tablement, fans l'aflurer à fon tour, que jamais perfonne n'avoit fait fur luy une impreffion fi forte. Cela gâta tout. La Belle ne fut pas plûtôt affurée de fon triomphe, qu'elle fongea à le conferver fes autres amans. Elle en avoit perdu quelques-uns que la jaloufie de la préference qu'elle paroiffoit donner au Cavalier avoit éloignez; & pour ne plus faire de femblables pertes, elle commença à fe montrer plus égale, & à reprendre fes airs de faveurs pour ceux que fa nouvelle conquête luy avoit fait un peu negliger.

Le Cavalier que ce changement furprit, tâcha d'y mettre ordre en s'en plaignant, & en luy failant.connoître le tort qu'el le avoit d'en ufer de cette forte, Forfqu'elle fçavoir qu'il l'armoir affez pour faire tour fon bon

D

heur de ne vivre que pour elle. Elle s'offenfoit de cette forte de plainte, & luy difoit qu'ayant tout fujet de croire, après les affurances d'estime qu'elle luy avoit données, qu'il étoit le feul qui eût place dans fon cœur, il ne devoit point luy envier le plaifir qu'elle trouvoit à fe faire dire qu'elle étoit aimable ; outre qu'il pouvoit fe faire honneur des foins affidus de fes Amans, puifque c'étoit approuver fon choix, que de s'empreffer à luy rendre des hommages. Le Cavalier que cette conduite ne contentoit pas, luy répondoit qu'il fe tiendroit dans la foule, & qu'il jouiroit comme les autres du privilege de voir fouvent une fort jolie perfonne pleine d'efprit, & qui ne pouvoit s'affurer qu'elle fût belle, à moins qu'elle ne l'apprît à tous momens par toutes fortes

de bouches. Ces reproches qui fe faifoient d'un air ferieux, donnerent fouvent occasion à de petites querelles, qui fe terminoient pourtant toûjours d'une maniere agreable, parce qu'ils s'aimoient veritablement l'un l'autre. La Belle prétendoit toûjours que le Cavalier se plaignoit à tort, puifqu'elle étoit prête à l'épouser, après avoir amusé tous ceux qui: luy avoient proposé le mariage,, fans vouloir y consentir pour aucun, & le Cavalier luy répondoit fort fincerement, que ne fongeant à s'engager avec elle que: pour être heureux, il fentoit bien: qu'il ne le feroit jamais avec une femme qui fouffroit qu'on luy en contât, & qu'il faloit qu'elle pric fes mefures là-deffus. Le Cavalier ayant remarqué que cette déclaration embaraffoit la Belle, ill luy fit voir qu'il n'y avoit point:

de caractere plus indigne d'une fille raifonnable, que celuy d'une coquette; que fi on prenoit quelque plaifir à la voir, c'étoit feulement à cause que l'on avoit la joye de luy parler une langue qu'on ne fouffroit point ailleurs; & qu'après tout, quelque attachement qu'on luy marquât, c'étoit toûjours un attachement qui n'étoit fuivi d'aucune eftime. Il mêla des traits fi forts à cette peinture, que la Belle qui avoit beaucoup d'efprit, faifant agir fa raifon, comprit l'inutilité de ce qui avoit été toûjours fon plus fort penchant. Elle fongea que le Cavalier luy affuroit un établiffement fort confiderable; & confiderant qu'il faut avoir un but en toutes chofes, & un but le plus conforme à fes veritables interêts, elle devint plus refervée fur fes vifites, & n'en receut

plus que rarement. Elle fit ce facrifice de fort bonne grace, avouant pourtant que ce n'étoit pas fans le faire violence, puif qu'il faloit en quelque façon qu'elle renonçât à elle-même ; mais la raison luy avoit ouvert les yeux fur la bagatelle, & connoiffant tout le ridicule du caractere qu'elle abandonnoit, elle invectivoit contre les coquettes d'un air fi naïf & fi plaifant, qu'il étoit aifé de voir que c'étoit un perfonnage qu'elle n'avoit plus deffein de jouër. Deux mois fe pafferent fans qu'elle changeât de fentimens. Le Cavalier ne fe fentoit point de joye; & tout se préparoit pour leur mariage, lorf que la voyant un jour d'une hu meur affez rêveufe, il luy demanda en riant, fi fa rêverie ne venoit point de ce qu'elle regretoit fa coqueterie. Elle répondit auff