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ACTE II.

SCENE PREMIERE.

LA MARQUISE, JULIETTE. LA MARQUIS E.

JULIETTE, préparez ma robe verte brodée, je m'habillerai bientôt.

JULIETTE.

Quoi, Madame, pour fouper ici tête-àtête avec Madame votre, tante!

LA MARQUIS E.

Eh! mon Dieu, j'étois engagée depuis huit jours à un fouper d'Ambaffadeur, la Vicomteffe me l'a rappellé.

JULIETTE.

Mais, Madame, vous avez donné votre parole à Madame Dorizée de l'attendre ce foir, & en vérité vous pouvez bien lui facrifier un fouper de cent perfonnes, dont la plus légere excufe vous dégagera facilement.

LA MARQUIS E.

Oui, mais la Vicomteffe ne' me le pardonneroit jamais.

JULIETTE.

Madame votre tante fera fort en droit de vous pardonner encore moins.

LA MARQUIS E

Je le crains, car je fuis perfuadée qu'elle trouvera ma raifon très-mauvaife. JULIETTE.

Oh, détestable, foyez-en fûre.
LA MARQUISE

Cela eft fort embarraffant... affurément je ferois au défefpoir de déplaire à ma tante, & aucune crainte pour moi ne peut être comparée à celle-là. Mais, Juliette, vous l'avouerai-je; l'idée de ce tête-à-tête avec elle, que je defirois fi vivement ce matin, maintenant me trouble & m'inquiete... JULIETTE.

Quoi, fe peut-il ?

LA MARQUIS E.

Ah! ce changement ne vient point de mon cœur... dans tout autre temps je facrifierois tous les plaifirs du monde au bonheur fi doux de paffer une foirée feule avec ma tante. Oui, Juliette, il eft bien vrai que la fageffe & la raifon s'expriment par fa bouche. Quel plaifir je goûtois à l'écou ter, quand je fuivois fes confeils! A pré- · fent elle me perfuade toujours; mais en même-temps fes difcours me font éprouver une confufion fecrete, & des regrets dont je ne puis vous dépeindre l'amertume. Hélas! il faut fans doute ne s'être jamais égarée, pour jouir de tout le charme des leçons de la vertu.

JULIETTE.

Il eft vrai qu'autrefois en vous détaillant

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tous les devoirs d'une femme on vous offroit l'image fidelle de votre vie. LA MARQUIS E.

Ah! Juliette, & j'ai pu négliger & perdre un femblable bonheur!...

JULIETT E.

Vous le retrouverez, & l'expérience y joindra une vertu de plus, la méfiance de vous-même. (Un Valet-de-Chambre paroit.)

LA MARQUIS E.

Que voulez-vous?

LE VALET-DE-CHAMBRE. C'eft un Peintre qui apporte à Madame trois portraits.

LA MARQUIS E.

Ah! je fais ce que c'eft. Allez les placer dans mon cabinet à la fuite des autres. (Le Valet-de-Chambre fort.)

JULIETTE.

Neuf & trois font douze.... l'on n'a communément que les portraits de fes amies intimes; ainfi, Madame, vous avez douze amies intimes; je vous en fais mon compliment.

LA MARQUIS E.

Non, je n'ai d'amie intime que la Vicomteffe, les autres ne font que des liaisons. JULIETTE.

Cependant je vous vois pour toutes ces Dames les mêmes attentions ; vous leur rendez les mêmes foins, à peu de chofes près elles font fur la petite lifte; vous les accablez de careffes; dans la moindre

absence vous leur écrivez ; quand vous les rencontrez, vous avez toujours quelques fecrets à leur dire à l'oreille; fi l'une d'el-tes eft malade, vous paroiffez éprouver les plus vives. inquiétudes, & vous courez vous enfermer avec elle. Si ce n'eft pas-là de l'amitié, quel nom, Madame, doit-on donner à de telles démonftrations.? Ah! ma chere maîtreffe, permettez-moi de vous le dire, votre ame & votre efprit devroient vous préferver du travers de fuivre cette mode ridicule, & vous faire méprifer ces vaines & puériles affectations. Pardonnez mon zele, il m'emporte; mais mon devoir eft de vous offrir la vérité, je vous crois digne de l'entendre. digne

LA MARQUIS E.

Vous ne vous trompez pas, Juliette; jè fais du moins connoître le prix de vos confeils & de votre amitié; croyez même qu'il y a des moments où je fuis tout auffi choquée que vous l'êtes, des ridicules que vous me dépeignez la vie que je mene, me déplaît; mais elle m'a fait malheureufement contracter l'habitude de l'indolence & de la pareffe; j'ai perdu le goût de l'occupa tion; j'ai négligé de cultiver ces talents qui m'attiroient autrefois tant de louanges, & je fuis effrayée du travail & du temps qu'il me faudroit pour me remettre au point où j'étois. Voilà ce qui m'arrête, je vous l'a

voue

JULIETTE.

II eft vrai, Madame, que fi vous balan

tez encore long-temps, vous pourriez bien à la fin vous avifer trop tard de vous remettre à l'étude. Mais, de bonne foi, penfez-vous que dix-huit mois de défœuvrement ayent pu vous faire perdre le fruit de quinze ans. de travail & d'application? Enfin, Madame, fi la tête vous tournoit de cette diffipation dans laquelle vous vifi vous ne trouviez rien de comparable au bonheur de faire des visites, d'aller aux fpectacles, & de jouer au Pharaon, je concevrois qu'il doit vous en coûter pour. faire à la raifon un tel facrifice; mais le mon de vous fatigue, vous excede....

vez

LA MARQUIS E.

Souvent cela eft vrai... mais cependant, Juliette, quoique j'aye naturellement autant d'averfion que de mépris pour la coquetterie, je ne fuis pas toujours abfolument infenfible au plaifir de plaire.

JULIETTE.

Fort bien, j'entends. Vous n'êtes pas fachée de vous montrer, & de remarquer qu'on vous a trouvée jolie, n'est-ce pas ?... LA MARQUIS E.

Oui; mais c'eft un plaifir fi court & fi peu vif!...

JULIETT E.

Ah! cela doit être; car vous partagez ce triomphe avec tant d'autres, que, pour peu que vous ayez d'amour-propre, vous ne devez pas vous contenter de celui-là. Il faut que je vous conte à ce fujet, ce que j'entendis dire l'autre jour: c'étoit à cette

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