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Moyfe demeure en fufpens jufques au bout ; le denouement ne fe préfente qu'avec les derniers vers. La reconnoiffance de Moyfe & de Jocabel, de Moyfe & d'Aaron, de Moyfe & d'Amenophis; la fimplicité & le naturel avec lequel ces incidens fe developpent; la vifion prophétique où l'avenir. & toute la fuite des deffeins de Dieu fe devoile aux yeux de Moyfe; le recit où il retrace à Aaron & à Jocabel ces. fublimes objets ; fa renonciation à la poffeffion de Tharbis & du Thrône d'Egypte, la générofité avec laquelle oubliant leurs injures il couronne des dons les plus magnifiques, & la refiftance que cette Princeffe avoit oppofée à fes recherches,& les complots & les trahifons d'Amenophis qui lui difputoit le cœur de Tharbis & laCouronne d'Egypte ;la généreuse confiance avec laquelle en les rendant maîtres de l'Egyp te il renonce aux précautions néceffaires pour mettre fon fort & fa perfonne à l'abri de leurs ombrages & de leurs reffentimens: tu me connois, Adieu; pourfuis-moi, fi tu l'ofes. La furprise a: adroitement préparé ce que fait naître la promp te revolution du fort d'Amenophis ; & fon rapide, mais naturel, paffage des horreurs de l'échaffaut à la félicité du Thrône: tous ces traitsremuent vivement le cœur d'un Spectateur né avec quelque élevation dans les fentimens.

L'obstacle le plus marqué que puiffe, ce me femble

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femble rencontrer une piéce de cette nature,, aux fuccès qu'elle mérite, c'est que le perfonnage d'Ofarphis a dans l'éclat & dans le rang que vous lui donnez, avant que d'en faire le chef des Ifraëlites, quelque chofe d'opposé au caractére que les préjugés d'éducation forment de Moyfe dans un certain public. Le rôle de ce grand Legiflateur commence, pour eux, autemps où errant & fugitif, la crainte des perfécutions aufquelles il eût été expofé en Egypte, le reduifit à garder les troupeaux de fon beaupere Jethro; & fon hiftoire fous ce point de vue n'offre d'autre idée à leur efprit, que celle d'un Pâtre élevé par le choix du Seigneur, du fein de la pouffiere à la plus fublime des dignités.

Une connoiffance médiocre des Auteurs anciens rectifieroit ce préjugé, & vous difculperoit fans peine. Jofephe au livre fecond, chapitre cinquième de fon hiftoire, vous à fourni tous les traits qui forment chez vous le portrait de Moyfe conquerant, vainqueur des Ethiopiens, époux de Tharbis, fils adoptif de Thermutis. Vous avez puifé dans la même fource les perfonnages du fecond ordre que. vous mettez fur la Scene, & jufques aux noms que vous leur donnez. Tharbis, Thermutis Jocabel font les mêmes dans l'histoire que dans votre Tragédie.

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Vous n'aviez pas même befoin du témoigna ge de Jofephe pour prêter à Moyfe le rôle que vous liti faites jouer avant fa vocation; l'écritu re feule vous fuffifoit. Elle dit en termes exprès au chapitre 2. de l'Exode, que Moyfe dans un age déja formé, Adultum, avoit été adopté comme fils par la fille de Pharaon:, dès-lors la fiction feule pouvoit chez vous remplacer l'hiftoire fur les fuites naturelles de cette adoption. Cet évenement donne aux fituations les plus brillantes où vous pouviez placerMoyfe, toutes: les vrai-femblances qu'exige le Théatre le plus regulier & le plus fcrupuleux. Rien de plus na turcl que de voir un homme d'un mérite diftingué, fils adoptif d'une puiffante Princeffe, rem plir les premieres places, & à portée d'afpirer & de parvenir à tout, chez une nation où un efclave Hebreu, un des ancerres de Moyfe, le vertueux Jofeph, étoit quelques années auparavant forti des cachots pour devenir en quelque forte le Dieu de l'Egypte; & dans les climats où, encore aujourd'hui, le fanatifine & l'imagination fougueufe des peuples, ne laiffe qu'un pas à faire de la fervitude au Throne, ou du Thrône à la fervitude..

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Voila, Monfieur, ce que je penfe du fonds de votre piéce. Le détail de l'exécution offre encore un grand nombre de traits brillants & de vers heureux à mes juftes éloges. Que n'ai-je

autant de loifir pour en peindre toutes les beautés, que j'ai eu de plaifir à les fentir! Si le Théatre n'en préfentoit jamais que de femblables, les maîtres de la morale chrétienne, loin. de le profcrire comme une fource féconde de vices, le recommanderoient à leurs difciples comme une école des plus fublimes vertus.

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Ne regardez point, Monfieur, ce jugement comme l'ouvrage de mon amitié; il eft le fruit de mon difcernement. J'ai jugé de cette pićce par fon propre mérite, & non par celui de l'Auteur. En donnant à votre perfonne tous les fentimens qui lui font dûs de la part de ceux qui ont l'honneur de vous connoître auffi bien que moi, je me réserve toujours la liberté de la critique pour vos écrits, comme je prétens que vous en faffiez, à bien plus jufte titre, ufage pour les miens. Ces difpofitions, bien loin de l'affoiblir, ne fervent qu'à augmenter le tendre attachement avec lequel j'ai l'honneur d'être,

Monfieur,,

A Poitiers, le 14. der
Décembre 1736..

Votre très-humble & très

obeïffant Serviteur,

R..**, Jefuite.

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De l'Imprimerie de GEORGE FRICK, Libraire, rue de la Cour. 173 8.

Avec permiffion des Superieurs..

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