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plus heureuses de l'auteur nous avoient déja livré; & cela nous donne cependant le fentiment d'un autre genre de mifere que celle qui regne dans nos climats : car là c'est une pauvreté qui n'avilit ni n'afflige, parce qu'elle ne tient à aucune caufe d'oppreffion & d'esclavage. Ce font feulement des colons nouveaux qui n'ont pas encore fait fortune, & auxquels lat terre & l'efpérance ne peuvent point manquer. Dans dix ans tout aura pris une face nouvelle, & nous fommes fûrs que fi nous allons alors vifiter les mêmes plantations, nous les trouve, rons en pleine prospérité.

En voilà peut-être affez pour juftifier M. le marquis de Chatellux fur les détails dans lefquels il eft entré; mais nous pouvons ajouter encore que ces détails font facilement & agréa blement écrits; qu'ils ne font que fervir utile ment de liaifon & d'ombre à des morceaux plus brillans & plus vigoureux, & qu'à les envifager fous ce rapport feulement, il faut être de bien mauvais goût ou au moins de bien mauvaise humeur pour leur chercher que relle.

Deux volumes in 8vo. qu'on trouve plus courts encore après les avoir lus, contiennent la relation de trois voyages différens dans lefquels l'auteur a parcouru les provinces les plus intéreffantes des Etats Unis, visité tous les lieux qui ont été le théatre de quelque événement remarquable, & fait en un mot cinq ou fix cens lieues, toujours à cheval, toujours obfer vant, faifant toujours ufage de beaucoup d'ef

prit & de beaucoup de connoiffances prélimi naires. L'efpace n'a donc pas été trop long pour la matiere, & beaucoup d'écrivains n'ont pas eu d'auffi bonnes raifons pour faire de plus gros ouvrages, & fur-tout autant de talent pour fe les faire pardonner.

Après avoir lu le premier volume avec un intérêt attachant, on eft ramené par la rés flexion à vingt morceaux de divers genres, tous, ou curieux, ou instructifs, ou piquans, ou pleins de bonne philofophie, tous distingués par la couleur & par la perfection de flyle qui leur eft propre. Nous tombons au hafard fur un morceau où voyageant au milieu d'un pays âpre & défert, la contemplation de la na ture en défordre & qui n'a pas encore été embellie ou dégradée par les mains de l'homme, lui rappelle les fyftêmes de M. de Buffon, & enfin fait apparoître à fon imagination M. de Buffon lui-même, qui lui femble être dans fon propre domaine, & qui vient lui interpréter & lui prouver les modifications du globe.

Tandis que je méditois fur le grand tra vail de la natute qui emploie des centaines de fiecles à rendre la terre habitable, (ajoute » M. de Chatellux, passant ainsi par la tranfition la plus heureufe d'un fujet à l'autre) » un nouveau spectacle bien propre à contraf»ter avec l'objet de mes contemplations fixa

mes regards & excita ma curiofité : c'étoit » l'ouvrage d'un feul homme qui, dans l'ef" pace d'une année, avoit abattu plufieurs ar 2 pens de bois & s'étoit conftruit une maifon

» au milieu d'un terrein affez vafte qu'il avoit » défriché. «

C'étoit un de ces nouveaux établissemens qu'on appelle dans le pays Improvements ou New Settlements, que l'auteur voyoit pour la premiere fois. If explique enfuite la maniere dont ils fe forment. En lifant ces intéreffans détails, on jouit de la puiffance de l'homme; on admire certe providence fuprême qui a alfigné à la mature qui doit durer toujours, une action fucceffive & lente, & qui a donné en revanche à l'homme qui ne doit paffer que quelques momens fur la terre, une force & une activité qui font en apparence au deffus de fa conftitution; l'on voit avec plaifir combien les befoins de l'homme font bornès quand il a la fagefle de s'en tenir à la vie Gimple & paifible de l'agriculture, & on ne peut conce voir que tant de malheureux fans fortune qui; en Europe, font réduits à mendier, à intriguer ou à s'avilir pour atteindre à vivre, ne préferent point d'aller chercher en Amérique la liberté & le bonheur qui leur tendent les bras.

Veut on voir comment un homme éclairé; humain & fpirituel voyage & ne laiffe rien échapper de ce qui le frappe fous ces trois rapports? L'auteur traverfe un nouveau comté qui fe formoit au milieu de la guerre dans les bois du Connecticut, comté auquel la reconnoiffance publique venoit de donner le nom de Washington. Vaine attention, obferve-t-il, puifque la mémoire du héros vivra fans douts plus

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long tems que la ville chargée de la perpétuer La capitale naiffante de ce comté avoit un meetingkoufe ou auberge & fept ou huit maifons feu lement.

"Deux ans après, dit M. de Chatellux dans >> une note de fupplément, j'y ai repaffé : le » nombre des maifons étoit prefque doublé, & il y avoit trois auberges très-bonnes & pro " prement arrangées. J'ai remarqué le même » progrès fur prefque toutes les routes inté»rieures depuis la baie de Chesapeack jusqu'à Pifantaqua, c'eft-à-dire, dans un espace de plus de 200 lieues. Ce progrès eft dû en » grande partie aux malheurs mêmes de la guerre en effet, les Anglois étant maîtres. de la mer faifoient ou pouvoient faire des incurfions fur toutes les côtes ; c'est ce qu'ils appelloient Déprédations, Expeditions de pillage; mais ce mot honteux à adopter dans le vocabulaire de la guerre ne défignoir qu'une petite partie des ravages qu'ils exerçoient le meurtre & les incendies en étoient toujours les fuites funeftes. Il est donc arrivé que les citoyens les plus aifés, c'eftà-dire, ceux qui, en réuniffant le commerce à l'agriculture, avoient leurs plantations près » des côtes, ou de l'embouchure des rivieres, » les ont abandonnées pour chercher dans l'in»térieur des terres des demeures plus tramquilles; les capitaux qu'ils ont emportés avec » eux, ont été employés à de nouveaux dé» frichemens, & ces défrichemens n'ont pas tardé à profpérer. D'un autre côté, les com

munications par mer étant devenues impof » fibles, il a fallu fe fervir de celles de l'inté»rieur, & les auberges, ainfi que les éta » bliffemens de tous les ouvriers utiles aux » voyageurs, se font multipliés. Ainfi, outre » la liberté & l'indépendance, les Etats-Unis » tireront encore cet avantage de la guerre, » que le commerce & la population auront pé » nétré le pays en tout fens, & que dos ter »res qui feroient reftées en friche ont été » cultivées avec un fuccès qui ne permet plus » de les abandonner. «

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Nous indiquerons enfuite fon arrivée à WeftPoint, ce Palladium de la liberté américaine, comme il l'appelle, & les réflexions à la vue de cet amphithéatre de rochers, de ce défert presque inacceffible fix ans auparavant, & maintenant cou vert de fortereffes & d'artillerie par un peuple qui fix ans auparavant ne connoiffoit pas un bastion & n'avoit pas un canon. L'on aime en effet à voir ces créations fubites d'un art qui ne fert ordinairement que le defpotifme & les querel les des rois, défendre auffi la caufe de la li berté, & cet heureux emploi d'une fcience peut-être trop décriée par les philofophes, prouve du moins qu'elle n'a pas toujours fait du mal au genre humain.

C'eft en parcourant ces pays nouveaux con` quis fur la nature fauvage, que notre voyageur trouve dans un pofte un petit camp d'une cenò taine de foldats Américains, retranchés dans des butes, prefque fans vêtemens, fupportant les fatigues militaires & la rigueur de la faison

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