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& qui veut fouler aux pieds tous les fujets groffiers de vanité, qui élevent le refte des hommes.

Mais il eft facile de démafquer cet orgueil modefte, quoiqu'il ne paroiffe orgueil d'aucun côté, tant il femble avoir renoncé à tout ce qui flate les autres. Si on le condamne, il fuporte impatienment d'être condamné. Si les gens qu'il aime, & qu'il fert ne le païent point d'amitié, d'eftime & de confiance, il eft piqué au vif. Vous le voïez. Il n'eft pas défintéreffé, quoiqu'il s'éforce de le paroître. A la vérité, il ne fe païe point d'une monnore auffi groffiere que les autres. Il ne hui faut ni louanges fades, ni argent, ni fortune, qui confifte en charges &. en dignités extérieures: il veut pourtant être païé. Il eft avide de l'eftime des honnêtes gens. Il veut aimer, afin qu'on l'aime, & qu'on foit touché de fon défintéreffement. Il ne paroît s'oublier que pour mieux ocuper de foi tout le monde.

Ce n'eft point qu'il faffe toutes ces réfléxions d'une maniere dévelopée, Il ne dit pas, je veux tromper tout le monde par mon défintéreffement, afın que tout le monde m'aime, & m'ad

mire. Non il n'oferoit fe dire à foi même des chofes fi groffieres & si indignes, mais il fe trompe en trompant les autres; il fe mire avec complaifance dans fon défintéreffement, comme une belle femme dans fon miroir; il s'attendrit fur foi-même, en fe voïant plus fincere & plus défintéreffé que le refte des hommes. L'illufion qu'il répand fur les autres réjaillit fur lui. Il ne fe donne aux autres que pour ce qu'il croit être, c'est-à-dire, pour défintéressé, & voilà ce qui le flate le plus.

Si peu qu'on rentre férieusement au-dedans de foi pour obferver ce qui nous attriste, & ce qui nous flate, on reconnoîtra aisément que l'orgueil, fuivant qu'il eft plus groffier ou plus déli. cat, a des goûts différens.

Mais l'orgueil, quelque bon goût que vous lui donniez, eft toujours orgueil. Celui qui paroît le plus modéré, & le plus raifonnable, eft le plus diabolique; car en s'eftimant, il méprise les autres. Il a pitié des gens qui fe repaiffent de fottes vanités. Il connoît le vuide des grandeurs & des plus hauts rangs. Il ne peut fuporter les gens qui s'enyvrent de leur fortune;

il veut par fa modération être au-deffus de la fortune même, & par-là fe faire un nouveau dégré d'élevation, pour laiffer à fes pieds toute la fauffe gloire du genre humain. C'eft vouloir comme lucifer devenir semblable au Très-haut. On veut être une efpéce de divinité audeffus des paffions, & des intérêts des hommes; & on ne s'aperçoit pas qu'on fe met au-deffus des hommes par cetorgiieil trompeur qui nous aveugle.

Concluons donc qu'il n'y a que l'amour de Dieu qui puiffe nous faire fortir de nous. Si la puiffante main de Dieu ne nous foûtient pas, nous ne fçaurions où pofer le pied pour faire un pas hors de nous-mêmes.

Il n'y a point de milieu; il faut raporter tout à Dieu ou à nous-mêmes. Si nous raportons tout à nous-mêmes, nous n'avons pas d'autre Dieu que ce moi, dont j'ai tant parlé : fi au contraire nous raportons tout à Dieu, nous fommes dans l'ordre; & alors n'étant plus comme les autres créatures, qui ne fortent point hors d'elles-mêmes, & n'agiffant que par la feule vûë d'accomplir la volonté de Dieu, nous entrons dans ce renoncement à nous-mêmes, que vous fouhaitez de bien com prendre. Liiij

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Mais encore une fois, rien ne bou. cheroit tant votre cœur à la grace renoncement, que cet orgueil philo Sophique, & cet amour propre déguifé en générofité mondaine, dont vous devez vous défier à caufe de la pente naturelle, & de l'habitude que vous y avez. Plus on a par fon naturel un fond de franchise, de défintéreffement, de plaifir à faire le bien, de délicateffe de fentiment, de goût pour la probité, & pour l'amitié définteref fée, plus on doit fe déprendre de foi, & craindre de fe complaire en ces dons naturels.

Ce qui fait qu'aucune créature ne peut nous tirer de nous-mêmes, c'est qu'il n'y en a aucune qui mérite que nous la préférions à Dieu. Il n'y en a aucune qui ait ni le droit de nous enlever à nous-mêmes, ni la perfection qui feroit néceffaire pour nous attacher à elle fans retour fur nous, ni enfin le pouvoir de raffafier notre cœur dans cet attachement. Delà vient que nous n'aimons rien hors de nous, que pour le raporter à nous. Nous choififfons ou felon nos paffions groffieres, & brutales, fi nous fommes brutaux, & groffiers, ou, felon le goût que notre or

güieil a de la gloire, fi nous avons affez de délicateffe pour ne nous contenter pas de ce qui eft groffier & bru

tal.

Mais Dieu fait deux chofes que lui feul peut faire; la premiere, de fe montrer à nous avec tous les droits fur fa créature, & avec tous les charmes de fa bonté. On fent bien qu'on ne s'eft pas fait foi-même, & qu'ainfi on n'est pas pour foi, qu'on eft fait pour gloire de celui à qui il a plû de nous faire, qu'il eft trop grand pour rien faire que pour lui-même ; qu'ainfi toute notre perfection, & tout notre bonheur eft de nous perdre en lui.

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la

Voilà ce qu'aucune créature quelque éblouiffante qu'elle foit, ne peut jamais nous faire fentir pour elle. Bien loin d'y trouver cet infini qui nous remplit, & qui nous tranfporte en Dieu; nous trouvons toujours au contraire dans la créature un vuide, une impuiffance de remplir notre cœur, une infuffifance qui nous laiffe toujours retomber en nous-mêmes.

La feconde merveille que Dieu fait, eft de remuer notre cœur, comme il lui plaît, après avoir éclairé notre efprit. Il ne fe contente pas de fe mon

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