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du conseil n'ont été consultés; c'est en parcourant les colonnes du Moniteur qu'ils ont appris que le ministre, mettant à néant la liste de mérite dressée par les examinateurs, avait de son chef improvisé six élèves, et les avait par un mensonge audacieux classés sous les n° 101, 102, 103, 104, 105 et 106. Ce no 106 était un des derniers sur la liste de mérite, qui comprenait plus de 200 noms.

M. Veuillot nous adresse la lettre suivante.

A Monsieur le Rédacteur en chef de LA LIBERTÉ DE PENSER.

MONSIEUR,

Vous commencez un compte rendu de l'ouvrage intitulé Les libres penseurs, en m'appelant ex-pensionnaire des fonds secrets, et vous renvoyez le lecteur à la Revue rétrospective, pag. 442 et suiv. J'ai puisé trop de renseignements sur les libres penseurs dans la Liberté de penser pour vous contester le droit d'aller chercher des arguments contre moi dans les archives de M. Taschereau. Ce fait est exact; la façon dont vous l'énoncez et le parti que vous voulez en tirer sont une calomnie. Pensionnaire des fonds secrets, cela signifie quelqu'un qui reçoit un salaire honteux pour des services inavouables, et certainement vous l'entendez ainsi. Vous me forcez de vous adresser une explication dont je n'ai pas cru nécessaire d'honorer l'entreprise de M. Taschereau.

En 1840, j'étais sous-chef de bureau au ministère de l'intérieur. Après la formation du ministère du 29 octobre, je fus tiré de mon bureau et attaché au cabinet du ministre, pour dépouiller la correspondance des préfets et rédiger une partie des lettres qu'il fallait répondre à la foule des solliciteurs. Comme je ne touchais plus mon traitement de sous-chef, et qu'il n'y avait pas de fonds affectés à mon nouvel emploi, j'étais payé, ainsi que beaucoup d'autres employés très-honorables, sur les fonds secrets. Je m'inquiétais peu, je l'avoue, que mon salaire fût occulte, mes services ne l'étant pas.

Je gardai cette position deux ans, sur lesquels je passai six mois en Algérie, chargé d'une mission auprès du gouverneur général.

Au commencement de 1843, la querelle devint plus vive entre les catholiques et l'Université. Je m'interrogeai sur mon devoir. Je ne me sentis point la vertu de ces philosophes qui se partagent à tous les drapeaux, ayant ici leurs sympathies et là-bas leur cuisine. Il me parut que ma place était au milieu de mes amis et de mes frères. En conséquence, sans réprimande ni avis de personne, sans demander ni recevoir aucune indemnité, je me démis à la fois de mes fonctions au cabinet et de mon titre de sous-chef, et je me consacrai exclusivement à la rédaction de l'Univers, où les ouvriers manquaient un peu. J'y entrai non pour attaquer le gouvernement et les ministres que j'avais servis, mais pour défendre contre eux et surtout, monsieur, contre vos amis, la liberté religieuse. Depuis cette époque (avril 1843), je n'ai eu aucune relation d'aucune espèce avec aucun ministre ou fonctionnaire du gouvernement, sauf en 1844, avec M. le procureur général Hébert, qui me fit condamner à la prison et à l'amende, pour le plus grand bien de l'Université. En vertu de cet arrêt, j'ai restitué à l'État ce que j'en avais reçu. Voilà, monsieur, comment je suis ex-pensionnaire des fonds secrets. Je compte que vous voudrez bien en informer vos lecteurs, et je vous prie d'agréer mes salutations.

LOUIS VEUILLOT, rédacteur en chef de l'Univers.

Paris, 15 février 1849.

A. JACQUES.

A M. LE DIRECTEUR De la liberté de penser.

MONSIEUR,

Depuis ma dernière lettre, il n'y a eu, dans la chambre, qu'un seul événement, la loi sur les clubs; car je compte pour rien les escarmouches de l'opposition contre M. Léon Faucher. M. Léon Faucher est inexpugnable plus l'assemblée constituante lui montre de mauvaise humeur, plus il se croit sûr de l'assemblée législative. Il nous donne le premier exemple d'un ministre qui court au-devant des échecs parlementaires.

Quand il a présenté sa loi sur les clubs, il savait qu'il réussirait cette fois et dans l'assemblée et dans le pays. De quoi s'agissaitil pourtant? D'une violation formelle de la constitution, et d'une loi si détestable, que si M. Faucher devait trôner longtemps à l'hôtel du ministère de l'intérieur, il aurait bien des occasions de maudire son œuvre. A quoi donc tient son double succès? Je vais vous le dire, monsieur. Mais pour cela, il faut que je commence par faire aux clubs leur procès. Et, j'y pense, je suis charmé d'avoir l'occasion de dire un peu leurs vérités aux clubs et aux clubistes; car c'est une tactique de la presse soi-disant modérée de représenter comme les amis des clubs tous les adversaires de la loi sur les clubs: or, moi qui condamne péremptoirement la loi de M. Léon Faucher, vous allez voir, monsieur, si les clubs m'inspirent une profonde tendresse.

Il y eut des clubs à Paris dès le 25 février. C'est du moins le 25, si je ne me trompe, qu'ayant lu dans la plupart des journaux une invitation aux gens de lettres de se réunir dans la salle du Tivoli d'hiver, je m'y rendis vers une heure avec quelques amis. Nous étions tous alors préoccupés du besoin de nous unir. Nous avions vu passer les vainqueurs. Qui les menait ? C'était

III.

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là notre principale préoccupation, car leurs chefs devenaient. les nôtres. Avaient-ils même des chefs? Les causes de la révolution étaient claires; les résultats négatifs évidents; son avenir restait une énigme. Nous avions lu sur les murs la liste du gouvernement provisoire parmi ces noms, quelques-uns étaient illustres, le plus grand nombre inconnus. Assurément, lorsque les membres de ce gouvernement improvisé se trouvèrent réunis pour la première fois, il leur eût été impossible de dire vers quel but ils allaient, impossible surtout de croire qu'ils auraient longtemps un but commun. Ils ne pouvaient s'entendre que sur quelques mesures provisoires, destinées à ramener une apparence d'ordre à la surface de la société. S'entendraient-ils même pour cela? Et s'ils s'entendaient, parviendraient-ils à dominer la foule? D'où venait leur mandat? Chaque heure pouvait apporter la nouvelle de leur destitution et de leur remplacement. On se trouvait dans Paris, dans la capitale du monde civilisé, tout près de l'état sauvage. Ce n'était pas même la situation d'une ville prise d'assaut; car nous ne connaissions pas le drapeau de l'armée victorieuse, et nous doutions que cette armée eût des chefs. On désirait des nouvelles, et l'on ne savait où les prendre. Les murs se couvraient de proclamations signées de noms inconnus. Partout où l'on croyait trouver un point de ralliement, on accourait. Je me rendis avec empressement à cette convocation collective. Les rues étaient encore dépavées, les barricades debout. Des bandes nombreuses de citoyens armés parcouraient la ville en chantant la Marseillaise et le choeur des Girondins. Des voitures chargées de pains, escortées par des élèves de l'École polytechnique, stationnaient au coin des rues ou devant les postes improvisés. Les corps de garde, sur plusieurs points, brûlaient encore; des jeunes gens marchant ensemble ou isolés, tiraient au hasard des coups de fusils qui retentissaient de minute en minute. Je pénétrai, par une longue allée obscure, dans cette salle du Tivoli d'hiver. Environ mille personnes y étaient rassemblées. Au fond, sur une estrade, les membres du bureau essayaient de diriger la discussion. Il ne s'agissait que d'adopter un nom pour la société qui se fondait là. On ne parla pas d'autre chose pendant une heure entière. Beaucoup d'orateurs prirent la parole. Les bravos et les sifflets se croisaient. La lumière ne se faisait pas. Le président suait sang et eau; un incident s'élevait sur chacune de ses paroles. Il prit le parti de dé

fendre absolument tout discours. Il déclara qu'il poserait, lui seul, les questions; qu'on voterait sans parler; que si quelqu'un prenait la parole, il le ferait jeter à la porte. Il réussit de la sorte à donner un nom à ce premier club de 1848: on l'appela la Société centrale républicaine. Le président était M. Blanqui. Je l'ai revu deux fois depuis le 17 mars à l'hôtel de ville, le 15 mai à l'assemblée nationale.

Dès le lendemain, les clubs étaient si nombreux que chaque quartier et presque chaque rue avait le sien. Plusieurs de ces clubs faisaient revivre les noms les plus redoutés de la première révolution; ainsi, il y avait le club des Jacobins, le club de la Montagne. On se disputait même ces noms, par une sorte d'émulation assez difficile à expliquer. Ce sont sans doute ces mêmes clubs que l'on vit quelques semaines plus tard assister en bonnets rouges à la plantation des arbres de la liberté : comme si le meilleur moyen de compromettre la République naissante n'était pas précisément d'exhumer la sanglante friperie de 93. Les amis imprudents de la révolution de février faisaient alors ce que font aujourd'hui ses plus habiles adversaires. Le ridicule se mêlait à l'odieux. Le club des Gens de Maison eut un instant sa popularité, comme plus tard le club des Femmes. Le club des Condamnés politiques, présidé par Barbès, effrayait les imaginations: ce titre seul semblait menacer les vaincus de vengeances et de représailles. Le socialisme, à peine connu jusque-là, souvent bafoué par les écrivains, commençait à prendre la place qu'il occupa ensuite pendant trois mois. La Démocratie pacifique, dès le premier jour de la révolution, avait transformé ses bureaux en une sorte de club, ouvert seulement aux amis ou aux initiés; Cabet avait formé la Société Fraternelle centrale. Les noms de Louis Blanc et d'Albert dans le gouvernement provisoire, celui de Sobrier, d'abord délégué à la police, annonçaient la révolution sociale qui, dans la pensée de presque tous, devait suivre et consommer la révolution politique. Qu'était-ce, au surplus, que la réunion du Luxembourg, sinon un club socialiste fondé sous les auspices et avec le concours du gouvernement? Qu'étaient-ce que les ateliers nationaux, sinon un club armé et soldé, qui ne différait des autres que par ses proportions colossales? Les Travailleurs de Clichy, qui depuis ont prouvé que leur association était bien réellement une association de travailleurs, passaient aussi pour des ennemis de l'ordre social, et le nom de

Louis Blanc, leur protecteur et leur chef, expliquait sans la justifier cette calomnie. Raspail, dont, à tort ou à raison, la bourgeoisie s'épouvantait, avait aussi fondé, sous son nom, une réunion publique. Huber avait reparu. Le Club des clubs était sous sa direction. Là tous les efforts se centralisaient. Sobrier, qui avait chez lui un poste, on disait alors une armée, publiait en même temps la Commune de Paris, sous le titre de Moniteur des clubs. Quelques clubs, dont le nom ne disait rien, dont on ignorait les chefs, dont on faisait vaguement des récits pleins de terreur, le club des Prévoyants, le club Popincourt, le club de la Butte des Moulins, remplis chaque soir par une population flottante qu'attiraient le désœuvrement ou la curiosité, paraissaient correspondre à de secrètes affiliations. Une partie des membres du gouvernement le croyaient. L'esprit de tous ces clubs était hostile aux membres modérés du gouvernement provisoire; au contraire, les membres les plus exaltés du gouvernement, quoique en minorité, pesaient sur leurs collègues de tout le poids que l'appui des clubs leur donnait. Enfin la Société des Droits de l'Homme enveloppait Paris comme dans un réseau ; elle avait rue Albouy, rue Saint-Martin, rue Mouffetard, des succursales; elle siégeait au Palais-National, où ses chefs principaux étaient logés et nourris, où se fabriquaient des armes. Le gouvernement provisoire tel qu'il était n'aurait que bien peu rassuré la population paisible de Paris; mais cet autre gouvernement, ce gouvernement anonyme, multiple, anarchique, dont on ne voyait pas les ressorts, dont on n'osait prévoir les tendances ou les caprices, que l'on sentait peser sur le gouvernement provisoire et sur la société tout entière: c'était là, pour presque tous, la vivante image de la terreur. Dans les corps de garde de Paris, où les gardes nationaux se dévouaient pour l'ordre, à chaque tambour que l'on entendait, à chaque drapeau qui passait, promené par une troupe du peuple, on s'écriait : Voilà les clubs! comme on eût dit Voilà l'ennemi!

C'est qu'en effet, il ne suffisait pas aux clubistes de se rassembler et de discuter entre eux. Ils faisaient à chaque instant des manifestations tantôt menaçantes, tantôt pacifiques; ils publiaient des adresses: les murs de Paris en étaient couverts. Celles que signait M. Barbès avaient une âpreté de langage qui a dû effrayer encore les jurés de la cour de Bourges quand on les a lues devant eux. Ils publiaient des journaux dont le

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