ÆäÀÌÁö À̹ÌÁö
PDF
ePub

qu'il fe porte bien, & qu'il eft en fûreté; à préfent voici fon hiftoire en deux mots Il y a environ douze jours qu'il quitta fon régiment fans congé; l'amitié l'appelloit à Valenciennes, il y fut fous un nom fuppofé; fon malheur lui fit choifir une auberge où logeoit le Marquis de Sénanges; dès le foir même ils eurent une difpute affez vive pour leur faire prendre la réfolution de fe battre le lendemain.

Ah, Dieu!'

SOPHIE.

LA MARQUIS E.

En effet, à la pointe du jour, ils partirent l'un & l'autre à cheval pour aller fe battre fur les frontieres; que vous dirai-je, ma chere Sophie, votre frere, après avoir reçu une bleffure profonde & dangereufe porte à fon adverfaire un coup terrible, il le voit chanceler, & baigné dans fon fang, tomber enfin à fes pieds: il le crut mort; & lui-même, pouvant à peine fe foutenir, il fe traîne vers fon cheval, & bientôt, raffemblant le peu de forces qui lui refte, il s'éloigne de ce funefte lieu. Cette fcene affreufe fe paffoit fur la frontiere, &, par conféquent, à quatre lieues d'ici....

SOPHIE.
Hélas, fi près de nous!...

LA MARQUIS E.

Mon fils n'ayant plus qu'un pas à faire pour être hors de la France, avoit le projet de la quitter; mais au bout d'une demi-heure, épuifé par le fang qu'il perdoit,

il fut contraint de s'arrêter & de s'affeoir au pied d'un arbre, où bientôt il perdit tout-à-fait l'ufage de fes fens. Ce fut dans cet inftant que la Providence conduïfit dans ce lieu même le fidele Thibaut mon concierge, dont vous connoiffez l'attachement. SOPHIE.

Ah! le Ciel pouvoit-il abandonner le fils de la plus tendre, de la meilleure des meres!... Tous fes bienfaits, maman, nous les devons à vos vertus.

LA MARQUIS E.

Le plus grand de tous pour moi, il l'a placé dans ton cœur; c'eft dans cette ame fi pure & fi fenfible, que je trouve le bonheur le plus doux dont je puiffe jouir, & les feules confolations dont je fois fufceptible.... Mais reprenons un trifte entretien que nous ne pourrons peut-être pas renouer avant la fin du jour.

SOPHIE.

Thibaut conduifit mon frere ici?...
LA MARQUIS E.

Il étoit heureufement feul dans un cabriolet couvert, il y porta mon fils toujours fans connoiffance; & prenant un che. min détourné, il le mena d'abord à l'entrée du village chez fa mere; enfuite, quand tout le monde fut couché dans le château il vint m'annoncer ce tragique événement. Je courus moi-même chercher mon malheureux fils Thibaut, & mon valet-dechambre Chirurgien le transporterent dans une des picces de mon appartement, où jc

l'ai veillé pendant fept nuits qu'il a été dans le plus grand danger!...

SOPHI E.

Et je n'ai point partagé des foins fi chers & fi douloureux!... Mais enfin, maman, mon frere eft-il parfaitement rétabli? LA MARQUIS E.

Il eft du moins en état de partir fans

danger.

SOPHI E.

Comment! il va partir?...

LA MARQUIS E.

Hélas! il le faut bien. Jugez, mon enfant, du mortel embarras où je me trouve; ce Baron de Sénanges qui vient d'arriver, eft le pere du malheureux jeune homme à qui votre frere a fans doute ôté la vie!...

SOPHIE.

Il ignore ce funefte événement?

LA MARQUIS E.

Il ne fait, graces au Ciel, qu'une partie de la vérité. On lui manda que fon fils & le Chevalier de Mirville étoient partis précipitamment & enfemble; que les gens de l'auberge dépofoient qu'ils avoient eu une difpute très-vive; qu'on n'avoit point de leurs nouvelles, & qu'il n'étoit que trop vraisemblable qu'ils ne s'étoient abfentés li brufquement que pour aller fe battre. On ajoutoit, que dans la querelle, mon fils avoit été l'agreffeur. En apprenant cette fatale aventure, le Baron de Sénanges, naturellement auffi violent que fenfible, éprouva

autant de reffentiment que de douleur; it écrivit aux Commandants des Places fron tieres, afin d'apprendre fi le Chevalier de Mirville étoit paffé dans les pays étrangers, ou pour empêcher fa fuite, s'il en étoit encore temps.

SOPHIE.

Ainfi ne fachant pas le vrai nom de mon frere, c'eft une chimere qu'il pourfuit. LA MARQUIS E.

Mais ce nom qu'il nous eft fi important de cacher, il peut le découvrir; fa fortune, fon rang, fon caractere le rendent l'ennemi le plus redoutable & le plus dange

reux....

SOPHIE.

Mais quel motif l'a conduit iei?
LA MARQUIS E.

Il eft venu dans cette Province avec l'ef poir d'y acquérir quelques lumieres fur le fort de fon fils. Il fuppofe qu'il s'eft battu fur la frontiere, ma Terre y eft fituée, il m'a connue autrefois; toutes ces circonftauces l'ont décidé à venir chez moi: imaginez ce que j'ai dû reffentir en le voyant paroître... Il m'a fait tous les détails de cette affreufe hiftoire; il ne m'entretient que de fa douleur & de fes projets de vengeance; je partage fa peine, je pleure avec lui; mais que ces larmes font ameres ! c'eft dans le fein d'un ennemi cruel que je les répands... du perfécuteur de mon fils... SOPHIE..

Ah, Dieu! vous me faites frémir!

LA MARQUIS E.

Quelquefois j'ofe combattre fon reffentiment fans doute alors trop de chaleur m'emporte, car il me regarde avec furpri fe; fon air étonné m'épouvante; il me femblé que je viens de me trahir, que j'ai nommé mon fils.... Enfin, je reffens depuis. vingt-quatre heures tout ce que la contrainte, la terreur & la pitié peuvent faire éprouver de plus cruel & de plus douloureux. Mais, hélas ! l'infortuné qui me caufe tant de peines, eft encore plus à plaindre que moi!...

SOPHIE.

Le malheureux! il croit que la ven geance pourroit le confoler!

LA MARQUIS E.

Ah, fans doute, il s'abufe; s'il eft vrai qu'un cœur puiffe s'égarer jufqu'à defirer la vengeance, en eft-il d'affez barbares pour l'affouvir fans horreur?... Cette affreufe jouiffance des ames lâches & féroces, dégrade celui qui s'y livre, & le condamne à d'éternels remords.

SOPHIE.

Maman, mon frere va donc partir bientôt?
LA MARQUISE

Cette nuit même.

SOPHIE.

Et ces ordres donnés aux Commandants des places frontieres?...

LA MARQUIS E.

Ces ordres ne regardent que le Chevalier de Mirville; mon fils eft connu, on ne

« ÀÌÀü°è¼Ó »