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BULLETIN.

Histoire de la révolution française; par M. MICHELET. 3o vol., 1 partie, Chamerot, éditeur, rue du Jardinet,

13.

Lorsque dans un pays va s'accomplir une révolution, que tous pressentent sans la comprendre et sans savoir ce qu'elle apporte de biens et de maux, les regards se portent instinctivement en arrière, et l'on interroge les révolutions du passé avec une avide curiosité mêlée d'inquiétude et d'espérance. Il se trouve alors un homme qui, agité par le même problème, a de plus le pouvoir et la volonté de le résoudre; qui étudie la dernière révolution, pour y trouver le germe de la révolution qui s'annonce, et pour chercher l'avenir dans les promesses ou dans les menaces du passé. Si l'étude est complète et profonde, si l'auteur a compris et fait comprendre ce que la dernière révolution a fait et ce qu'elle a laissé à faire, s'il montre que le grand changement que chacun sent venir n'est que son accomplissement et sa consommation, son livre est populaire, parce qu'il répond aux inquiétudes de tous; il est le manuel de la révolution à venir chacun vient y lire sa destinée et y chercher le sceret de son lendemain.

C'est ainsi que peu avant la révolution de 1830, c'est-à-dire peu avant l'avènement du gouvernement constitutionnel débarrassé de l'impopularité des Bourbons, de l'influence des prêtres, de tous ces vices de tempérament, pour ainsi dire, qui avaient fait manquer la première expérience, M. Thiers avait fait une histoire de la révolution, où la République était considérée comme un incident, comme un écart nécessaire, mais passager, où la tradition constitutionnelle de l'assemblée nationale était remise en honneur, comme un fondement assuré qui attendait encore l'édifice. L'édifice pour M. Thiers, pour la France de ce temps qui n'avait pas encore passé par deux épreuves, c'était le gouvernement de 1830, l'établissement du gouvernement constitutionnel dans toute sa pureté, l'idéal de l'assemblée constituante. Le livre était l'avant-coureur de la chute de la restauration; il fut le catéchisme de la révolution de 1830. Tout le monde en adopta la doctrine. La révolution était définitivement close et accomplie par l'établissement du régime constitutionnel, et M. Guizot lui-même s'écriait : « Je ne doute pas que dans leur séjour inconnu ces nobles âmes, qui ont voulu tant de bien à l'humanité (les constitutionnels de 89), ne ressentent une joie profonde en nous voyant éviter l'écueil où se sont brisées tant de leurs belles espérances. » L'écueil, pour M. Guizot, pour M. Thiers, pour la France d'alors, c'étaient les fautes qui avaient amené le grand écart de 92, la République.

Le gouvernement de 1830 chancela à son tour, voulant rester im

mobile, et poussé par ce flot irrésistible qui nous entraîne encore. Alors, comme avant 1830, les yeux se portèrent avec inquiétude vers l'avenir, et de là vers le passé, pour y chercher quel était ce germe qui n'avait pas encore produit ses fruits, puisque la séve travaillait de nouveau. 1830 et le gouvernement constitutionnel n'étaient donc pas le dernier mot de la révolution : elle portait donc encore quelque chose dans son sein, cette inépuisable époque de quatre années, qui avait rempli un demisiècle de ses enfantements. Trois livres parurent alors, qui, comme le livre de M. Thiers, cherchaient dans la révolution les causes éloignées de cette nouvelle aspiration de la France, le but et le caractère du grand changement qui allait s'accomplir. La révolution de 1830, simple changement de forme, ou plutôt simple dégagement du gouvernement constitutionnel des obstacles étrangers qui l'avaient embarrassé jusqu'alors, avait eu assez du seul livre de M. Thiers pour montrer son origine dans le passé et sa nécessité dans le présent. La révolution de 1848, légère en apparence, mais immense par ses contre-coups dans toute l'Europe, et plus encore par l'avenir nouveau qu'elle a fait à la France en mettant dans le gouvernement le mouvement au lieu de la résistance, n'avait pas trop des trois livres de M. Lamartine, de M. Louis Blanc, et de M. Michelet pour l'annoncer au monde. S'il ne fallait ici nous borner au seul ouvrage de M. Michelet, et même au dernier demi-volume de cet ouvrage, nous montrerions comment ces trois livres, en étudiant la révolution de 89 sous des points de vue divers plutôt qu'opposés, ont indiqué d'avance trois faces différentes de la révolution nouvelle; comment le livre de M. Lamartine avait pour complément naturel son manifeste aux puissances; comment les discours du Luxembourg étaient la péroraison du livre de M. Louis Blanc; comment le livre de M. Michelet n'aura sa conclusion faite et sa déduction tirée que lorsque la France sera fraternellement unie dans la liberté pour assurer celle du monde.

Le demi-volume qui vient de paraître commence au 21 juin 1791 et finit au 30 septembre de la même année. Il comprend done un espace de cent deux jours, temps qui nous paraîtrait bien court si nous ne savions maintenant par expérience ce que valent les journées d'une révolution. La fuite de Varennes en est le premier chapitre; le volume finit avec l'assemblée nationale. Entre ces deux grands faits se place l'événement du Champ-de-Mars, présenté sous un jour tout nouveau et terriblement éclairci. Autour de cet épisode, qui est le fond et le nœud du volume, sont groupés toutes les grandes figures de ce temps, et d'admirables tableaux de l'esprit public d'alors, des clubs et des salons. Cette courte époque n'est pas sans doute la plus saisissante de la révolution; elle n'a ni la religieuse grandeur de 89, ni l'activité dévorante de 93. Les événements s'y préparent plutôt qu'ils ne s'y accomplissent; tout se passe en allées et venues, en pourparlers, en transactions, et cependant, pour qui sait la comprendre, c'est l'époque la plus curieuse et la plus instructive de cette histoire. C'est une transition, pleine de douleur et d'inquiétude, entre le vieil esprit et l'esprit nouveau de la révolution, entre le gouvernement constitutionnel et la République, entre Mirabeau et Vergniaud. Chacun sait qu'on entre dans une nouvelle phase de la révolution; nul ne sait ce qu'elle sera, nul ne l'oserait dire; tous s'agitent entre le passé déjà lointain de l'année dernière et l'avenir sans bornes du lendemain.

La nation, dégoûtée de la monarchie, ne connaît encore rien autre

chose, et n'ose s'aventurer; mais comme elle est résolue à ne pas reculer, on peut déjà dire qu'elle ira en avant. Néanmoins, les plus hardis meneurs ne se prononcent pas tout haut; madame Roland adore la République en espérance, mais à côté d'elle Robespierre s'écrie : « Je ne suis ni monarchique ni républicain». Tout le monde hésite au moment de se laisser entraîner sans retour; en un mot, c'est un long 24 février, où la République, au milieu de toutes les incertitudes, viendra occuper le soir une place vide depuis le matin. M. Michelet est trop grand peintre pour écrire le nom de la scène au-dessous de ses tableaux; il ne dit donc nulle part : c'est une transition; mais qu'il le fait admirablement sentir! que tous ses personnages ont l'air embarrassé et inquiet! qu'ils attendent les événements avec impatience et curiosité, prêts à se laisser guider par eux, comme les gens qui n'ont pas encore un parti pris! Qu'elles sont caractéristiques ces terreurs soudaines de Robespierre, de Danton, ces retraites subites des jacobins! Sont-ce bien là ces mêmes hommes qu'on voit un an plus tard si résolus, si audacieux, et par-dessus tout si inébranlables dans leur croyance et dans leur volonté? Ce sont en effet les mêmes hommes, mais alors ils croient voir l'avenir et veulent le faire tel qu'ils le voient, et maintenant incertains avec toute la France, ils attendent l'avenir tel que Dieu le fera.

Et en effet, la France d'alors ne montrait qu'une chose, mais avec une énergie et une passion sans mesure, c'était sa haine contre la cour, les émigrés et son mépris pour le roi. C'est surtout le retour de Varennes qui fait éclater cette unanimité de la France. M. Michelet l'a montré, et jamais il ne fut plus grand peintre. Au rebours de M. Lamartine, qui s'attache surtout à l'intérieur de la voiture et à ces grandes infortunes qui l'occupent tout entier, M. Michelet contemple et peint le dehors, les campagnes se levant partout sur la route, alarmées et menaçantes. Il se mêle à cette escorte furieuse, et le lecteur entend comme lui la foule exhaler à la fois et raisonner sa haine : « Une âpre chaleur » de juin exaltait les têtes; le soleil brûlait d'aplomb, poudroyait la » blanche route, la soulevait en nuages à travers des forêts de baïon» nettes et d'épis. Maigres épis, pauvre moisson de Champagne pouil» leuse; la vue de cette moisson, si péniblement amenée à bien, ne » contribuait pas peu à augmenter la fureur des paysans : c'était juste»ment ce moment que le roi avait choisi pour aller chercher l'ennemi, » amener sur nos champs les hussards et les pandours, la cavalerie vo» leuse, mangeuse, outrageuse, gâcher la vie de la France aux pieds des » chevaux, assurer la famine pour l'année et pour l'année prochaine. M. Michelet est tout entier dans ces quelques lignes : elles sont comme un abrégé de ses œuvres, un exemple frappant et complet de sa manière. J'ai nommé l'histoire résurrection, a dit M. Michelet dans son Livre du peuple, et ce nom lui restera. En effet, peindre et analyser en même temps, qu'est-ce autre chose que ressusciter? Représenter avec une égale vivacité la scène et les sentiments des acteurs, se mêler à eux sans effort, sans ces monstrueux anachronismes d'idées auxquels on nous avait accoutumés, remplacer par un tableau de deux lignes ces profondes considérations historiques, ou ces longs élans de sensibilité qui fatiguent sans instruire, voilà ce que M. Michelet sait faire et ce qu'il fait partout, voilà ce qui charme dans ces quelques lignes où cette haine intéressée que les paysans portaient au roi complice de l'invasion, où le secret de leur dévouement à cette révolution qui affranchissait et augmentait leurs terres, sont expliqués au lecteur comme par la bouche

des paysans eux-mêmes, tandis qu'il entend leurs cris, qu'il voit passer la voiture et briller les baïonnettes. M. Michelet s'attache surtout à peindre la foule du dehors qui est la France, mais il jette aussi un regard dans la voiture royale, et à la vue de cet intérieur qui s'est presque habitué aux cris et au tumulte du dehors et qui est plein de calme au milieu des bruyants assauts de la foule, il pense tout à coup que tous, vainqueurs et vaincus, gardiens et prisonniers mourront avant peu sur le même échafaud, et il laisse échapper ces paroles: «Ce pauvre petit monde de gens qui ensemble s'en allaient tous à la mort, s'arrangeaient chemin faisant pour vivre encore dans la tempête. » Voilà une phrase qui vaut bien des pages.

Mais c'était seulement pour hair le roi que la France était unanime. Il revient à Paris, et tous hésitent. L'assemblée, constitutionelle jusqu'au bout, suppose un enlèvement. Les jacobins menacent faiblement, et l'indécision est partout. Mais non, il y déjà des républicains; le foyer, qui ne doit plus s'éteindre, brûle déjà quelque part. C'est le salon de madame Condorcet, c'est le cœur de madame Roland. Déjà dans son premier volume M. Michelet avait relevé la part des femmes dans la révolution; il avait montré la femme déchue du XVIIIe siècle, réhabilitée par la foi révolutionnaire, par l'échafaud. Au milieu des hésitations sans fin des partis les femmes sont résolues, ardentes de foi et d'amour: « C'est une chose noble et touchante de voir parmi elles, nonseulement les pures, les irréprochables, mais les moins dignes même, suivre un noble élan vers le beau désintéressé, prendre la patrie pour ami de cœur, pour amant le droit éternel.» Madame Roland est à l'avant-garde des républicains de 91. Jeune, ardente, sévère, élève de Plutarque et de Rousseau, elle est dégagée, dans le livre de M. Michelet, de ce tardif amour qu'on lui avait récemment découvert pour un député girondin, sans doute afin que rien ne lui manquât pour en faire une héroïne de tragédie. Mais M. Michelet, à son tour, découvre dans ce cœur maître de lui-même un orage, comme il l'appelle, que balaya bientôt la tempête de la révolution. C'est un Bancal des Yssarts, sage et honnête, ami du mari, que la correspondance de madame Roland lui désigne comme le Saint-Preux de cette Julie qui resta maîtresse d'ellemême : « La cuirasse du guerrier s'entr'ouvre, et c'est une femme qu'on voit, c'est le sein blessé de Clorinde. » A peine arrivée à Paris, madame Roland a horreur des lâchetés de l'assemblée, des lâchetés des jacobins, des lâchetés de tout le monde. Pleine de jeunesse et d'espérance, elle demande un nouveau 14 juillet, elle appelle une insurrection. Elle ne sait pas, l'ardente républicaine, qu'elle ne pourra plus remonter cette pente rapide; elle saluait de loin le 10 août, elle ne voyait pas le 31 mai.

Le voyage de Varennes, la honteuse protestation que le roi avait laissée à l'assemblée étaient, aux yeux de madame Roland, des occasions de renverser la monarchie, des coups de la Providence en faveur de la République. Mais ce qui était si clair pour madame Roland était encore obscur pour la France. L'assemblée surtout se rejetait en arrière, fidèle à cette constitution sacrée, conçue avec enthousiasme au jeu de paume, enfantée avec tant de douleurs, et effrayée de la voir déjà vieillie au jour de sa naissance. C'est ici surtout que la différence des temps et des historiens se révèle: dans son histoire constitutionnelle pour la révolution de 1830, M. Thiers prend parti pour l'assemblée et pour la constitution nouvelle; M Michelet se prononce contre l'assemblée et contre son gouvernement, et il écrit cette belle phrase: «On

» sentira de plus en plus, à mesure qu'on avancera dans la longue vie » du monde, dans l'expérience politique qui commence à peine, que la » monarchie n'a été qu'un gouvernement d'exception, un provisoire de » salut public approprié aux peuples enfants. » Cette impatience de l'assemblée d'assurer son œuvre menacée par les républicains; cette terreur qu'elle ressentit en la voyant sitôt impopulaire, et peut-être aussi le dépit de sentir eraquer au premier coup cette machine laborieusement construite qu'elle croyait éternelle, amenèrent un grand malheur, un grand crime peut-être. M. Michelet montre les royalistes constitutionnels réveillant l'assemblée, admonestant la municipalité pour sa mollesse, faisant mettre à Lafayette l'épée hors du fourreau. Une petite terreur constitutionnelle règne sur Paris, tandis qu'au Champ-de-Mars va se signer la pétition contre l'inviolabilité royale. «Tous les décrets » de l'assemblée n'ayant pas suffi à relever la royauté de terre, il fallait » uncoup de vigueur qui lui rendit la force en la faisant croire forte encore; >> cela ne se pouvait faire sans une émeute, sans la victoire sur l'émeute. » Les royalistes aux Tuileries, les constitutionnels à l'assemblée, la dési>> raient certainement.» Une assertion si grave, quand le sang va couler, quand on va tirer sans provocation sur une foule surprise et désarmée, serait hasardée, si le reste du chapitre, si toute la conduite de l'assemblée pendant cette affreuse journée n'en montraient trop clairement la vérité. Il faut chercher dans le livre lui-même, où elles sont réunies avec soin, les preuves de cette complicité morale des constitutionnels, qui voulaient une émeute, avec les royalistes, qui ont fait un massacre. Il faut lire dans le livre lui-même cette affreuse mêlée, cette décharge sur une foule parfaitement inoffensive, assise, pendant cette chaude journée de juillet, à l'ombre, autour des glacis du Champ-de-Mars, ou sur les marches de l'autel de la patrie. Un trait surtout nous frappe dans l'admirable narration de M. Michelet. On battit la générale, et il vint se joindre aux rangs de la garde soldée « de furieux royalistes qui venaient tout doucement verser le sang républicain sous le drapeau constitutionnel, sous le drapeau de Lafayette. » Éternelle hypocrisie des partis! Triste ressemblance avec des événements dont il faut effacer le souvenir !

C'est quand la terreur causée par cet affreux événement est passée que les partis se dessinent et que la France commence à se connaître. L'assemblée, usée par tant de crises depuis son enthousiasme de 89 jusqu'à sa colère de 91, depuis le jeu de paume jusqu'au Champ-de-Mars, s'éteint lentement entre les deux grandes puissances qui s'organisent et couvrent la France de leur réseau : les prêtres, les jacobins. Tous se préparent pour la lutte prochaine; c'est un travail sourd, immense. La Vendée, la Bretagne, le Midi sont enlacés par la conspiration des prêtres et couvent la guerre civile: «Vous auriez dit de la France, dit M. Michelet, comme d'une maison fermée qui brûle en dedans; l'incendie se trahit par places avec des signes différents; ici une fauve lueur, plus loin la fumée, là-bas l'étincelle. » C'est par toute la France une laborieuse conjuration du clergé contre le serment, contre la révolution. Les femmes surtout donnaient prise à cette action continuelle des prêtres. Elles désertent l'église où l'intrus officie, et vont chercher au loin dans quelque retraite le prêtre réfractaire qui leur dit « sa messe de haine, suivant la belle expression de M. Michelet. Mais parallèlement à cette vaste propagation de la guerre civile, se développaient les sociétés jacobines, étendues par toute la France, reliées en faisceau à celle de Paris, s'épu

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