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caractere de la Vicomteffe Dorothée? Elle a l'air bien étourdie; & fa liaison avec ma niece...

JULIETT E.

Ah! Madame, c'eft cette maudite liaison qui caufe tous nos malheurs. Madame la Vicomteffe a le cœur affez bon; elle a naturellement de l'honnêteté; elle eft franche, incapable d'envie & d'aucun fentiment bas mais elle a tous les défauts que peuvent donner une mauvaise éducation le manque d'efprit, & une exceffive légéreté; toujours défœuvrée, voulant toujours s'amufer, n'ayant pas d'idée de ce qui peut rendre véritablement heureufe, elle cherche le bonheur où jamais on n'a pu le trouver. De projets de fêtes, de fpectacles, de bals, le defir de fe montrer, d'être mieux mife qu'une autre, d'inventer une mode, de paffer enfin pour la perfonne la plus recherchée de la fociété, la plus magnifique, la plus agréable; voilà les feules idées dont elle foit occupée. Elle joint à ces travers mille prétentions ridicules; elle affiche une fenfibilité paffionnée, un goût décidé pour les arts; la mufique, la peinture, lui tournent la tête; elle paffe, dit-elle, les nuits à lire; elle fe pique auffi de philofophie & de bienfaifance; ces deux grands mots font continuellement dans fa bouche; elle fait des cours de phyfique, de chymie, man que toutes fes leçons, n'apprend rien ne fait rien, parle de tout, décide impérieufement, en impofe quelquefois aux fots,

& fait pitié à tous les gens raifonnables. DORIZÉ E.

Quel portrait!...

JULIETTE.

Malgré tous ces ridicules, comme elle a un beau nom & deux cents mille livres de rente, elle eft à la mode: on s'amufe, on fe moque de fa folie, on calomnie même fa conduite; mais elle a une bonne maifon, des loges à tous les fpectacles, elle eft belle & jeune: ces avantages ne fuffifent pas pour être eftimée, & pour obtenir une vraie confidération; mais en les poffédant, on eft füre d'être recherchée, & c'eft tout ce que defire Madame la Vicomteffe; elle réfléchit trop peu, elle n'a pas affez d'efprit, d'élévation & de délicateffe, pour porter, à cet égard, fes prétentions plus loin.

DORIZÉ E.

Et voilà l'amie dont ma niece a fait choix !
JULIETTE.

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Elle s'eft jettée à la tête de Madame. qui jamais ne l'eût recherchée, mais qui a cédé à fes avances. La réputation de Madame, parfaite alors en tous points, ce qu'on difoit de fon efprit, de fon inftruction, de fes talents, les éloges qu'on donnoit à fa conduite & à fon caractere, tous ces avantages réunis infpirerent à la Vicomteffe le defir de fe lier avec elle, non qu'elle eût de quoi les fentir & les apprécier, mais parce qu'elle penfa que devenir l'amie intime de Madame de Germini, fe

roit un bon air de plus. Madame, flattée des avances de la Vicomtefle, lui fut gré du motif qu'elle pénétra facilement, & cependant elle feignit de s'y méprendre, & de les attribuer à l'amitié, afin d'avoir le droit d'y répondre. D'ailleurs, Madame la Vicomteffe Dorothée, malgré tous les travers, fes caprices & fes folles prétentions, n'eft pas fans agréments quand elle oublie les différents rôles qu'elle veut jouer; elle a du naturel, de la franchise & de la gaieté; elle n'attachera jamais perfonne, mais elle eft quelquefois aimable; & fi elle n'intéreffe pas, du moins fouvent elle amufe. Madame a d'abord vivement été frappée de de fes ridicules, enfuite l'habitude les lui a fait paroître moins grands; &, ce qui eft incroyable, elle a fini par en adopter plufieurs.

DORIZÉ E.

Je crois entendre ouvrir une porte.... C'eft elle peut-être qui vient... Ecoutezmoi, Juliette, cachez-lui bien cette converfation, tâchez d'acquérir une connoiffance détaillée de fes affaires, dès aujourd'hui, s'il eft poffible; vous m'en rendrez compte ce foir. D'ailleurs, peut-être ellemême me confiera-t-elle fon embarras.

JULIETTE.

Ah! Madame, fa reconnoiffance & fa tendreffe pour vous font extrêmes; mais fon ame eft fi fiere! Elle vous doit tant! Non, la crainte feule des fecours que vous pourriez lui offrir, l'empêchera de vous

témoigner la confiance dont vous êtes digne.

DORIZE E.

Elle n'a pas craint d'abuser de celle de fon mari, & n'ofe, dans cette extrêmité, recourir à moi! Ah! Juliette, ne confondons point avec l'orgueil la vraie délicateffe: l'un égare & conduit à l'ingratitude; l'autre eft le guide le plus fûr & le plus éclairé que l'efprit & la raifon puiffent choifir. Eh quoi! dédaigner les bienfaits de l'amitié, avoir la coupable & folle inconféquence de rougir d'accepter ce qu'on voudroit pouvoir offrir; rifquer de fe perdre, plutôt que de s'adreffer à fa véritable amie à celle qui lui tint toujours lieu de mere; redouter de lui avouer fes fautes, de lui demander des confeils, des fecours; ah. Ciel, eft-ce là de la délicateffe, de la juftice, de la reconnoiffance?...

JULIETTE,

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De grace, Madamé calmez-vous, je crois l'entendre.

DORIZÉ E..

Oui, c'eft elle. Comme elle a l'air trifte!
JULIETT E.

L'entretien de M. l'Intendant ne l'aura

pas égayée.

SCENE II.

JULIETTE, DORIZÉE, LA MARQUISE en robe du matin.

LA MARQUIS E.

JULIETTE... Ah! ma tante, vous voilà! je vous cherchois.... Pourquoi donc ne m'avez-vous pas fait avertir? DORIZ É E.

On m'a dit que vous aviez affaire.
LA MARQUIS E.

Eh! ne dois-je pas tout quitter pour vous? (Elle lui baife la main. Dorizée la regarde un moment en filence.) Vous regardez ma coëffure, vous la trouvez ridiculement haute, peut-être....

DORIZÉ E.

Non, je n'y penfois pas. Qu'importe la maniere dont on eft coëffée; mais je remarquois avec peine que vous êtes étonnamment maigrie & changée.

JULIETT E.

Ah! pour cela oui.

DORIZÉ E.

Vous veillez beancoup, je parie.
LA MARQUIS E.

Il le faut bien, quand on vit dans le monde.

DORIZE E.

J'y ai vécu auffi; ce temps même n'eft

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