiffons-là ces difcours inutiles

Il ne vous convient

pas de décider ici.

Eft-ce votre Curé qui vous l'a dit ainfi ?
Notre doctrine eft pure, ancienne, fidèle,
Mais la pratique, helas! en eft toujours nouvelle :
Le monde fe relâche, & nous le réformons,
Le pur amour s'éteint, & nous le rallumons

Et

pour mieux établir notre oraison tranquile,
Nous allons la puifer jufque dans l'Evangile;.
Jefus-Chrift pour prier s'y retire à l'écart,
Et Marie y fait choix de la meilleure part.
FLAVI E.

Pour Jefus-Chrift, Madame, il eft inimitable,
Pour le choix de Marie il étoit admirable :
Cette fainte captive alloit porter fon cœur
Et fes chaftes defirs aux piez de fon vainqueur;
Mais laiffant engager Marthe à la vie active,
La bonne fille crut être contemplative,
Et moins fage que vous, elle n'eut pas l'efprit
De s'attacher à Dieu, non pas à Jesus-Christ.
CLARICE.

Ce que vous ditez-là, Madame, pourroit être ;

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